Nouvelles technologies en afrique - une menace pour la souverainete

Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté ETC Group Headquarters, Fahamu, 2nd floor, 51 Cornmarket Street, 431 Gilmour St, 2nd Floor, Ottawa, Oxford OX1 3HA,UK ON Canada K2P 0R5 Tel +44 (0)1865 727006 Tel: 1(613) 241-2267 Fax +44 (0)1865 727909 Fax: 1(613) 241-2506 www.pambazuka.org [email protected] Pambazuka News – www.pambazuka.org The award-winning and influential electronic weekly newsletter providing a platform for progressive Pan-African perspectives on politics, development and global affairs. With more than 2,500 contributors across the continent and a readership of more than 660,000, Pambazuka News has become the indispensable source of authentic voices of Africa's social analysts and activists. ISSN 1753-6839 ISBN 978-0-85749-034-6 www.pambazuka.org www.pambazukapress.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Contents Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté Firoze Manji and Molly Kane La grande compression : les derniers biens communs victimes de la géopiraterie 5 Pat Mooney Continent immense, technologie minuscule : la nanotechnologie et l'Afrique Kathy Jo Wetter Biopiraterie, régimes de propriété intellectuelle et moyens de subsistances en Oduor Ong'wen « Biomassters ». Les nouveaux maîtres de la biomasse et leur assaut contre les conditions de la vie Jim Thomas La biologie synthétique en Afrique : il est temps de prêter attention Gareth Jones and Mariam Mayet « Pulpe Fiction » : les projets de plantations arboricoles dans le cadre du Mécanisme de développement proper Khadija Sharife Mécanisme de développement impropre Blessing Karumbidza InfraREDD et InfoREDD Pat Mooney Écocertification Qui audite les auditeurs ? Khadija Sharife La récupération des semences traditionnelles est-elle possible ? Anne Maina Géoingénierie de la planète : quel enjeu pour l'Afrique ? Diana Bronson Voix de résistance et d'espoir à la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique Silvia Ribeiro Biotechnologie et dépossessions au Kenya Khadija Sharife Lectures supplémentaires sur les agrocarburants, les droits sur la terre et l'accaparement des terres Hands Off Mother Earth: Support the international campaign Note sur l'ETC Group www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté Firoze Manji and Molly Kane Ce numéro spécial réalisé en collaboration avec l'ETC Group se propose d'interroger à travers un ensemble d'articles les prodigieuses avancées des bio et nanotechnologies et leurs conséquences néfastes pour le continent africain et le Sud en général. Firoze Manji et Molly Kane soulignent l'ampleur de ce « tsunami technologique » et l'immensité du défi qu'il implique pour l'autodétermination de l'Afrique et pour les militants en lutte contre l'assaut des grandes entreprises sur la bio-souveraineté. L'Afrique est aujourd'hui sous la menace d'une nouvelle forme de conquête, une conquête rendue possible par des révolutions technologiques sidérantes dans les domaines de la biologie, de la physique quantique, de la chimie et de l'ingénierie. Aujourd'hui, n'importe quel organisme vivant peut être modifié grâce au génie génétique ; de nouvelles formes de vie peuvent être créées et introduites dans l'environnement grâce à la biologie synthétique ; et les propriétés d'éléments ou de composés ordinaires peuvent être radicalement modifiées grâce aux nanotechnologies (technologies opérant à l'échelle des atomes et des molécules) et à la nanofabrication (production, par exemple, de semi-conducteurs au niveau moléculaire, et même des nano-bombes non nucléaires). La convergence entre les nanotechnologies, les technologies de l'information et la science cognitive semble même présager le développement d'implants cérébraux capables de surveiller, voire de contrôler le cerveau. On se croirait dans un livre de science-fiction. Et pourtant, c'est la réalité ; c'est ce qui se passe aujourd'hui sous nos yeux. Ces technologies sont en train de fleurir dans un monde outrageusement inégalitaire, un monde où règne la loi de l'accumulation et du profit et où les riches s'enrichissent par tous les moyens tandis que la majorité se paupérise. Elles ont fleuri dans les mêmes conditions qui, depuis une trentaine d'années, ont permis aux entreprises de s'octroyer un monopole de l'exploitation industrielle au niveau atomique – aussi bien de la matière vivante que de la matière inanimée - et qui ont légitimé une biopiraterie entrepreneuriale à grande échelle dont l'Afrique et son extraordinaire biodiversité sont les premières victimes. Des plantes depuis longtemps utilisées en Afrique sont aujourd'hui brevetées par des pays du Nord ; et, de manière sans doute plus décisive encore pour le continent, ce sont actuellement des centaines de milliards de tonnes de matière végétale indifférenciée qui sont dans le collimateur des entreprises, qui y voient une source de carbone alternative aux ressources fossiles non renouvelables, qui pourrait leur permettre de produire le carburant, l'électricité, les produits chimiques, le plastique et les engrais qui continueront d'alimenter les modes de vie confortables des pays du Nord sous couvert de promotion d'une « économie verte ». Alors que nous célébrons aujourd'hui les cinquante ans d'indépendance de nombreux pays d'Afrique, nous déplorons en même temps l'érosion progressive de l'autodétermination et de la souveraineté du continent, conséquence de trente années de programmes d'ajustement structurel, de DSRP (Documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté) et de politiques économiques néolibérales. À l'heure actuelle, nous avons moins d'influence sur l'économie et les politiques sociales que le FMI (Fonds monétaire international), la Banque mondiale et les agences internationales de coopération. Les politiques économiques néolibérales ont précisément mis enplace l'« environnement favorable » qui permet aux entreprises de tirer profit des nouvelles révolutions technologiques et de prospérer en exploitant les ressources naturelles de l'Afrique, vivantes ou inanimées. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Les nouvelles technologies, ou plus exactement le contrôle des nouvelles technologies exercé par les entreprises, constituent une menace potentielle grandissante pour le continent. Ce continent, qui panse encore les plaies d'une turbulente conquête coloniale et de la conquête économique néolibérale, doit maintenant faire face à une conquête technologique menée par les oligopoles. Comme la marée montante d'un tsunami, l'ampleur d'une révolution technologique et de ses conséquences au niveau social, économique et politique ne sont généralement perceptibles qu'au moment tragique où la vague emporte tout sur son passage. Les conséquences entières de ce que l'on a appelé le « tsunami technologique »[1] doivent être débattues publiquement, et des stratégies doivent être mises en œuvre pour contrer leurs effets négatifs. Ces développements suscitent des réactions dans le monde entier – de la part de communautés locales, de mouvements nationaux ou dans le cadre de rencontres internationales des Nations Unies telles que la Convention sur la diversité biologique et le Comité sur la sécurité alimentaire de la FAO (organisation de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture). Des citoyens se mobilisent pour dénoncer le blanc-seing accordé aux entreprises par les gouvernements pour qu'elles règlent à grand renfort de technologies des problèmes qui sont fondamentalement de nature politique et sociale. Aux quatre coins du monde, des groupes comme la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN) en Afrique de l'Ouest s'organisent pour préserver leurs biens communs, leurs foyers et leurs futurs contre des dommages irréparables. Ce numéro spécial de Pambazuka News réalisé en collaboration avec l'ETC Group vise à outiller tous ceux qui sont engagés dans la bataille pour un monde plus juste pour qu'ils puissent prendre part aux discussions, aux débats et aux dialogues qui peuvent empêcher la conquête prochaine d'un continent, de son peuple et de ses ressources. Pat Mooney récapitule les principales tendances qui mènent à la « géopiraterie » des biens communs ; Kathy Jo Wetter dévoile les tenants et les aboutissants des nanotechnologies ; Oduor Ong'wen s'intéresse à la biopiraterie et aux droits de propriété intellectuelle ; et Gareth Jones et Mariam Mayet se penchent sur les avancées de la biologie synthétique en insistant particulièrement sur la production de l'artémisinine, un médicament contre le paludisme. Jim Thomas analyse l'aura qui entoure « l'économie verte » dans les médias, et explique le rôle des nouveaux « maîtres de la biomasse ». Khadija Sharife nous fournit des études de cas détaillées sur l'exploitation lucrative des forêts par des entreprises prédatrices en Tanzanie, et sur la manière dont les biotechnologies entraînent des dépossessions au Kenya. Pat Mooney voit d'un œil critique le programme REDD (Réduction des émissions provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts) de l'ONU, qui sert selon lui les intérêts des entreprises. Blessing Karumbidza démontre que les politiques d'adaptation et de mitigation du changement climatique ont ouvert la voie en Afrique à de nouvelles formes d'impérialisme économique. Anne Maina raconte son expérience personnelle avec le Kathulumbi Seed Bank Community Development Committee (Comité de développement de la banque de semences de Kathulumbi) au Kenya. Diane Bronson analyse les conséquences de la géo-ingénierie en Afrique et souligne les actions menées par la campagne «Hands off Mother Earth » (« Pas touche à la mère nature »). La résistance ne se construit pas seulement en Afrique, mais dans le Sud tout entier. Silvia Ribeiro raconte comment 35 000 personnes ont répondu à l'invitation de la Bolivie pour la Conférence mondiale des peuples face au changement climatique et pour les droits de la Terre Mère à Cochabamba en avril 2010. • Firoze Manji est le rédacteur en chef def Pambazuka News, http://www.pambazuka.org/en • Molly Kane est directrice adjointe de l'ETC Group. http://www.etcgroup.org/en/about/staff/molly_kane • Traduction : Mathilde Baud. NOTES [1] ETC Group pour le South Center (Novembre 2005), [2] À propos de l'ETC Group : http://www.etcgroup.org/. L'ETC Group est une organisation internationale de la société civile. Voir p81 pour plus de détails. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
La grande compression : les derniers biens communs victimes de la géopiraterie Pat Mooney Alors que l'Assemblée générale des Nations Unies se prépare au prochain sommet de Rio de Janeiro sur l'environnement en juin 2012, les solutions globales proposées pour répondre à la quadruple crise « alimentaire, énergétique, financière et climatique » vont dans le sens d'une marchandisation accrue de nos vies, écrit Pat Mooney. Face à des « stratégies de choc » visant à pallier l'érosion agricole, l'effondrement des écosystèmes, l'extinction des cultures et les « disparues » du genre, Mooney met en question ces prétendues thérapies et leurs conséquences à long terme. cc Kaibara L'Assemblée générale de l'ONU se prépare à un sommet intergouvernemental sur les enjeux environnementaux qui se tiendra au Brésil en juin 2012, appelé « Rio +20 » en référence au Sommet de la Terre de Rio en 1992. Ses détracteurs ont déjà surnommé ce happening médiatique « Rio-20 » parce qu'il s'inscrit dans une série claudicante d' « événements » internationaux peu efficaces qui a débutée en 1972 avec la conférence de Stockholm sur l'environnement humain, s'est poursuivie avec celle de Rio de Janeiro en 1992 pour arriver péniblement jusqu'à Johannesburg en 2002. Rétrospectivement, l'événement le plus marquant qui ait eu lieu à Stockholm en 1972 a été le braquage raté d'une banque au cours duquel quelques employés ont été pris en otage. Une fois relâchés, certains d'entre eux ont témoigné d'une grande affection pour leurs ravisseurs - un phénomène psychiatrique désormais connu sous le nom du « syndrome de Stockholm ». Si l'on dresse le bilan de ces quarante dernières années de jamborees onusiens sur l'environnement, on peut dire que la véritable victime du syndrome de Stockholm a d'abord été l'ONU elle-même, et la coterie d'organisations de la société civile qui se sont laissées prendre en otage par la fantasmagorie des sommets internationaux. Le Sommet de la Terre de 1992 a adopté l'« Agenda 21 » , qui regroupait un ensemble de traités et d'accords visant à conserver et restaurer la biodiversité, à mettre un frein à la désertification, à arrêter la déforestation et à nous préserver des changements climatiques. Lorsque les dirigeants se retrouveront à Rio en 2012, on leur dira que les déserts ont gagné du terrain, que la biodiversité se réduit comme peau de chagrin, que seule une redéfinition sans fondements scientifiques du terme même de « forêt » par certains gouvernements leur permet de se bercer d'illusions quant au ralentissement de la déforestation, et que le business climatique basé sur les crédits et les compensations d'émissions de carbone est en plein boom. Le nouveau Sommet fera la promotion de l'« économie verte » comme tour de magie technologique capable de résoudre tous nos tracas économiques et environnementaux. Dans les affres de la crise et du chaos, les gouvernements crédules et les foules paniquées gobent n'importe quelle promesse de remède miracle. Mais le miracle se paie en perte de pouvoir, de propriété et/ou de principes. C'est une stratégie politique classique, remise en lumière récemment par Naomi Klein dans La stratégie du choc. Lorsque les effets de la catastrophe s'apaisent, la magie disparaît, et la souveraineté sociale avec. La quadruple crise actuelle – alimentaire, énergétique, financière et climatique – est en train de créer les conditions d'un véritable coup d'État dans les parties du monde (et de nos vies) qui n'ont pas encore été atteintes par la marchandisation. Ce coup d'État déjà bien engagé devrait culminer en une espèce de nouveau consensus global lors de Rio +20. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Voici un aperçu des manières dont cette nouvelle stratégie du choc à l'échelle mondiale devrait s'appliquer. Choc n°1 : l'érosion agricole
C'est au moment où nous en avons le plus besoin que nous perdons la diversité du vivant. 75% de la biodiversité agricole a déjà disparu. Nous perdons chaque année 2% de la diversité des espèces végétales cultivées et 5% de la diversité des espèces animales élevées. On aura beau tenter de mettre un frein à l'extraordinaire flambée des prix alimentaires, on n'en reviendra sans doute jamais aux prix bas de la fin du 20e siècle. La pression sur les terres arables pour la production de biocarburants, la spéculation sur les matières premières, la demande grandissante, la pénurie d'eau et surtout le chaos climatique garantissent que notre approvisionnement alimentaire demeurera aussi erratique que coûteux. L'agriculture industrielle à déjà fait de la sécurité alimentaire à long terme une réalité du passé. Sur 40 espèces animales d'élevage et des 7000 espèces végétales cultivables, l'agriculture conventionnelle n'exploite que 5 espèces animales et 150 espèces végétales (dont 12 seulement représentent l'immense majorité des cultures). En même temps, les agriculteurs dépensent chaque année quelques 90 milliards de dollars US en engrais chimiques, dans un vain effort pour récupérer les plus de 24 milliards de tonnes de sol détruites par l'agriculture industrielle chaque année. En dessous du sol, ces mêmes agriculteurs pompent des quantités d'eau 25% supérieures à ce que les aquifères en état de stress sont capables de remplacer. Sur plus de 35 200 espèces maritimes, la pêche industrielle concentre son activité sur 336 espèces ; et 75% des stocks mondiaux de poisson sont soit pleinement exploités, soit quasiment épuisés. L'agriculture est également en train de perdre ses pollinisateurs : la population des oiseaux de prairie d'Amérique du Nord a chuté d'un tiers depuis la prédiction d'un « printemps silencieux » par Rachel Carson en 1962, et 40% des espèces ornithologiques mondiales sont en déclin. Ce n'est pas célébrer le « Rio +20 » que les gouvernements devraient faire en 2012, mais plutôt déplorer le « Carson -50 ». Choc n°2 : l'effondrement des écosystèmes
La notion de terre marginale est un non-sens. Les marais d'eau saumâtre des États-Unis représentent 20% de la capacité de séquestration du carbone de ce pays. La séquestration mondiale de carbone dans les habitats côtiers est à peu près équivalente aux taux d'émission de gaz à effet de serre du Japon. Les forêts prétendument « sous-exploitées » et les savanes jouent un rôle primordial dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les deux tiers des écosystèmes mondiaux sont menacés d'effondrement. Choc n°3 : les extinctions culturelles
Les peuples indigènes du monde ne représentent que 6% de l'humanité, mais ils font vivre plus de 50% des plantes sauvages et de la vie animale dans les forêts et les savanes, et ils sont souvent les seuls protecteurs des cultures, des animaux d'élevage et des espèces aquatiques utiles à l'alimentation qui subsistent. Ils protègent aussi les plantes médicinales qui garantissent la santé de 80% des habitants du Sud. Pourtant, 90% des 7000 langues qui se pratiquent encore dans le monde pourraient disparaître d'ici la fin de ce siècle. L'humanité perd au moins une langue tous les quinze jours. Choc n°4 : les disparues du genre
Bien souvent, les gardiennes de ces savoirs sont les femmes. Mais le système patriarcal donne la priorité à l'alphabétisation des hommes, ce qui signifie que la sagesse des femmes, contenue dans les idiomes locaux qui expriment leur connaissance détaillée des plantes, du sol, des animaux et des écosystèmes, disparaît, dénigrée et jamais traduite. Et nous ne perdons pas seulement le message, mais aussi le messager, les femmes elles-mêmes. L'infanticide féminin est pandémique. En 1990, Amartya Sen estimait la perte à 100 million de vies. En Chine, le déséquilibre des genres pour la génération née dans les années www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
quatre-vingt était de 108 garçons pour 100 filles ; il est aujourd'hui de 124 garçons pour 100 filles. Des tendances similaires apparaissent en Inde et dans le monde entier. La diversité la plus menacée est celle des femmes indigènes et paysannes. Du fait de cette perte, la génération des « baby boomers » est la première de l'histoire à perdre davantage de savoirs qu'elle n'en a gagné. Thérapie n°1 : la géopiraterie
Les industriels (et leurs gouvernements) affirment que pour nous nourrir et nous approvisionner en énergie dans les décennies à venir, nous devons passer d'une économie du carbone fossile à une économie du « carbone vivant ». La donnée statistique la plus souvent mise en avant dans ce cadre, comme s'il s'agissait d'un fait alarmant, est que seuls 23,8% de la biomasse annuelle mondiale feraient actuellement l'objet d'une appropriation – ce qui signifie que 76,2% de la biomasse terrestre échappe encore à la marchandisation. Les prédictions d'une future « économie des glucides » ne sont pas nouvelles, mais de nouvelles crises et de nouvelles technologies ont rendu son avènement d'actualité. Un porte-parole de Cargill affirme ainsi : « N'importe quel produit chimique réalisé à partir du carbone contenu dans le pétrole peut être réalisé à partir du carbone contenu dans les plantes. » Les enjeux sont considérables pour l'industrie à 8 billions de dollars de l'alimentaire, du fourrage et des fibres ; pour l'industrie chimique à 2 billions de dollars ; pour une partie de l'industrie pharmaceutique à 825 milliards de dollars et, bien sûr, pour l'industrie énergétique estimée à 5 billions de dollars. Le but n'est plus de produire des aliments et du carburant, mais de générer et de contrôler le plus de biomasse possible. Les entreprises se restructurent dans cette optique. Les grandes compagnies énergétiques se disputent le marché avec les industries chimiques conventionnelles et les sociétés agro-industrielles et de biotechnologie. Les groupes Exxon Mobil et BP ont récemment investi 600 millions de dollars chacun dans les nouvelles technologies de la biomasse. Shell et Chevron se lancent également dans la course, tandis que BASF et Monsanto ont joint leurs forces dans un projet à 2,5 milliards de dollars capable de concurrencer l'industrie énergétique. Unilever et Kraft s'intéressent à la biomasse algale pour leurs futures matières premières. Les géants du gène sont en passe de devenir les nouveaux maîtres de la biomasse. Thérapie n°2 : la géo-ingénierie
Un deuxième tour de magie consiste à contrôler la température planétaire pour diluer ou retarder le changement climatique. En l'absence de volonté politique pour prendre des mesures rigoureuses, les gouvernements occidentaux s'empressent d'adopter des stratégies de géo-ingénierie pour s'épargner des changements de train de vie trop drastiques. Les recherches en géo-ingénierie renvoient à un incroyable arsenal d'expériences destinées à transformer la biologie de vastes surfaces océaniques, à restructurer les nuages ou encore à bloquer les rayons solaires à travers des barrières stratosphériques. Aussi absurde que cela puisse paraître – et bien que les scientifiques partisans de cette démarche s'accordent à dire que les risques sont importants et la réussite incertaine –, le Parlement du Royaume-Uni et le Congrès des États-Unis ont récemment organisé des auditions favorables à toutes les stratégies proposées dans le domaine. Arguant du fait que les gouvernements du monde ne parviendront pas à se mettre d'accord sur un nouvel accord multilatéral capable de répondre efficacement à la crise climatique, les géo-ingénieurs appellent à une nouvelle « coalition des volontaires » dans le cadre de laquelle une poignée de gouvernements et d'industries useront des technologies pour prévenir les aspects les plus dangereux du réchauffement climatique. Ils voient une preuve de la faisabilité de principe de leur démarche dans le fait que nous avons déjà « géo-ingénieurié » notre planète vers la crise. Les gouvernements et les industries qui nous ont mis dans ce pétrin, qui ont refusé ou retardé toute initiative de lutte contre le réchauffement climatique depuis des décennies, ceux-là même qui refusent encore aujourd'hui d'agir et qui n'ont pas le courage de dire à leurs citoyens de prendre le bus, n'ont pas non plus l'intelligence ni l'intégrité nécessaires pour se voir confier la responsabilité de gérer le thermostat planétaire. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Thérapie n°3 : la nanofabrication
Le secteur industriel redimensionne à l'échelle nanométrique (un nanomètre équivaut à un
milliardième de mètre), c'est-à-dire à l'échelle des atomes, toute sa production. Si tous les
éléments naturels sont considérés en termes de composés d'atomes et de molécules, on
pourrait bientôt ne plus faire la différence entre les technologies qui produisent des iPads et
celles qui créent de la vie.
Depuis l'an 2000, les gouvernements ont investi 50 milliards de dollars dans la recherche sur les nanotechnologies. La plupart des prix Nobel en physique et en chimie de ces quinze dernières années ont été décernés pour des travaux à l'échelle nanométrique. L'analyse des nanotechnologies conduite en 2004 par la Royal Society britannique a révélé qu'il y avait plus de scientifiques travaillant sur les nanotechnologies dans la région de Pékin que dans toute l'Europe occidentale, et qu'ils ne coûtaient qu'un vingtième de ce que coûtent leurs confrères européens. Une cinquantaine de pays ont désormais lancé des programmes et des initiatives sur les nanotechnologies : la compétition technologique fait rage, chacun craignant d'être laissé en rade. Les gourous des nanotechnologies estiment que le marché mondial des (environ) 2000 produits incorporant des matériaux nanométriques (notons qu'il s'agit bien de la valeur de ces produits et non de la valeur de la nanotechnologie elle-même) s'élèverait à 400 milliards de dollars, et que ce chiffre devrait passer à 2,6 billions d'ici 2014. Dans ce cas, et en gardant en tête la tendance récurrente de l'industrie à gonfler ses prévisions, les nanotechnologies pourraient représenter jusqu'à 15% de la production industrielle mondiale, avec une valeur marchande équivalente à celles de l'industrie des télécommunications et de l'informatique et en s'accaparant des parts de marché dix fois supérieures à celles de la biotechnologie – et il ne s'agirait pour autant que d'un début. La recherche en nanotechnologie a attiré davantage d'investissements publics que le « Manhattan Project » et le programme Apollo réunis. Même après tant d'argent dépensé, les gouvernements ne pensent toujours pas à la santé, à l'environnement et aux moyens de subsistance. Bien que les nanomatériaux se soient déjà introduits dans les aliments, les pesticides, les produits cosmétiques, les crèmes solaires et les textiles, à une échelle où ils peuvent pénétrer notre peau ou nos organes sans être détectés par notre système immunitaire, il n'existe dans le monde pour ainsi dire aucune réglementation en matière de sécurité. Si les nanotechnologies sont aussi attractives pour les industriels, c'est qu'elles permettent de multiplier les utilisations de la table périodique des éléments et de changer radicalement les besoins en matières premières. Avec l'évolution des nanotechnologies, les richesses nationales présumées pourraient rapidement gagner ou perdre en valeur. Thérapie n°4 : la biologie synthétique
Pour en arriver à l'après-pétrole, nous disent les industriels, nous devons créer une biomasse unique. Pour les praticiens de la biologie synthétique, la vie ressemble à un jeu de construction Lego. La double hélice de l'ADN n'est qu'une sorte de montage chimique que l'on peut réassembler avec d'autres pièces[1]. Ces ingénieurs, dont la plupart n'ont pas une formation de biologiste, sont en train d'essayer de construire des organismes artificiels autoreproducteurs doués d'une infinité de capacités. La biologie synthétique permet non seulement de fabriquer de l'ADN, mais aussi d'apprendre au mécanisme des cellules à lire l'ADN de manière différente[2]. Des scientifiques de l'Université de Cambridge ont réussi à convaincre des cellules de lire les quatre lettres des nucléotides d'une séquence ADN en combinaisons, ou codons, plus larges[3]. Cet ADN plus intelligent n'a plus seulement à sa disposition les 20 acides aminés qui permettent habituellement de construire les différentes protéines, mais, en théorie, 276 acides aminés à mélanger et à combiner jusqu'à concevoir des protéines qui n'existent pas dans le monde naturel, les briques de base de formes de vie totalement inédites. Les scientifiques ont déjà élaboré des doubles hélices à 5 ou 6 bases. Il y a quelques mois, J. Craig Venter a fait sensation en annonçant que sa société de recherche scientifique privée était parvenue à mettre au point le premier microorganisme synthétique et autoreproducteur, appelé « Synthia ». De nombreux scientifiques considèrent désormais Synthia comme la plus importante avancée scientifique depuis la fission de l'atome. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Pendant ce temps, le consortium iBol (le « Code barre international de la vie ») cherche à cartographier le code génétique de toutes les espèces connues, en publiant ces cartographies sur internet, et en déposant un échantillon aux États-Unis. Une fois ces données en main, les chercheurs pourront, avec l'aide de la technologie auto-reproductive de Craig Venter, télécharger des modèles génétiques et les tordre comme bon leur semble pour créer de nouvelles formes de vie. Certains estiment que les banques de gènes, les zoos, les jardins botaniques et les programmes de conservation en général sont absurdes. En théorie, il est possible de créer (et de breveter) plus de biodiversité artificielle dans un tube à essai qu'il n'y a de biodiversité naturelle en Amazonie. Conséquence n°1 : des individus de destruction massive
Pour l'industrie, les nouveaux tours de magie technologiques ont un effet secondaire particulièrement séduisant : presque tout le monde peut manipuler presque n'importe quoi et devenir un engin de destruction massive en puissance, et l'État va donc inévitablement chercher à contrôler massivement tout le monde. Les moyens de destruction sont-ils réellement aussi facilement disponibles ? Les nanotubes de carbone ne sont transportés par avion qu'en infimes quantités, car ils risqueraient d'exploser en plus gros paquets. L'oxyde d'aluminium utilisé par les dentistes est également explosif sous forme de nanoparticules (l'armée de l'air américaine expérimente actuellement son utilisation potentielle pour le déclenchement de bombes). Les nanoparticules d'or, qui sont composées de sept à vingt-et-un atomes, peuvent servir de catalyseurs. Et alors ? Si l'on se fie à l'une des vidéos les plus vues sur internet, si vous jetez un Mentos dans une bouteille de deux litres de Coca light, celle-ci explosera. Mais de tous ces matériaux potentiellement explosifs – oxyde d'aluminium, nanotubes de carbone, or, Mentos et Coca-cola – seule la bouteille de Coca sera bloquée aux portiques de sécurité des aéroports. Grâce aux effets quantiques, il est possible de transformer les propriétés des éléments naturels en réduisant les particules à l'échelle nanométrique. Et cela change tout. La Russie a déjà fait exploser la première nano-bombe pour raser des bâtiments, la plus puissante arme non nucléaire au monde. Conséquence n°2 : la surveillance de masse
Les nouvelles nanotechnologies génèrent et nécessitent des systèmes de surveillance sociale. Et le coût et l'effort de cette surveillance peuvent être assumés par les consommateurs eux-mêmes. Facebook et ses 400 millions de membres en constitue l'exemple le plus révélateur. Ce que l'on ne trouve pas sur Facebook ou MySpace apparaîtra sans doute sur l'un des deux blogs qui naît chaque seconde sur la toile. La vie privée n'est plus une « norme sociale ». Pendant ce temps, YouTube charge chaque minute quelques dix heures de vidéo personnelle. Certains analystes prévoient qu'il y aura cette année autant de téléphones portables actifs que d'habitants sur la planète. La plupart ont des caméras, et un nombre inquiétant d'autres utilisent un GPS (Global Positioning System) pour signaler leur position géographique. Et ils « tweetent » sans vergogne leurs achats, leurs opinions politiques et leurs paranoïas à leurs amis ou ennemis. Les algorithmes des ordinateurs ne calculent pas seulement qui achète quoi, mais ils passent aussi au crible la nébuleuse de données afin d'identifier des tendances ou tensions naissantes qui pourraient se transformer en menaces ou en révolutions. Conséquence n°3 : des marchés de masse
Les avancées de la génomique et des neurosciences offrent de nouvelles opportunités de profit et ouvrent la voie à de nouvelles stratégies de contrôle. L'objectif affiché est de soigner des maladies, mais l'intérêt privé est d'améliorer les performances humaines tout en accroissant le contrôle. On estime qu'une personne sur dix souffre d'une anomalie physique ou mentale que quelqu'un d'autre pense devoir être soignée. Ajoutez à cela le couple sur six confronté à des troubles de la fécondité, les parents qui veulent sélectionner le sexe de leur prochain enfant, et vous obtenez un marché de l'amélioration de la performance potentiellement sans limites. Des cliniques privées affirment qu'elles peuvent maintenant diagnostiquer près de 150 maladies génétiques chez des embryons. Pourtant, il semble que nous soyons incapables de traiter les maux de la pauvreté, la pollution ou le patriarcat ! www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
L'amélioration de performance, bien sûr, sera coûteuse… et irrémédiable. L'implant de puces neuronales permettra aux familles d'acheter des mises à jour pour leurs enfants (sans quoi un enfant version 2.0 pourrait se retrouver à régler ses comptes avec un frère version 2.3 enfanté par des parents has been version 1.0 !). La performance sera accompagnée d'un terminator qui rendra les parents stériles jusqu'au renouvellement de leur licence pour la prochaine génération. Ceux qui refuseront ou qui ne pourront se permettre les améliorations de performance se retrouveront à la marge. Mais qui détiendra la télécommande de ces neuropuces implantées dans nos cerveaux ? Conséquence n°4 : un corporatisme national de masse
La collusion entre élites industrielles et éminences gouvernementales ne date pas d'hier. Mais la multiplication des risques induits par les thérapies de choc nécessite un renforcement des efforts de coordination entre industrie et gouvernement. Les gouvernements veulent se procurer les tours de magie technologiques (et les moyens de dénier les problèmes) ; les industriels veulent sécuriser leur investissements, garder leurs dettes sous contrôle et s'octroyer un monopole sans entrave sur les ressources naturelles. Pour réaliser ces tours de passe-passe technologiques, la taille compte. Le chiffre d'affaire global des fusions d'entreprises s'élevait à environ 20 milliards de dollars en 1975. Avant la crise financière, ce chiffre a bondi pour atteindre près de 4,5 billions de dollars. Le secteur industriel pourrait bien renforcer ses alliances et ses consortiums dans les années à venir afin d'éviter une surveillance trop minutieuse. La propriété intellectuelle et autres formes de monopole technologique engendrent déjà de nouvelles alliances. Les brevets accordés ces dernières années recouvrent un tiers de la classification périodique des éléments, deux tiers de la production industrielle, et la quasi intégralité des espèces agricoles. Le brevet américain 5,874,029 porte sur des méthodes de « nano- isation » des particules. Le procédé peut être utilisé dans les industries pharmaceutique, alimentaire, chimique, électronique ou d'enrobage, mais aussi dans la fabrication de catalyseurs, de polymères, de pesticides et d'explosifs, autrement dit dans l'économie toute entière. Le brevet américain 5,897,945 s'attribue la propriété de nanotiges contenant n'importe lequel de 33 éléments, soit un tiers des éléments fonctionnels de la classification périodique. Pendant ce temps, six firmes agro-industrielles ont demandé –et obtenu – des brevets sur des plantes sur la base de génome en masse, étendus à toutes leurs utilisations comme matières premières. Cette stratégie du choc sera-t-elle vraiment efficace ? Bon nombre des thérapies et des bénéfices attendus vont échouer. Toutefois, même des échecs technologiques peuvent générer d'importants profits. Alors que nos gouvernements se rassemblent à Rio pour célébrer vingt ans d'échecs politiques et d'inaction, nous devons nous rappeler que le seul antidote à nos cinquante années de progression vers un printemps silencieux est une lutte de cinquante années supplémentaires de la part d'une société civile tout sauf silencieuse. • Pat Mooney est le directeur de l'ETC Group. http://www.etcgroup.org/en/about/staff/pat_mooney Traduction : Mathilde Baud Cet article est basé sur une version antérieure publiée par Canadian Dimension. NOTES [1] L'ADN est une molécule qui renferme l'ensemble des informations nécessaires au développement et au fonctionnement de tout organisme vivant. L'ADN est composée d'éléments basiques appelés nucléotides, qui sont reliés ensemble par une structure faite de groupements de phosphate et de sucre. L'ADN possède une structure en double hélice. [2] La biologie synthétique (également connue sous le nom de génomique synthétique ou biologie constructive) combine la biologie et les principes d'ingénierie dans le but de concevoir et construire de nouveaux systèmes biologiques, ou d'optimiser des systèmes déjà existants en leur ajoutant des fonctions spécifiques. Les progrès des nanotechnologies – manipulation de la matière à l'échelle des atomes et des molécules – contribuent aux progrès de la biologie synthétique. [3] Un codon est une série de trois nucléotides liés entre eux dans un ordre spécifique. Lors du processus de synthèse des protéines, c'est la combinaison du codon qui détermine quel acide aminé entrera dans la composition de la protéine en formation dans la cellule. Chaque codon code un acide aminé en particulier. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Continent immense, technologie minuscule : la nanotechnologie et l'Afrique Kathy Jo Wetter Malgré les affirmations sur leur capacité prétendument incontestable à résoudre les problèmes sociaux et sanitaires de l'Afrique, le développement des nanotechnologies nécessite une réflexion critique sérieuse, selon Kathy Jo Wetter. Dans cet article sur la nanotechnologie et ses risques, Wetter souligne les nouvelles opportunités de contrôle monopolistique qu'offre cette technologie, « à la fois sur la matière animée et inanimée », alors que les régulations gouvernementales à travers le monde restent totalement inadaptées à des menaces inédites. Le numéro d'août 2010 de NANO Magazine [mensuel britannique sur la nanotechnologie], qui mettait l'accent sur l'impact positif attendu des recherches à l'échelle nano pour le monde en développement, comprenait des articles sur la génération d'énergie, la prévention des maladies et la purification de l'eau. Ces articles suivent un modèle désormais familier : un description de l'horrible ampleur des problèmes actuels (par exemple l'eau souillée, responsable de 6000 décès par jour), suivie d'une présentation de recherches prometteuses dans le domaine de la nanotechnologie qui sembleraient pouvoir résoudre tel problème (par exemple, les particules électrostatiquement chargées à l'échelle nano retirent les contaminants présents dans l'eau). On attend des lecteurs qu'ils additionnent deux et deux pour en arriver à cette conclusion logique et inévitable : comment dire Non aux nanos ? De fait, les 19 pays membres du Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) ont clôturé leur récent sommet, intitulé « Harnessing Science and Technology for Development » [Domestiquer la science et la technologie pour le développement] en incitant à la promotion et à l'utilisation de la nanotechnologie et de la nanoscience, « étant donné leurs applications potentielles dans plusieurs domaines importants, comme la médecine »[1]. Ce n'était bien sûr pas la première fois que des experts mettaient en avant le développement des nanotechnologies comme solution aux problèmes les plus urgents des pays du Sud. En 2005, le « Groupe de travail sur la Science, la technologie et l'Innovation » du Projet du Millénaire des Nations Unies avait déjà identifié la nanotechnologie comme un outil crucial pour combattre la pauvreté et atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement. Au début de l'année 2010, cependant, les participants à un atelier régional de sensibilisation en Côte d'Ivoire portant sur les problématiques liées aux nanotechnologies insistaient sur le droit des pays à accepter ou rejeter l'importation et l'utilisation de nanomatériaux manufacturés dans une optique de réduction des risques[2]. Ils ont également souligné la nécessité de prêter attention au principe primordial de précaution, aux risques éthiques et sociaux de la nanotechnologie, et non seulement à ses bénéfices, particulièrement dans les pays en développement ou en transition économique. Un groupe d'experts africains en venait ainsi à s'interroger sur le bien-fondé supposé du rôle central de la nanotechnologie dans la résolution des problèmes du monde en développement, allant même jusqu'à suggérer que, dans certains cas, il pouvait être judicieux de « dire Non aux nanos ». Qu'est-ce que la nanotechnologie et quels sont ses risques ?
La nanotechnologie est un ensemble de techniques utilisées pour manipuler la matière à l'échelle des atomes et des molécules. La nanotechnologie est une question d'échelle : « nano » se réfère à une mesure et non à un objet. Un nanomètre (nm) équivaut à un milliardième de mètre. Dix atomes d'hydrogène alignés côte à côte sont l'équivalent d'un nanomètre. Une molécule d'ADN mesure environ 2,5 nm de largeur (ce qui fait de l'ADN un nano-matériau). En comparaison, un globule rouge est énorme, puisqu'il mesure environ www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
5000 nm de diamètre. A l'échelle nano, tout est invisible à l'œil nu, et même pour les microscopes à l'exception des plus puissants. Ce n'est que dans le dernier quart du siècle que l'on a réussi à modifier intentionnellement la matière à l'échelle nano. Pour comprendre le potentiel de la nanotechnologie, il faut savoir qu'à l'échelle nano, les propriétés d'un matériau peuvent changer radicalement ; ces changements sont appelés « effets quantiques ». Avec seulement une réduction de taille (à environ 300 nm ou moins sur une dimension au moins) et aucun changement de substance, les matériaux peuvent présenter de nouvelles caractéristiques, telles que la conductivité électrique, la biodisponibilité, l'élasticité, une plus grande force ou réactivité - des propriétés que ces mêmes substances peuvent ne pas présenter à des échelles plus importantes. Par exemple, le carbone sous forme de graphite (comme dans les mines de crayon) est souple et malléable ; à l'échelle nano, le carbone est plus solide que l'acier et six fois plus léger. À l'échelle nano, le cuivre est élastique à température ambiante, capable de s'étendre jusqu'à 50 fois sans casser par rapport à sa longueur d'origine. Les chercheurs exploitent ces changements de propriété à l'échelle nano pour créer de nouveaux matériaux et modifier les matériaux existants. À travers le monde, les gouvernements ont déjà investi plus de 50 milliards de dollars US dans la recherche sur la nanoscience et la nanotechnologie. Une firme d'analyse de marchés prévoit que le secteur privé investira la somme prodigieuse de 41 milliards de dollars cette année. Les entreprises fabriquent des nanoparticules qui sont désormais utilisées dans des milliers de produits commerciaux, parmi lesquels des textiles, des peintures, des cosmétiques et même des produits alimentaires. Les manipulations à l'échelle nano étant maintenant aisément réalisables, et tous les composants de base de la matière vivante et non vivante existant à l'échelle nano (atomes, molécules et ADN, par exemple), il est aujourd'hui possible de faire converger les technologies à un degré inédit. La convergence technologique, rendue possible par la nanotechnologie et ses outils, peut impliquer entre autres la biologie, la biotechnologie et la biologie synthétique, la physique, les sciences des matériaux, la chimie, les sciences cognitives, l'informatique, le génie géologique, l'électronique et la robotique. A l'échelle nano, il n'y a pas de différence qualitative entre la matière vivante et non vivante. (L'ETC Group utilise le terme BANG pour désigner cette convergence technologique : ce sont les premières lettres de « bits, atomes, neurones et gènes », c'est-à-dire tout ce qui peut s'imbriquer lorsque plusieurs technologies convergent.) Conséquences commerciales
La conséquence la plus directe de la création de nouveaux matériaux à l'aide de la nanotechnologie réside dans la multiplication des options disponibles en termes de matière première pour les producteurs industriels, ce qui pourrait entraîner des ruptures majeures dans les marchés traditionnels des matières premières. Il est encore trop tôt pour dire avec certitude quelles matières premières ou quels ouvriers seront touchés, et à quelle échéance. Cependant, si un nouveau matériau nano-fabriqué s'avère plus performant qu'un matériau traditionnel et qu'il peut être produit à coût égal, il est probable qu'il le remplacera. L'histoire suggère qu'on assistera à une pression pour remplacer les matières premières telles que le coton et les minéraux stratégiques (tous deux fortement présents en Afrique et sources critiques de revenus d'exportation) par des matériaux bruts moins chers, qui peuvent être trouvés ou fabriqués au niveau local grâce à de nouveaux processus industriels. La destruction d'emplois entraînée par l'obsolescence de certaines matières premières touchera les plus pauvres et les plus vulnérables, particulièrement les ouvriers qui ne possèdent pas la flexibilité économique qui leur permettrait de répondre aux demandes subites de nouvelles compétences ou de matières premières différentes. (Au regard de la faiblesse et de l'instabilité des prix des matières premières à l'exportation et de la pauvreté persistante des nombreux travailleurs qui produisent ces matières premières, il paraît difficile de se contenter de défendre le statu quo. Mais il ne s'agit pas de cela. Le problème le plus urgent est que les nanotechnologies sont susceptibles d'entraîner d'énormes perturbations socio-économiques auxquelles la société n'est pas préparée.) www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Les bénéficiaires des changements soudains de la demande seront ceux qui sont en position d'anticiper ces évolutions, tandis que les perdants seront les producteurs de matières premières primaires, qui ne sont pas conscients de changements imminents et/ou pas en mesure d'effectuer les ajustements rapides nécessaires pour faire face aux nouvelles demandes. L'Afrique du Sud
L'Afrique du Sud a eu les yeux rivés sur la nanotechnologie durant la plus grande partie de la dernière décennie précisément pour cette raison, prêtant une attention particulière à l'impact que les nouveaux nanomatériaux pourraient avoir sur les marchés des minéraux. En 2005, le Ministre de la science et de la technologie de l'époque, Mosibudi Mangena, avait prévenu : l'investissement nanotechnologiques, les matériaux les plus traditionnels […] seront […] remplacés par des [matériaux] meilleur marché, riches et plus solides sur le plan fonctionnel. Il est important de s'assurer que nos ressources naturelles ne deviennent pas superflues, particulièrement parce que notre économie en est toujours très dépendante. »[3]. Le gouvernement a lancé sa Stratégie nationale pour les nanotechnologies la même année, finançant de la recherche-développement (R&D) à travers le Département de la science et de la technologie, dont le budget global pour l'année 2009-2010 approchait les 600 millions de dollars US. L'Afrique du Sud joue également un rôle dans un programme de R&D nanotechnologique coopératif sous l'égide du Forum de dialogue Inde-Brésil-Afrique du Sud (IBSA). La nanotechnologie est l'un des domaines de collaboration scientifique, piloté par l'Inde et financé par un pool de recherche trilatéral de 3 millions de dollars. Conséquences sanitaires et environnementales
Les qualités qui rendent les nanomatériaux si attractifs pour l'industrie dans une grande variété de domaines, tout particulièrement les produits pharmaceutiques – mobilité et petite taille, même échelle que les processus biologiques, et propriétés inhabituelles - se révèlent être les mêmes qualités qui peuvent les rendre nocives pour l'environnement et la santé humaine. Les cellules humaines sont généralement plus grandes que l'échelle nano – de l'ordre de 10-20 microns de diamètre (10 000-20 000 nm) -, ce qui signifie que les matériaux et les appareils à l'échelle nano peuvent facilement pénétrer dans la plupart des cellules, souvent sans déclencher aucune forme de réaction immunitaire. Alors qu'il existe une grande incertitude à propos de la toxicité des nanoparticules, des centaines d'études publiées existent aujourd'hui qui prouvent que certaines nanoparticules manufacturées actuellement largement utilisées au niveau commercial (zinc, oxyde de zinc, dioxyde d'argent et de titane entre autres), peuvent être toxiques. Certaines nanoparticules peuvent traverser le placenta, présentant des risques significatifs pour les embryons en développement. Ce sont les travailleurs exposés régulièrement aux nanoparticules dans le cadre leur activité professionnelle qui sont potentiellement les plus menacés. En 2002, l'ETC Group a demandé un moratoire sur la commercialisation des nouveaux produits nano jusqu'à ce que leur sûreté soit établie, afin de protéger ouvriers et consommateurs. En 2007, une large coalition d'organisations de la société civile, d'organisations d'intérêt général, d'organisations environnementales ou liées au monde du travail du monde entier ont travaillé sur un ensemble de « Principes pour la surveillance des nanotechnologies et des nanomatériaux, basés sur le principe de précaution »[4]. À l'exception gouvernementale n'existe à ce jour qui soit adaptée aux risques inédits que présentent les matériaux à l'échelle nano. Les produits nano sont librement commercialisés. Alors que personne ne connaît le nombre de travailleurs actuellement exposés à des nanomatériaux manufacturés, il est prévu que le nombre de personnes travaillant dans le domaine de la nanotechnologie atteindra 10 millions à travers le monde dans les cinq prochaines années. Étant donné les incertitudes relatives à l'exposition et aux effets sur la santé, le syndicat international UITA (ou IUF en anglais, qui regroupe les travailleurs de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de l'hôtellerie du monde entier) a demandé un moratoire sur les utilisations commerciales de la nanotechnologie dans l'alimentation et l'agriculture. Les participants à la conférence en Côte d'Ivoire ont raisonnablement recommandé que les www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
travailleurs soient impliqués dans le développement de mesures et de programmes professionnels de santé et de sécurité au travail en matière de nanofabrication, et les pays ont été encouragés à mettre en place des dispositions légales visant à assurer la sûreté de toutes les pratiques de production, utilisation, transport et élimination des nanoparticules et des nanomatériaux. Qui est aux commandes ?
La nanotechnologie offre de nouvelles opportunités de contrôle monopolistique généralisé à la fois sur la matière vivante et non vivante. Fondamentalement, breveter l'échelle nano pourrait signifier la monopolisation par certaines entreprises des éléments de base qui rendent la vie possible. Alors que les brevets sur la biotechnologie concernent les produits et les processus biologiques, les brevets sur la nanotechnologie peuvent porter littéralement sur les éléments eux-mêmes, ainsi que sur les composés ou les appareils qui les intègrent. Avec les technologies à l'échelle nano, la question n'est plus seulement celle des brevets sur la vie, mais sur l'ensemble de la nature, ouvrant la voie à de nouvelles perspectives en termes de biopiraterie (voir l'article de Oduor Ong'wen dans ce numéro spécial). Le contrôle et la propriété de la nanotechnologie est une question vitale pour tous les gouvernements, une seule innovation à l'échelle nano pouvant être pertinente pour de nombreuses applications très différentes dans divers secteurs industriels. Parmi les personnes qui estiment que la nanotechnologie peut bénéficier à l'Afrique, beaucoup ignorent les réalités du transfert de technologie et de la propriété intellectuelle. La propriété intellectuelle est impulsée par le Nord et promeut les intérêts des groupes économiques dominants, aussi bien au Nord et que dans le Sud. D'après une étude réalisée en 2006, l'Afrique représente seulement 0,4% des brevets accordés à travers le monde, alors que les États-Unis et l'Europe rassemblent à eux deux 81,8% de ces brevets[5]. En trois décennies (de 1976 à 2006), plus de 12 000 brevets ont été attribués dans le domaine de la nanotechnologie par les trois bureaux responsables de la plupart des brevetages de nanotechnologie à travers le monde : le Bureau des brevets et des marques de commerce des États-Unis (USPTO), l'Office européen des brevets et l'Office japonais des brevets[6]. Depuis mars 2010, près de 6 000 brevets de nanotechnologie ont été attribués par l'USPTO, et 5 184 candidatures attendent d'être examinées. Des multinationales, des universités et des start-ups travaillant dans le domaine de la nanotechnologie (essentiellement dans les pays de l'OCDE) se sont assurés de « brevets fondamentaux » sur des outils, matériaux et processus nanotechnologiques (c'est-à-dire des inventions déterminantes sur lesquelles les innovations postérieures sont basées), et les « enchevêtrements de brevets » dans le domaine des nanotechnologies provoquent déjà des inquiétudes aux États-Unis et en Europe. Pendant ce temps, les gouvernements africains sont soumis à une pression constante pour promulguer des lois plus sévères sur la propriété intellectuelle, favorables aux droits des détenteurs de brevets. En juin, le gouvernement des États-Unis, qui aurait dépensé des millions de dollars dans la campagne pour un Accord d'échange anti-contrefaçon (ACTA), a organisé un atelier régional de trois jours à Kampala (Ouganda), où la Communauté est-africaine a été encouragée a prendre la tête - dans l'intérêt de la sûreté publique ! – du développement de procédures de mise en œuvre et de contrôle du respect de la propriété intellectuelle, ainsi que de normes régionales[7]. Les chercheurs des pays du Sud risquent fort de constater que les possibilités de participation à la « révolution nanotechnologique » propriétaire sont extrêmement limitées par le nombre des brevets, qui les obligent à payer des royalties et des frais légaux pour lever ces barrières à l'entrée. Cela ne vise pas à suggérer qu'une nanotechnologie libérée des entraves des brevets répondrait pour autant aux besoins les plus urgents des pays du Sud. Au contraire, une rustine technologique ne pourra jamais amener l'équité. En fin de compte, cependant, la nanotechnologie va profondément affecter l'économie de l'Afrique, indépendamment de son niveau de participation directe ou de la manière dont elle gérera les questions de propriété intellectuelle. Il est primordial que les pays africains en voie de développement dépendants de l'exportation de leurs matières premières acquièrent une meilleure compréhension de l'orientation et des conséquences des transformations technologiques induites par la nanotechnologie, et qu'ils participent aux décisions sur la www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
manière dont les technologies convergentes pourraient affecter leur avenir. Des approches innovantes sont nécessaires pour contrôler et évaluer l'introduction des nouvelles technologies. Des stratégies de prévention et d'alerte précoce doivent être développées pour suivre le rythme de l'évolution technologique. Les recommandations mises en avant par les participants de l'atelier régional en Côte d'Ivoire constituent un bon début. L'ETC Group a demandé la création d'une Convention internationale globale pour l'évaluation des nouvelles technologies (ICENT) dans le cadre des Nations unies. • Kathy Jo Wetter [http://www.etcgroup.org/en/about/staff/kathy_jo_wetter] a travaillé pour l'ETC Group dans leurs bureaux de Carrboro, en Caroline du Nord (États-Unis), en tant que chercheuse et assistante du directeur des recherches. Traduction : Amélie Brunel. NOTES [1] ‘Africa: Nineteen countries pledge to promote science', University World News, numéro 139, 12 septembre 2010, http://www.universityworldnews.com/article.php?story=20100911201707964, avec un lien vers le communiqué du Sommet. [2] « Résolution sur les nanotechnologies et les nanomatériaux manufacturés par les participants au rassemblement régional africain sur la mise en place de l'Approche stratégique de gestion internationale des produits chimiques », Abidjan, Côte d'Ivoire, 25-29 janvier 2010. Cet événement faisait partie d'une série d'ateliers régionaux de sensibilisation organisée par l'Institut des Nations unies pour la formation et la recherche (UNITAR) et l'OCDE. [3] Discours d'ouverture de M. Mosibudi Mangena, Ministre de la science et de la technologie, lors d'un rapport sur l'état d'avancement du projet AuTEK au Centre international de conventions du Cap, le 8 février 2005. [4] Ces Principes peuvent être consultés en ligne à l'adresse suivante : [5] Sikoyo, G., Nyukuri, E., Wakhungu, J. (2006), Intellectual Property Protection in Africa: Status of Laws, Research and Policy Analysis in Ghana, Kenya, Nigeria, South Africa and Uganda, Collections Ecopolicy, éditions ACTS. [6] Hsinchun, C. et al., ‘Trends in nanotechnology patents', Nature Nanotechnology, Vol. 3, mars 2008, pp. [7] Wambi Michael, ‘U.S. Intensifies Anti-Counterfeit Drive in East Africa', Inter Press Service, 19 juillet 2010 : http://ipsnews.net/news.asp?idnews=52228 Biopiraterie, régimes de propriété intellectuelle et moyens de subsistances en Afrique Oduor Ong'wen Les pays africains sont les premières victimes de la privatisation grandissante des plantes africaines, écrit Oduo Ong'wen. Même si les plantes brevetées sont souvent d'origine africaine, une fois brevetées par les sociétés multinationales, il devient de fait impossible de les utiliser pour le bien public. cc Wikimedia Des milliers de brevets ont été déposés sur les plantes africaines. Ils portent par exemple sur la brazzéine, une protéine extraite d'une plante gabonaise 500 fois plus sucrée que le sucre ; le teff, une céréale utilisée en Éthiopie pour la préparation de l'injera, une crêpe fermentée ; et la thaumatine, un édulcorant naturel extrait d'une plante d'Afrique de l'Ouest. La baie de www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Gopo, le haricot dolique Kunde Zulu et le matériel génétique de la plante de cacao d'Afrique de l'Ouest sont également brevetés. Les pays africains intentent de plus en plus de procès contre les brevets déposés sur leurs plantes indigènes. Le procès le plus célèbre concerne le cactus hoodia du désert de Kalahari. Durant des siècles, le peuple San d'Afrique australe s'est nourri des morceaux de ce cactus pour vaincre la faim et la soif. Après analyse du cactus, le Conseil pour la recherche scientifique et industrielle (Council for Scientific and Industrial Research ou CSIR) d'Afrique du Sud a découvert la molécule qui coupe la faim et la soif, et a vendu les droits de développer un médicament contre l'obésité à la société pharmaceutique Pfizer. Cette molécule pourrait rapporter des milliards. Le développement commercial de matériaux biologiques de provenance naturelle, comme les substances végétales ou les lignées génétiques de cellules, par un pays technologiquement avancé ou par une société transnationale sans compensation équitable des peuples ou des nations des pays en développement est un des cas les plus graves d'aliénation de ressources naturelles. L'appropriation et le brevetage de nanotechnologies par des entreprises ont le plus souvent desservi les intérêts de l'humanité, et en particulier ceux des régions du monde les moins développées. Biotechnologie et droits de propriété intellectuelle
Les droits de propriété intellectuelle, comme le suggère l'expression, sont censés être des droits relatifs à des idées et des informations qui sont utilisées pour des inventions et procédés nouveaux. Ces droits permettent à leur détenteur d'écarter les imitateurs de la commercialisation de ces inventions et procédés pendant une période donnée. En contrepartie, il est tenu de rendre publique la formule ou l'idée à la base du produit ou du procédé. Il y a fort longtemps, Aristote a réfléchi aux manières de récompenser les inventeurs. Bien que les origines des brevets et des autres droits de propriété intellectuelle soient mal connues, les premiers brevets en Angleterre remonteraient au XVe siècle. Depuis cette époque, la législation sur les brevets a subi plusieurs itérations, reflétant un processus continu de co-évolution des technologies et de la société. La mondialisation conduit à une harmonisation des régimes de droits de propriété intellectuelle du monde entier, et ce malgré le fort contraste de richesse entre les pays les plus et les moins développés. L'effet de ces droits de propriété intellectuelle est donc de créer un monopole sur l'exploitation commerciale d'une idée ou d'une information pour une période limitée. Alors que les droits de propriété intellectuelle comme les droits d'auteur, les brevets et les marques déposées sont vieux de plusieurs siècles, l'extension de ces droits aux êtres vivants, ainsi qu'aux savoirs et aux technologies portant sur eux, est relativement récente. L'Acte sur le brevetage des plantes américain (US Plant Patent Act) fut voté en 1930, consacrant l'extension des droits de propriété intellectuelle aux variétés végétales à reproduction asexuée. Plusieurs autres pays ont par la suite étendu l'une ou l'autre forme de protection des variétés de plantes, jusqu'en 1961 où la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales fut signée. La plupart des signataires étaient des pays industrialisés, qui ont également formé l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV). Le traité est entré en vigueur en 1968. Les droits sur les variétés végétales ou droits des obtenteurs donnent à leur détenteur des pouvoirs de régulation limités sur la commercialisation de « leurs » variétés. Jusqu'à récemment, la plupart des pays exemptaient les paysans et éleveurs de certaines clauses de ces droits tant qu'ils ne commercialisaient pas les semences concernées. Cependant, depuis un amendement de 1991, l'UPOV elle-même a renforcé le monopole des obtenteurs, et certains pays ont supprimé une partie significative des exemptions dont bénéficiaient les paysans et éleveurs. En outre, de nombreux pays reconnaissent désormais des brevets comportant des restrictions monopolistiques totales pour les variétés de plantes, micro-organismes et animaux génétiquement modifiés. En 1972, la Cour suprême américaine a décrété que le brevet du microbiologiste Ananda Chakrabarty sur une souche bactérienne conçue par génie génétique www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
était valable. Cette décision a légitimé l'idée que toute découverte faite par l'homme non issue de la nature était brevetable. Les animaux génétiquement modifiés, comme la tristement célèbre « onco-souris » de l'université d'Harvard (générée pour la recherche sur le cancer), purent bientôt également être brevetés. Enfin, plusieurs demandes de brevets ont été déposées, et certaines acceptées, sur des matériaux génétiques humains, dont certains étaient très peu modifiés par rapport à leur état naturel. Jusqu'à très récemment, ces pratiques étaient réduites à des pays isolés, qui ne pouvaient pas les imposer aux autres. Néanmoins, avec la signature du traité relatif aux Aspects des droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce (ADPIC ou TRIPs en anglais), cela a changé. L'accord ADPIC implique que tous les pays signataires acceptent : • le brevetage des micro-organismes et des « procédés microbiologiques » ; • des formes « efficaces » de droits de propriété intellectuelle sur ces variétés de plantes, que ce soient des brevets ou de nouvelles formes. Cet accord autorise les pays à écarter les animaux et les plantes en tant que tels de la brevetabilité. Cependant, les clauses évoquées ci-dessus ont des implications suffisamment sérieuses, car aucun pays n'est plus autorisé à exclure le brevetage des formes de vie en général (les micro-organismes sont ouverts au brevetage). Biotechnologies, brevets et biodiversité
La biodiversité est à la base de la vie économique, sociale et culturelle de milliards d'individus, et en particulier des communautés indigènes. Il va sans dire que la préservation de la biodiversité face aux attaques bien connues dont elle fait l'objet est bien plus qu'une préoccupation esthétique ou strictement environnementale. L'agriculture, les produits pharmaceutiques, la forêt, la pêche et le tourisme, entre autres, sont autant de domaines économiques majeurs lourdement dépendants de la biodiversité, laquelle ne manque donc pas de susciter un vif intérêt de la part des chercheurs de l'industrie et des investisseurs. Il est incontestable que la gestion des ressources biologiques a un effet profond, pour le meilleur ou pour le pire, sur la biodiversité et les services écologiques qui lui sont liés, et qui maintiennent la vie. La destruction d'habitats par des utilisations humaines souvent en compétition entre elles a entraîné la perte de nombreuses espèces de faune et de flore, connues ou inconnues. Le récent et inédit intérêt commercial dont elle fait l'objet peut jouer un rôle dans la préservation de la biodiversité. Mais il peut aussi la détruire irréversiblement. L'essentiel des enjeux se concentre autour d'une part de la Convention sur la diversité biologique (CDB), qui cherche à conserver la biodiversité et protéger les droits des communautés, et d'autre part de l'accord ADPIC de l'Organisation mondiale du commerce, qui soutient les droits de propriété privée au détriment des droits communautaires. Il y a des contradictions fondamentales entre les objectifs de l'accord ADPIC et ceux de la CDB, reflétant l'absence de consensus international sur ces questions difficiles de droits et d'équité. En 2002, autour du hoodia gordonii s'est écrite une nouvelle page de l'histoire globale de l'exploitation des peuples indigènes. Durant des milliers d'années, le peuple San de Namibie a consommé le cactus hoodia – appelé « xhoba » en dialecte local – afin de lutter contre la faim et la soif pendant les longues périodes de chasse. Outre le fait de soulager la faim et la soif, le xhoba entraîne également un état de vigilance accrue, sans la nervosité causée par les régimes occidentaux à base de caféine. Ce choix était donc idéal pour les longues chasses, durant lesquelles la proie est traquée sur des centaines de kilomètres. Dans le milieu des années 1990, des scientifiques sud-africains du Conseil pour la recherche scientifique et industrielle (CSIR) ont commencé à étudier les propriétés de la xhoba. Des animaux de laboratoire alimentés de la pulpe du cactus ont perdu du poids, sans contracter de maladies. C'est durant ces tests que les chercheurs du CSIR ont découvert que la plante contenait une molécule inconnue jusqu'alors, qu'ils ont nommée P57. Le CSIR, qui a breveté le composé en 1997, a vendu la licence à Phytopharm plc, qui en 1998 a sous-loué la molécule ainsi que les droits de commercialisation au géant pharmaceutique Pfizer pour 32 millions de dollars, sans compter les royalties sur les futures ventes. Le CSIR a été accusé de vendre un bien qui ne lui appartenait pas, même s'il prétend défendre les intérêts bien compris du www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
peuple San. Ce dernier a poursuivi en justice le CSIR et va à présent obtenir 8% des profits du médicament contre l'obésité dérivé du hoodia, plante qu'ils connaissent intimement. Dans le milieu des années 1980, des chercheurs australiens, sous l'autorité du Dr. John Firsch, ont conclu au besoin d'introduire des races bovines adaptées au climat tropical sans lien avec les vaches Brahmanes d'Australie, qui viendraient compléter les attributs génétiques de ces dernières. Ils sont partis en Afrique. Après une évaluation minutieuse, les candidats les plus appropriés se sont révélés être les vaches Boran du Kenya et les Tuli du Zimbabwe. Les facteurs déterminants de sélection étaient la productivité, la haute fertilité et l'adaptabilité aux régions chaudes. Les deux races ont une longue histoire dans l'élevage bovin en conditions arides ; cette propriété, en plus de leurs très grandes différences génétiques avec les races précédemment introduites, auguraient bien de la réussite du projet. La vache Tuli est appréciée pour de nombreuses qualités, parmi lesquelles la haute fertilité, une qualité supérieure de la viande de boeuf et un tempérament docile. Elle a également démontré sa forte résistance aux contraintes environnementales. La race est originaire du Zimbabwe et de la Zambie. En 1987, une joint-venture entre l'Organisation de Recherche Scientifique et Industrielle du Commonwealth (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation ou CSIRO), une agence gouvernementale australienne, et le Consortium des Producteurs de Boran et de Tuli, un consortium de producteurs australiens, a furtivement collecté des embryons de Tulli et de Boran, respectivement au Zimbabwe et en Zambie. Les embryons ont été discrètement emmenés dans les îles Cocos en août 1988, où ils ont été implantés dans des vaches porteuses. En mars 1990, des veaux – prétendument d'origine australienne - ont atterri en Australie. À partir de cette date, les Tuli ont été largement utilisées dans le croisement des bœufs par l'industrie locale, dont la valeur est estimée à 6,47 milliards de dollars US[1]. Les bénéfices supplémentaires engrangés par l'industrie du bétail australien grâce à l'introduction des Tuli sont estimé à 2 milliards de dollars US par an[2]. Le Consortium australien vend également des embryons sur les marchés australien et mondial. En mai 1994, une deuxième vente d'embryons de pure race Boran et Tuli s'est tenue en Australie. Les embryons Tuli ont été tellement demandés qu'un nouveau record de prix mondial a été enregistré, à 5500 dollars. Mais l'Australie ne vend pas que des animaux hybrides. L'ETC Group (alors nommé RAFI) a révélé qu'en 1994, durant une vente de taureaux de pure race Tuli de 2 à 3 ans en Australie, le Consortium a également annoncé que « les ventes de sperme et d'embryons ont dépassé les prévisions avec une forte demande de la part des Amériques ». Cela démontre que des Australiens vendent des embryons pure race du Zimbabwe aux pays américains et s'en approprient tous les bénéfices. En 2003, le gouvernement kenyan s'est trouvé au coeur d'une altercation moins médiatisée avec un certain Jonathan Leakey, concernant l'exportation de produits réalisés à partir d'un arbre connu sous le nom de Mweri dans la langue Gikuyu. Le Mweri, autrement connu sous le nom de prunier d'Afrique ou pygeum africanum (« Prunus Africana » dans le jargon scientifique), est un arbre à usage multiple. Son écorce brune est utilisée pour traiter de nombreuses maladies, parmi lesquelles les complications urino-génitales, les allergies, les inflammations, les troubles rénaux, la malaria, les douleurs d'estomac et la fièvre. Il a également été utilisé dans le traitement de l'hyperplasie prostatique bénigne (BHP) et de la « maladie des vieillards ». Malgré ses origines indigènes bien connues, l'écorce du Mweri a été brevetée par un entrepreneur français, le docteur Jacques Debat. Environ 300 tonnes d'extraits d'écorce sont exportées chaque année. Au Kenya, le prix de l'écorce du Mweri est de 2 dollars US le kilo, alors que des capsules contenant des extraits d'écorces sont commercialisées en Europe au prix de 8 dollars US la boîte de 15 capsules. Un kilo d'écorce produit au bas mot une centaine de ces boîtes. Ainsi, les Français payent 2 dollars aux Kenyans pour gagner 800 dollars. De plus, si le Kenya décidait de développer ses propres capacités de production de médicaments à partir de cette écorce, il devrait payer des royalties substantielles à Jacques Debat, détenteur du brevet. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Le Centre Mondial Agro-forestier (World Agroforestry Centre ou ICRAF) basé à Nairobi et Future Harvest, organisation basée à Washington, estiment tous deux que le marché mondial des produits issus du Prunus s'élève actuellement à 220 millions de dollars US par an. Au moins 4 sociétés européennes détiennent des intérêts dans cet arbre. La matière première est « achetée » pour trois sous en Afrique et vendue à un prix exorbitant en bout de chaîne. Nanotechnologies et agrobiodiversité
Depuis l'apparition de l'agriculture il y a plus de 10 millénaires, les hommes ont cultivé les plantes et élevé les animaux pour en faire leurs sources principales d'alimentation. A travers une sélection soigneuse de caractéristiques, de goûts et de textures pour préparer de la bonne nourriture, leurs efforts ont conduit à une diversité incalculable de ressources génétiques, variétés, graines et sous-espèces à partir des plantes et animaux utilisés par les hommes pour la nourriture et l'agriculture – la biodiversité agricole[3]. La biodiversité agricole comprend également la diversité des espèces supports de la production agricole comme les organismes du sol, les pollinisateurs et les prédateurs. Ces divers variétés, semences et systèmes sont à la base de la sécurité alimentaire, et offrent une protection contre les menaces futures, l'adversité et les changements écologiques. La biodiversité agricole est ainsi le premier lien de la chaîne alimentaire, développé et sauvegardé par les peuples indigènes, les hommes et les femmes travaillant dans les fermes, habitant dans les forêts, gardant le bétail, pêchant les poissons dans le monde entier. Elle s'est développée grâce au libre échange des ressources génétiques entre producteurs alimentaires. Cette biodiversité est à présent menacée – en raison du progrès humain en matière de sciences et de technologies. Les races animales, les variétés végétales et les ressources génétiques qu'elles contiennent sont en train de s'éroder à une allure inquiétante. Il est estimé que plus de 90% des variétés agricoles ont disparu des champs au cours du siècle écoulé, et les races d'élevage se réduisent de 5% par an. La biodiversité des sols, incluant la diversité microbienne et la diversité des pollinisateurs et des prédateurs, est également en grand danger. Des actions urgentes sont indispensables pour renverser ces tendances. Le besoin urgent d'initier et de promouvoir des actions de protection des ressources génétiques ex situ dans les banques de gènes publiques, la plupart du temps mal entretenues, se fait également ressentir. Les menaces contre ces ressources, à la foi in situ et ex situ, incluent également la pollution génétique causée par les substances génétiquement modifiées et l'utilisation croissante des droits de propriété intellectuelle pour réclamer la propriété exclusive des variétés, semences et gènes, qui restreignent l'accès des paysans et autres producteurs de nourriture. Cette perte de diversité accélère le glissement vers l'insécurité alimentaire qui fait qu'aujourd'hui près de deux milliards de personnes s'endorment tous les soirs sans avoir mangé à leur faim. Les innovateurs les plus importants et les plus compétents de l'Afrique sont les petits paysans. Au Sahel, par exemple, ils produisent de 2 à 20 fois plus de protéine animale par km2 que les grandes exploitations en Australie et aux États-Unis[4]. L'innovation des paysans africains est particulièrement importante en matière d'obtention végétale. On estime que les fermiers africains utilisent des semences cultivées au sein de leurs propres communautés pour 90% de leurs besoins. La majorité des producteurs de semences sont les femmes, qui produisent 70% de la nourriture consommée dans la région. Elles sélectionnent méticuleusement ces semences en fonction des différentes variétés de sols et conditions de croissance, pour obtenir des caractéristiques comme la stabilité, la résistance aux maladies, la tolérance à la sécheresse, une saveur agréable et une bonne conservation. Les sélectionneurs formels, qu'ils soient publics et privés, demeurent relativement insignifiants. Dans la région Machaos du Kenya, par exemple, les semences commerciales comptent pour moins de 2% des semences de haricots et de pois utilisées par le paysan moyen, qui s'approvisionne en semences chez ses voisins et sur les marchés locaux à hauteur de plus de 17%[5]. Dans la région australe de l'Afrique, les semences de ferme ou multipliées localement représentent 95% des semences utilisées pour la récolte du sorgho, du millet, des légumineuses, des racines et des tubercules. En Zambie, 95% des récoltes de millet sont www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
produites à partir de semences paysannes. Même pour une culture commerciale comme le maïs, les petits cultivateurs restent les principaux fournisseurs de semences. Au Malawi, malgré des années d'efforts des sociétés semencières publiques ou privées, le maïs hybride ne couvre pas plus de 30% des champs des petits paysans. Ces derniers constituent de loin la source la plus importance de sélection de semences en Afrique, et ils ont cultivé une diversité abondante qui garantit la sécurité alimentaire du continent[6]. L'innovation des firmes semencières
La sélection semencière du secteur privé repose principalement sur les biotechnologies. La biotechnologie végétale a pris racine dans les années 1980 avec les premières mises sur le marché de variétés transgéniques. Cette commercialisation s'est accompagnée d'un renforcement des droits de propriété intellectuelle. Cependant, cette évolution n'a pas été sans soulever des problèmes. Certains de ces enjeux sont liés à des valeurs culturelles comme les droits ancestraux des paysans, le savoir traditionnel ou la souveraineté alimentaire, tandis que d'autres soulèvent des problèmes éthiques comme le brevetage des êtres vivants. La perception de l'agriculture comme « l'un des derniers bastions de liberté » de notre époque explique les craintes de nombreuses personnes quant au développement des droits de propriété intellectuelle du fait de la biotechnologie agricole. Car les paysans ont eu le droit de replanter leurs propres graines et de les vendre aux autres depuis l'aube de l'agriculture. A l'exception de quelques sociétés semencières africaines, le secteur privé des graines en Afrique est dominé par une poignée de multinationales, tout comme dans le reste du monde. Seulement six multinationales contrôlent plus de 30% du marché mondial des semences. Ces mêmes six sociétés contrôlent plus de 70% du marché mondial des pesticides, et plus de 98% du marché mondial des récoltes génétiquement modifiées brevetées. La vision à la base de cette intégration de l'industrie des semences, des pesticides et de la biotechnologie est le développement de semences transgéniques programmées pour croître sous certaines conditions. Ces entreprises se sont servies du génie génétique pour développer des variétés qui ne se reproduisent pas aux générations suivantes, des plantes résistantes aux herbicides qu'elles commercialisent par ailleurs, ou qui ne poussent pas convenablement sans avoir été vaporisées de concoctions chimiques brevetées. Bien que la recherche-développement induite soient très onéreuse, les entreprises croient pouvoir compenser ces dépenses via leur monopole sur les brevets et les royalties. Jusqu'à récemment, l'industrie transnationale semencière portait peu d'intérêt à l'Afrique. En dehors de l'Afrique du Sud et du Zimbabwe, le marché sub-saharien des semences ne vaut que 200 millions de dollars – un piètre montant pour ces grosses entreprises. Mais avec l'avènement du génie génétique, ces entreprises ont commencé à prendre une part de plus en plus active dans le marché africain des semences. Les analystes de l'industrie estiment que l'introduction de récoltes génétiquement modifiées peut augmenter la valeur de ce marché de 50%, rendant même le petit marché africain relativement attractif. L'expansion des multinationales semencières en Afrique s'accompagne de fortes pressions en faveur d'un renforcement des droits de propriété intellectuelle. Alors que l'industrie se dépeint elle-même comme une source bienveillante de technologies essentielles à la sécurité alimentaire de l'Afrique, ces technologies s'avèrent en fait extrêmement coûteuses. Parmi leurs objectifs d'expansion dans les marchés africains, les multinationales ont clairement expliqué qu'elles envisagent d'acquérir le monopole des droits sur les semences. Peter Pickeering, le responsable de Pioneer Afrique du Sud, résume bien la vision de l'industrie semencière pour l'Afrique : « Nous ne nous implanterons pas dans des pays qui n'ont pas de droits de propriété intellectuelle. »[7]. Entre la biomédecine
Dans la sphère médicale, les nanotechnologies ont constitué une formidable contribution à la fabrication de médicaments utilisés pour traiter des maladies et des conditions physiologiques auparavant sans remèdes. Cependant, à l'instar d'autres innovations bio-industrielles, les bénéfices n'en ont pas été équitablement partagés. En voici quelques illustrations. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Alors que de nombreux diabétiques dans le monde peuvent remercier un microbe du lac Ruiru au Kenya pour un médicament qui a amélioré leurs vies, l'État kenyan ou ses citoyens n'en ont rien retiré. Les diabétiques de type II prennent fréquemment de l'acarbose, un médicament commercialisé sous les noms de Precose (aux USA et au Canada) et de Glucobay (en Europe et ailleurs). En 2001, un groupe de chercheurs du géant pharmaceutique allemand Bayer et des universitaires allemands ont publié un article dans le Journal of Bacteriology indiquant qu'une bactérie souche appelée le SE 50 était utilisée pour fabriquer un médicament contre le diabète, l'acarbose[8]. L'acarbose est un « inhibiteur de l'alpha-glucosidase » ce qui signifie qu'elle régule l'absorption de glucose dans le flux sanguin, et prévient ainsi de pics potentiellement dangereux de glucose. L'article proposait une description de la fabrication de l'acarbose et des composés liés. L'acarbose est massivement vendu par Bayer. En 2004, les ventes d'acarbose de Bayer ont totalisé 379 millions de dollars[9]. Comment est-ce arrivé ? En 1995, cinq ans après la commercialisation du Glucobay en Europe et un an avant sa mise sur le marché d'Amérique du Nord, Bayer a déposé un brevet sur une nouvelle manière de fabriquer le produit. La demande de brevet, qui a été délivrée en Europe, aux États-Unis et en Australie, a révélé qu'une souche de la bactérie actinoplanes sp. appelée le SE 50 avait des gènes uniques qui permettaient la biosynthèse de l'acarbose dans des fementeurs[10]. La souche provient du lac Ruiru au Kenya. Le Kenya souffre pour remplir ses obligations en matière de santé publique vis-à-vis de ses 39 millions d'habitants. Pour la période financière 2010/2011, le Ministère des services de santé du Kenya s'est vu allouer des crédits de 7,33 dollars US par personne. Pour autant, on ne connaît aucun accord de partage des bénéfices entre Bayer et la population kenyane en lien avec ce microbe très lucratif. Au début des années 1970, un échantillon de streptomyces, collecté par une expédition de recherche médicale canadienne sur l'île de Pâques (Rapa Nui) a débouché sur un médicament immunosuppresseur appelé la rapamycine, utilisé en médecine pour prévenir le rejet d'organes implantés. La découverte de la rapamycine a suscité la recherche d'autres streptomyces qui produisent des composés similaires. SmithKline Beecham (maintenant GlaxoSmithKline) a réclamé la propriété d'un composé d'une souche de streptomyces qui, selon son brevet, « a été isolé dans un monceau de termites à Abuke en Gambie »[11]. La souche produit un composé apparenté à la rapamycine, appelé la 29-desméthylrapamycine et, selon le brevet, sert à la fois d'anti-fongique et d'immunosuppresseur. On ne sait pas si Glaxo a mené de la recherche-développement sur la 29-desméthylrapamycine. La demande de brevet de 2001 démontre un intérêt récent pour le médicament candidat. De manière générale, la rapamycine et les composés apparentés font l'objet d'un intérêt considérable de la part des scientifiques. Cependant, il n'y a aucun accord connu concernant d'éventuels partages de bénéfices entre SmithKline Beecham et la Gambie, ni entre Glaxo et la Gambie. Les médicaments contre l'impuissance sont récemment devenu un succès commercial pour les sociétés pharmaceutiques. En 2004, les ventes globales de Viagra et d'autres traitements contre le dysfonctionnement de l'érection ont atteint les 2,5 milliards de dollars US. Mais, selon le New York Times, les ventes ont diminué ces dernières années. Une des principales raisons est, selon le journal new-yorkais, que les consommateurs n'ont pas confiance envers les fabricants de médicaments. « De nombreux patients sont en colère sur le prix des médicaments et inquiets des effets secondaires, minimisés par les sociétés… » [12]. Entre en scène la société canadienne Option Biotech. Basée à Montréal, elle a breveté des graines d'Aframomum stipulatum, obtenues au Congo, pour leur utilisation dans la fabrication d'un médicament contre l'impuissance appelé « Biovigora »[13]. Option Biotech a essayé d'exploiter systématiquement les doutes sur les effets secondaires du Viagra rapportés par le New York Times, en prétendant que « le Biovigora n'est pas un médicament chimique » et qu'il « a été utilisé depuis des siècles [et est toujours utilisé] par certaines tribus africaines, sans effets secondaires indésirables » (sic)[14]. Alors que le Biovigora ne concurrencera peut-être jamais le Viagra, le Cialis et autres médicaments pour le traitement de l'impuissance rapportant plusieurs milliards de dollars, il www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
est néanmoins un médicament breveté d'Option Biotech vendu dans plus de 750 magasins dans tout le Canada. Une boîte de 24 capsules coûte environ 30 dollars US. Les informations fournies par Option Biotech ne mettent en évidence aucun accord de partage des bénéfices avec le Congo ou tout autre pays où l'A. stipulatum est traditionnellement utilisé. Conclusion
Les technologies génétiques permettent le transfert des connaissances du domaine public au domaine privé. Par conséquent, une quantité croissante de savoir-faire, qui auraient été disponibles gratuitement pour permettre des innovations et des développements ultérieurs, soit sont indisponibles, lorsque des licences exclusives ont été attribuées, soit doivent être achetées. Alors que la recherche-développement est affectée par ces changements dans tous les pays, ce sont les pays africains qui en souffrent le plus, pour quatre raisons. Premièrement, ils sont à la marge des réseaux de recherche-développement, et leurs chances d'obtenir des licences exclusives sont très faibles. Deuxièmement, les sociétés transnationales sont entrées depuis longtemps dans la prétendue « économie de la connaissance » en créant d'énormes portefeuilles de brevets en vue de la vente et de l'échange de licences, et en créant des monopoles sur le savoir et des licences croisées auxquels les industries émergentes d'Afrique peuvent difficilement avoir accès. Troisièmement, dans un contexte où il est difficile pour toute industrie d'identifier et d'acquérir les licences nécessaires, les pays africains sont particulièrement handicapés en raison de leur manque de ressources financières et d'informations. Enfin, le coût croissant de l'enregistrement des brevets et des litiges qui découlent pour le développement de nouveaux produits crée une barrière à laquelle se heurtent les efforts de recherche-développement des pays pauvres. L'appropriation d'éléments du savoir collectif des sociétés par un savoir propriétaire visant les profits commerciaux de quelques-uns est un des grands problèmes des communautés africaines. Une action urgente est nécessaire pour protéger leurs systèmes fragiles de connaissances via des initiatives politiques nationales et un arrangement international dans le domaine des droits de propriété intellectuelle. Mais le monde développé n'en veut rien savoir. • Oduor Ong'wen est le directeur pour le Kenya du Southern and Eastern African Trade Information and Negotiations Institute (SEATINI). Traduction : Chloé Grimaux NOTES: [1] ABARE, Australian Commodity Statistics, 2008 [2] Ibid. [3] La biodiversité agricole comprend la diversité des ressources génétiques, les variétés, races, espèces et sous- espèces végétales et animales, les ressources forestières, les ressources halieutiques et les micro-organismes utilisés pour la nourriture, la fourragère, les fibres, le combustible et les médicaments. La biodiversité agricole est le résultat d'une interaction entre l'environnement, les ressources génétiques, les systèmes et pratiques de gestion des ressources en terre et en eau de peuples culturellement divers pour la production de nourriture. [4] http://www.grain.org/briefings/?id=3#ref [5] Ibid. [6] Ibid. [7] Ibid. [8] J Bacteriol. Août 2001; 183(15): 4484–4492. [9] Rapport annuel 2004 de Bayer, http://www.bayer.com/annualreport_2004_id0109/ [10] Brevet américain 5,753,501, EP0730029 (B1), and AU706116 (B2). [11] Brevet américain 6,358.969, délivré le 19 mars 2002. Également breveté en Europe (EP0572454) et au Japon (JP2001226380). [12] New York Times, 5 décembre 2005. [13] Brevet américain 5,879,682, délivré le 9 mars 1999. [14] Voir "Is Biovigora safe?" sur le site d'Option Biotech, http://www.optionbiotech.com/en/securitaire.htm www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
« Biomassters ». Les nouveaux maîtres de la biomasse et leur assaut contre les conditions de la vie Jim Thomas Prenons garde à la nouvelle économie de la biomasse impulsée par de grandes entreprises des secteurs des biotechnologies, de la chimie, de l'exploitation forestière et de l'agrobusiness, avertit Jim Thomas. Ces nouveaux « biomassters », ou maîtres de la biomasse, sont engagés dans un pillage frénétique des ressources naturelles planétaires pour alimenter la consommation et l'accumulation de capital dans le Nord industrialisé. Tout autour de la planète, les stratégies des gouvernements et des entreprises dans les domaines du changement climatique, de l'énergie, de l'agriculture, de la technologie et de la production de matériaux convergent de plus en plus autour d'un même terme, particulièrement significatif : celui de biomasse. La biomasse renvoie à plus de 230 milliards de tonnes de choses vivantes[1] que la terre produit chaque année - arbres, buissons, herbes, algues, productions agricoles et microbes. Cette profusion annuelle, qualifiée de « production primaire » de la terre, se trouve particulièrement en abondance dans le Sud de la planète – dans les océans, les forêts et les savanes à croissance rapide des zones tropicales. Elle soutient les modes de vie, les cultures et la satisfaction des besoins fondamentaux d'une majorité des habitants de la terre. À ce jour, les êtres humains n'utilisent qu'un quart de la biomasse terrestre pour leurs besoins fondamentaux et pour la production industrielle, et seulement une partie infime de la biomasse océanique, de sorte que 90% de la production globale de biomasse au niveau planétaire échappe encore à la marchandisation entraînée par la société industrielle. Aujourd'hui, cependant, du fait de certaines évolutions technologiques, particulièrement dans les domaines des nanotechnologies et de la biologie synthétique, ce stock annuel de biomasse devient l'objet de visées industrielles, comme source de carbone « vert » vivant destinée à remplacer ou compléter les réserves de carbone « noir » fossile qui, sous forme de pétrole, de charbon ou de gaz, sont actuellement au fondement des économies industrialisées du Nord. Depuis la génération d'électricité jusqu'à la production de carburants, d'engrais ou de substances chimiques, des transformations majeures sont en cours qui devraient faire de la biomasse, selon ses promoteurs, un élément majeur de la nouvelle économie industrielle globale. Toutefois, cette évolution, habituellement présentée comme une transition inoffensive et avantageuse du carbone noir au carbone vert, ne signifie en fait rien moins qu'un accaparement brutal de ressources (du Sud au bénéfice du Nord) dans l'espoir de s'approprier la biomasse comme nouvelle source de richesse. Ce pillage de la biomasse du Sud pour faire fonctionner à bon marché les économies industrielles du Nord est une dimension profondément injuste de l'impérialisme du 21e siècle, qui, à n'en pas douter, contribuera à aggraver les inégalités et exacerber la pauvreté, la faim, les maladies et autres problèmes sociaux. La liquidation d'écosystèmes fragiles pour en récupérer les réserves de biomasse et de sucre constitue également une démarche suicidaire dans une planète déjà en état de stress. Loin de reprendre à notre compte les fausses promesses d'une nouvelle bio-économie propre et verte, nous devrions nous méfier comme la peste des nouveaux « maîtres de la biomasse » et de leurs prétentions exorbitantes, car ils sont en train de lancer un nouvel assaut sur les terres, les moyens de subsistance et le monde vivant. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Et voici la bio-économie
Cela fait maintenant plus de deux ans qu'une hausse brutale des prix alimentaires a engendré une situation de crise qui a fait la une des journaux tout autour de la planète. Soudain, les « biocarburants » sont devenu un objet de controverse et d'opposition intense de la part des communautés rurales, notamment dans les pays du Sud. Les grands titres qui évoquaient alors l'enthousiasme des industriels pour l'huile de palme ou l'éthanol de maïs ne visaient en réalité que la partie émergée d'une transition et d'une évolution bien plus profondes dans les politiques industrielles, qui continuent à prendre de l'ampleur. Cette nouvelle trajectoire industrielle, appelée parfois la « nouvelle bio-économie », gagne en vitesse, en influence politique et en milliards de dollars de subventions publiques et d'investissements privés. Qu'elle soit ou on en mesure de tenir ses promesses, cette bio-économie constitue une bombe à retardement encore plus dangereuse pour les gens, les moyens de subsistance et la vie sur cette planète que les menaces liées au boom de l'éthanol. La bio-économie est fondée sur la vision d'un ordre industriel qui s'appuierait sur les matériaux, les processus et les services biologiques. Parce que ceci est déjà le cas pour de nombreux secteurs de l'économie globale actuelle (agriculture, pêche, foresterie), ses promoteurs parlent volontiers d'une « nouvelle bio-économie » pour décrire leur propre projet de réinvention de l'économie globale – projet qui imbrique étroitement les principes économiques et les mécanismes de financement néolibéraux avec les nouvelles technologies et modes de productions à base biologique. La rhétorique de la « nouvelle » bio-économie, pour imprécise qu'elle soit, s'insinue dans les programmes et les grands titres, associée aux notions clés de ce début de millénaire que sont l'« économie verte », les « technologies propres » ou le « développement propre ». Présentée dans ce contexte, la nouvelle bio-économie apparaît sous un jour positif : « propre », « verte », « équitable », « profitable », « moderne » et « renouvelable ». Mais sous cette rhétorique se cache en fait une attaque contre les anciennes activités économiques « à base biologique ». Sur le chemin de cette nouvelle bio-économie se dressent en effet les milliards de personnes qui peuvent se prévaloir de droits préexistants sur la terre et les eaux côtières où se développe la biomasse. Leurs systèmes de connaissance sont dans une étroite interdépendance avec la gamme complexe d'organismes qui assurent notre subsistance à tous : la biomasse qui les a nourri et a été nourrie par eux durant des millénaires. Ces communautés coexistent dans le cadre d'une bio-économie traditionnelle, utilisant les semences pour la production d'aliments, le bois et les animaux pour l'énergie, et exploitant la biodiversité locale pour leurs besoins matériels et médicinaux. De fait, ces organismes biologiques divers qui sont aujourd'hui relabellisés sous le terme « biomasse » ne sont pas seulement une ressource inerte pour vivre et survivre, mais sont dans une situation d'interdépendance avec les communautés qui les cultivent. Pour ceux qui ont déjà subi auparavant les effets des nouvelles vagues industrielles, l'idée de cette nouvelle bio-économie n'est que trop familière. Il ne s'agit que d'une nouvelle vague d'appropriation des biens communs, entraînant leur déplacement et la destruction de leurs foyers et de leurs moyens de subsistance. Malgré les promesses de « développement », de progrès humain et de sauvegarde environnementale, la « nouvelle » bio-économie n'est en fait qu'une nouvelle stratégie au service des intérêts économiques et industriels du Nord. La nouvelle bio-économie actuellement projetée par les grandes firmes forestières, agroalimentaires, biotechnologiques, énergétiques et chimiques ne fait que prolonger la transformation et l'enclosure du monde naturel, à travers l'appropriation de la matière végétale et sa transformation en marchandise industrielle de telle sorte qu'elle fonctionne comme une petite usine, et à travers la redéfinition et l'adaptation des écosystèmes comme s'ils ne constituaient que des plateformes de « services » à l'industrie. Les mêmes entreprises multinationales qui ont encouragé la dépendance de toute l'économie envers le pétrole au cours du 20e siècle cherchent aujourd'hui à devenir les nouveaux maîtres de la biomasse. Si ce véritable coup d'État aboutit, ce seront les mêmes dirigeants d'entreprises bien connues d'aujourd'hui qui continueront de siéger à la tête du nouvel ordre économique global. Mais quand bien même leurs voitures rouleraient au biocarburant, leurs ordinateurs s'alimenteraient à la bio-électricité et leurs cartes de crédit seraient en www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
bioplastique, ils n'en auront pas moins réussi à se saisir et prendre le contrôle des systèmes naturels dont nous dépendons tous. Qu'est-ce qui se substitue à quoi ?
« De nombreuses personnes envisagent la biomasse principalement comme une source de carburants liquides comme l'éthanol ou le biodiesel. Mais la biomasse peut être transformée en une multitude de produits d'usage quotidien. En fait, parmi les produits basés aujourd'hui sur le pétrole, comme les peintures, les encres, les adhésifs, les plastiques ou autres produits à valeur ajoutée, il en est très peu qui ne pourraient pas être produits à partir de la biomasse. » (David K. Graman, sous-secrétaire à l'énergie, la science et l'environnement sous George W. Bush[2]) Une manière très directe de prendre la mesure de l'ambition de la nouvelle économie de la biomasse est de considérer la liste des produits et des services dépendant actuellement des carburants fossiles. Il suffit ensuite s'imaginer chacun de ces secteurs substituant à la matière végétale fossilisée, sa source de ravitaillement traditionnelle, de la matière végétale vivante. Transports : Actuellement, on estime que 70% du pétrole est utilisé sous forme de carburant
liquide pour les voitures, les camions, les avions et le chauffage. Les biocarburants comme
l'éthanol ou le biodiesel ne représentent qu'une première étape de la conversion du marché
des carburants à la biomasse. Une prochaine générations de biocarburants hydrocarbures
imitera directement l'essence et le carburant pour avions.
Électricité : Le charbon, le gaz naturel et le pétrole sont actuellement à la source de 67% de la
production électrique mondiale (International Energy Agency, Key World Energy Statistics,
2008). Cependant, la co-combustion du charbon avec de la biomasse est en plein essor, et une
tendance significative se fait jour dans de nombreuses villes industrielles de brûler de la
plaquette forestière, des huiles végétales ou des déchets municipaux pour générer de
l'électricité. Parallèlement, certaines firmes étudient les moyens de recourir à la nano-
cellulose et à des bactéries synthétiques pour produire du courant électrique à partir de
cellules vivantes, et transformer ainsi la biomasse en électricité sans utiliser de turbines.
Produits chimiques et plastiques : Actuellement, environ 10% des réserves globales de
pétrole sont transformées en plastiques et en produits chimiques. Toutefois, pour parer au
prix croissant du pétrole, les grandes entreprises chimiques comme DuPont se sont dotées
d'objectifs ambitieux de transition à l'exploitation comme matière première d'une biomasse
prétendument « renouvelable », comme le sucre pour la production de bioplastiques, de
textiles, de produits chimiques fins ou lourds.
Engrais : La production mondiale d'engrais via le procédé Haber Bosch utilise de manière
intensive le gaz naturel. Les promoteurs du biocharbon (ou biochar, biomasse carbonisée)
prétendent disposer d'un produit biologique de substitution pour améliorer la fertilité des
sols, susceptible d'être produit à l'échelle industrielle.
Qu'est-ce que la biomasse ?
Rigoureusement parlant, la biomasse est une mesure de poids utilisée dans le cadre de la science écologique. Elle renvoie à la masse totale de toutes les choses vivantes (matière organique) situées en un lieu particulier[3]. Les poissons, les arbres, les animaux, les bactéries et même les hommes constituent tous la biomasse. Plus récemment, toutefois, elle est devenue un terme de convenance pour désigner la matière biologique non fossilisée, notamment la matière végétale qui peut être utilisée comme matière première pour des carburants ou pour la production chimique industrielle[4]. Selon l'US National Renewable Energy Laboratory [Laboratoire national de l'énergie renouvelable des États-Unis], « la biomasse comprend toute matière organique disponible de manière renouvelable. Elle inclut les forêts et les résidus des scieries, les productions agricoles, les déchets agricoles, le bois et les déchets de bois, les huiles végétales, les déchets animaux, les résidus issus de l'élevage, les plantes aquatiques, les arbres et plantes à croissance rapide, et les déchets municipaux et industriels ». www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
En y regardant de plus près, on peut inclure sous ce dernier terme des pneus, des boues d'épuration, des plastiques, des bois traités, des matériaux de construction peints et des débris de démolitions. Même les fumiers issus de l'élevage industriel, les abats issus d'opérations d'abattage, les vaches incinérées et les gaz de décharge semblent pouvoir être valorisés au titre de la biomasse. Les plantes ont été une source de carburant et de production matérielle depuis des millénaires, mais ce nouvel usage du terme biomasse signale une rupture industrielle particulière dans la relation de l'humanité avec les végétaux. Au contraire du terme « plantes », qui renvoie au monde très riche et divers de la taxonomie des multiples espèces et variétés, le terme de biomasse traite toute matière organique comme s'il s'agissait de la même « matière végétale » indifférenciée, une vision du monde qui porte la marque de l'industrie. Redéfinies comme biomasse, les plantes sont réduites sémantiquement à leurs dénominateurs communs, de sorte que, par exemple, les savanes et les forêts sont conçues d'un point de vue commercial comme sources de cellulose et de carbone. La biomasse opère ainsi comme un terme profondément réductionniste et anti-écologique, traitant la matière végétale comme s'il s'agissait d'une marchandise homogène en gros. L'usage du terme de biomasse pour décrire des êtres vivants est un indice qui signale à coup sûr que des intérêts industriels sont en jeu. Cellulose, le sucre merveilleux
Si l'on prélevait la fine couche de matière vivante existant sur la terre et qu'on la faisait bouillir pour la réduire à ses composants chimiques essentiels, le résultat que l'on obtiendrait serait composé principalement d'un sucre vert appelé cellulose. On le trouve dans toutes les plantes, ainsi que dans certains microbes, sous la forme de longues chaînes de glucose structurées de manière fibreuse ou occasionnellement cristalline[4]. Ce composant moléculaire commun est en train de devenir rapidement l'objet de toutes les attentions de l'industrie, pour quatre raisons. • Abondance : la terre produit environ 180 milliards de tonnes de cellulose chaque année. • Énergie : La cellulose est la principale source d'énergie à l'œuvre dans la nutrition animale et dans la chaleur produite par la combustion de végétaux. • Flexibilité : Plusieurs des premières matières plastiques étaient basées sur la cellulose végétale, qui présente l'avantage de pouvoir être modifiée et utilisée de différentes manières pour produire de nouveaux polymères, des revêtements, des huiles et des combustibles[5]. Des travaux récents ont également démontré que les nano-fibres de cellulose peuvent être modifiées pour acquérir des propriétés jusque là inédites[6]. • La cellulose n'est pas (nécessairement) de la nourriture. Les légumes et les céréales contiennent une grande part de cellulose. Et il en va de même des composants non- alimentaires des plantes. Les promoteurs des biocarburants soutiennent que la cellulose que l'on trouve dans les tiges et les feuilles des plantes peut être appropriée pour des usages industriels sans que cela empêche que les fruits ou les graines gardent une destination alimentaire. Mais même si la cellulose est en théorie abondante, la difficulté de la séparer des autres composants de la plante constitue un obstacle significatif à son exploitation industrielle. Dans la plupart des cas, la cellulose est accrochée à une matrice composée de différentes substances connue sous le nom de lignocellulose, qui est composée de lignine (une substance dure riche en carbone) et d'hémicellulose (un mélange d'autres sucres). Extraire la cellulose de la lignine et la réduire à des sucres plus simples requiert soit de la soumettre à une chaleur intense, soit l'application de produits chimiques ou d'enzymes puissants, comme ceux que l'on trouve dans les boyaux des vaches ou les termites. La séparation industrielle de la cellulose est devenue aujourd'hui l'un des domaines de recherche les plus actifs dans les sciences de l'énergie et de la matière[7]. Au niveau élémentaire : ce qui compte, c'est le carbone
À une époque où les réserves de pétroles se réduisent de plus en plus, l'excitation commerciale qui entoure des composants de la biomasse tels que la cellulose s'explique par la quête industrielle de sources « non conventionnelles » de carbone. La comptabilité des www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
réserves de carbone effectuée par les compagnies énergétiques comme BP révèle que les milliards de tonnes de carbone enfermées dans les stocks mondiaux de biomasse dépassent de loin les réserves connues de pétrole et de gaz naturel, de même que les filons de charbon. Les stocks globaux de carbone sous forme fossile s'élèvent à 818 milliards de tonnes tandis que la biomasse globale renferme annuellement environ 560 milliards de tonnes. Au niveau géopolitique : tout est dans le sud
« Si vous regardez une image de notre planète… il n'est pas difficile de repérer où sont toutes les parties vertes. Ce sont les endroits où l'on pourrait sans doute faire pousser des matières premières dans des conditions optimales. » (Steve Koonin, sous-secrétaire à la science du département de l'Énergie des États-Unis et ancien responsable de la recherche pour BP[8]) Si, depuis l'espace, notre planète peut présenter une apparence verte et riche en biomasse, le sale petit secret de l'économie de la biomasse qui se prépare aujourd'hui est que, tout comme les réserves fossiles de carbone sous forme de gaz ou de pétrole, les réserves de carbone vivant de la biomasse globale ne sont pas distribuées équitablement. Au niveau mondial, on estime que la végétation terrestre recèle 500 milliards de tonne de carbone. Cependant, 86% de ces réserves (430 milliards de tonnes) sont stockées dans les zones tropicales et sous-tropicales, tandis que les éco-régions boréales et tempérées n'en contiennent que 34 et 33 milliards respectivement. De même, c'est également sous les tropiques que la biomasse se régénère le plus rapidement, et que la biomasse marine, principalement le phytoplancton, est la plus productive. Contrôler cette biomasse globale requiert donc de s'arroger la propriété ou le contrôle politique sur les terres et les mers des tropiques. De la décomposition du pétrole au piratage des plantes
Lorsque les partisans de l'économie de la biomasse évoquent un passage d'une économie des hydrocarbures (fossiles) à une économie des glucides (végétaux), ils se plaisent à souligner que ce n'est pas aussi inédit que cela peut paraître. Chimiquement parlant, la différence entre un hydrocarbure et un glucide (hydrate de carbone) ne tient qu'à quelques atomes d'oxygène. Les glucides sont des sucres de carbone, d'hydrogène et d'oxygène. Est appelée en revanche hydrocarbure toute molécule composée uniquement d'hydrogène et de carbone, et elle est classifiée comme un minéral… Historiquement, et aujourd'hui encore dans la plupart des communautés locales et indigènes, ces sont les glucides végétaux qui assurent l'essentiel des besoins humains. En 1820 encore, les Américains utilisaient deux fois plus de plantes que de minéraux comme matières de base pour fabriquer teintures, substances chimiques, peintures, encres, solvants, et même énergie. En 1920, ce rapport s'était inversé, et au milieu des années 70, les Américains consommaient 8 tonnes de minéraux pour chaque tonne de glucides végétaux[9]. Cette évolution a été facilitée par deux facteurs : • La densité énergétique plus importante des hydrocarbures fossiles. Une demi tonne de carbone contient la même quantité d'énergie que deux tonnes de bois vert, de sorte que le charbon, et plus tard le pétrole, sont devenu le carburant privilégié de la révolution industrielle[10]. • Les succès de la pétrochimie. Les premiers pas de la chimie de synthèse ont consisté à apprendre à transformer le goudron de charbon en teintures profitables, et finalement à « décomposer » le pétrole en nombreuses molécules pouvant être raffinées pour produire des carburants, des cires, des explosifs, des pesticides, des plastiques, des peintures, des médicaments, des cosmétiques, des textiles, du caoutchouc, de l'essence, de l'asphalte et bien d'autres choses[11]. Aujourd'hui, les inquiétudes relatives au pic pétrolier et à la volatilité des marchés, l'intérêt suscité par le potentiel financier des marchés du carbone et le développement de nouvelles technologies contribuent tous à inverser l'évolution historique. Ainsi, de même que les avancées de la chimie de synthèse ont rendu possible l'économie des hydrocarbures, de même les innovations actuelles dans le domaine de la biologie synthétique permet aujourd'hui aux firmes de réadapter cette économie à des matières premières végétales. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Vendre la transition
Les analyses de l'ETC Group suggèrent qu'à la source des investissements dans la nouvelle bio-économie se trouve en fait le bon vieil opportunisme capitaliste. Cependant, les partisans de l'économie de la biomasse ne manquent pas de nouveaux habits pour revêtir leur visées impérialistes. Voici quelques-uns des grands programmes communément mis en avant pour justifier le nouvel accaparement de la biomasse. 1. Rêves sucrés : l'économie des glucides. Le terme « économie des glucides » a été initialement mis en avant par des militants de l'Institute for Local Self Reliance (ILSR) aux États-Unis, et renvoie à la vision d'une fabrication de substances chimiques et de matériaux industriels à partir de matières végétales au lieu de pétrole[12]. Leur intérêt dans les matériaux à base biologique (c'est-à-dire végétale) est lié à l'espoir que ces matériaux pourront être conçus pour se biodégrader plus facilement dans l'environnement, au contraire des plastiques issus du pétrole. 2. Rêves verts : ressources renouvelables et économie hydrogène La biomasse est systématiquement mentionnée dans les descriptions et les définitions de ce qui constitue une ressource renouvelable, puisque les plantes et les végétaux peuvent théoriquement repousser après avoir été récoltés. La biomasse est également parfois citée comme une forme d'énergie solaire, les plantes recueillant l'énergie du soleil. La biomasse est également considérée comme une ressource clé dans le développement d'un autre vision « verte », celle de l'économie hydrogène, puisque l'hydrogène pourrait être extrait des plantes. 3. Rêves rafraîchissants : l'économie neutre en carbone L'urgence contemporaine de résoudre le problème du changement climatique d'origine humaine a mis la biomasse au centre de l'attention. Les plantes séquestrant le dioxyde de carbone de l'atmosphère, les décideurs politiques ont considéré la matière végétale comme une matière « neutre en carbone » pour la production énergétique, en invoquant le fait que les émissions issues de la production bioénergétique sont re-séquestrées lorsque les végétaux en question sont replantés. En 2005, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a estimé que l'énergie issue de la biomasse représentait 78% de la production énergétique « renouvelable » globale. 4. Rêves patriotiques : l'indépendance énergétique Aux États-Unis au moins, l'idée d'une bio-économie locale comme rempart patriotique contre le terrorisme et les guerres du pétrole présente un attrait considérable. On attend des biocarburants et des bioplastiques qu'en réduisant la dépendance envers le pétrole étranger, ils renforcent la souveraineté nationale tout en réduisant les revenus de pays pétroliers extrémistes. Ce rêve transcende les clivages politiques dans la mesure où il s'appuie sur l'opposition à la guerre de la gauche aussi bien que sur le chauvinisme et les inquiétudes sécuritaires de la droite. 5. Rêves de bond en avant : le développement propre et le mouvement des « emplois verts » Comment aider les pays les plus pauvres à se « développer » tout en évitant un développement industriel polluant ? C'est là le paradoxe apparent que les promoteurs du « bond en avant environnemental » cherchent à résoudre par le moyen de nouvelles technologies permettant un développement plus vert et plus propre. Dans le même temps émerge dans le Nord industriel le mouvement des « emplois verts » (green jobs), selon lequel les technologies vertes de la bio-économie sont un moyen idéal de venir à la rescousse d'une main d'œuvre industrielle victime de la stagnation. 6. Rêves technophiles : technologies convergentes et technologie propre Les « technologies convergentes » renvoient à la manière dont des domaines technologiques en apparence distincts comme les nanotechnologies, les biotechnologie et la robotique se combinent pour donner naissance à une puissante plateforme technologique hybride. Dans les cercles de la politique scientifique européenne, on envisage que les technologies convergentes soient destinées à des applications « durables » comme la bioénergie ou les www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
« technologies climatiques » pour stimuler la croissance économique[13]. Aux États-Unis, des scientifiques réputés et des investisseurs de capital-risque ont appelé cette nouvelle vague de technologies environnementales sources de profit les technologies propres (cleantech) – une catégorie d'investissements représentant plusieurs milliards de dollars et incluant les biocarburants, la bioénergie, les bioplastiques et les matériaux à base biologique en général, de même que les technologies sous-jacentes telles que la biologie synthétique et les nanotechnologies. Pas une simple substitution – un accaparement
Attribuer l'essor récent de la bio-économie et l'intérêt émergent pour la biomasse à une simple prise de conscience écologie ou patriotique revient à assumer, à tort, que les dirigeants des grandes entreprises et des économies de l'OCDE sont motivés par des soucis humanitaires ou environnementaux. Comme pour toutes les transitions industrielles qui l'ont précédée, l'origine de la ruée sur la biomasse n'est pas à chercher dans des idéaux élevés, mais dans l'intérêt ultime bien compris des entreprises. Cachée derrière les promesses doucereuses de la « neutralité en carbone » et de l'« indépendance énergétique », se tient la promesse hautement lucrative d'un nouvel accaparement de ressources à grande échelle, à travers lequel des centaines de milliards de tonnes de matière végétale indifférenciée deviendraient une nouvelle marchandise. Bien loin de constituer une transformation amenant une nouvelle économie, la transition fondée sur la biomasse n'est en fait qu'un réoutillage de l'ancienne économie de production, de consommation, d'accumulation de capital et d'exploitation, avec une nouvelle source de carbone à piller pour continuer à faire fonctionner la machine industrielle. En termes économiques, l'exploitation de la cellulose et d'autres sucres comme matière première pour produire du carburant, des substances chimiques ou de l'électricité a pour conséquence de doter d'une importance commerciale inédite des herbes, des algues ou des branches auparavant sans valeur. De manière plus décisive, toute terre ou étendue d'eau qui peut faire vivre des végétaux gagne en valeur comme source potentielle de biomasse, un fait qui contribue d'ores et déjà à accélérer l'accaparement de terres au niveau mondial, lequel avait été initié au départ dans le but de sécuriser l'approvisionnement alimentaire. Si le coup d'État de la biomasse réussissait, les technologies de transformation de la biomasse (notamment les nanotechnologies, les biotechnologies et la biologie synthétique) deviendraient des clés très profitables pour extraire cette nouvelle source de valeur, ce qui ne manquerait pas de rendre plus puissantes les industries qui contrôlent ces technologies. La biomasse se trouvant ainsi vantée comme la nouvelle matière première de l'économie mondiale de l'après-pétrole, il est essentiel de poser la question : y a-t-il effectivement une quantité suffisante de biomasse sur notre planète pour soutenir une transition historique de cette ampleur ? À l'époque où, pour la dernière fois à ce jour, la société humaine globale dépendait encore de la matière végétale comme source primaire pour ses besoins énergétiques (vers la fin des années 1890), la consommation mondiale d'énergie était selon les estimations actuelles de 600 gigawatts[14]. Les estimations de la consommation énergétique mondiale d'aujourd'hui varient entre 12 et 16 térawatts – une multiplication par vingt au moins de la demande par rapport à l'économie de la biomasse de jadis. Actuellement, l'offre énergétique qui permet de répondre à cette demande repose presque entièrement sur les hydrocarbures fossiles, avec une petite part de nucléaire, d'hydroélectrique et de biomasse dans le mix (autour de 1,5 térawatt)[15]. Selon l'économiste de l'énergie du MIT Daniel Nocera, on s'attend à ce que la demande énergétique mondiale augmente de 19 térawatts d'ici 2050[16]. Une synthèse de 16 évaluations de la quantité globale de biomasse disponible observe : « Dans les scénarios les plus optimistes, la bioénergie pourrait fournir plus de deux fois la demande énergétique actuelle, sans porter préjudice à la production alimentaire, aux efforts de protection des forêts ou à la biodiversité. Selon les scénarios les plus défavorables, toutefois, la bioénergie ne pourrait fournir qu'une fraction de l'énergie actuellement utilisée, peut-être même moins qu'elle n'en fournit aujourd'hui. » Pourquoi une telle variation dans les estimations ? La réponse la plus courte à cette question est que certains économistes de l'énergie n'ont tout simplement pas vu la forêt cachée www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
derrière les arbres. Les stocks de biomasse vivante ne peuvent pas être comptabilisés de la même manière que des réserves fossiles de pétrole ou de charbon. La valeur économique de plantes récoltées comme matière première industrielle pour l'alimentation humaine ou animale, les fibres, les produits chimiques ou le carburant doit être mise en balance avec la valeur écologique vitale des plantes vivantes comme fondement de tous les écosystèmes (en rapide dégradation) dont dépend notre existence. De fait, si l'on prend en considération l'exigence hautement critique de préserver et même de restaurer et renforcer les écosystèmes (à base végétale) de la planète, l'entreprise de comptabiliser la biomasse globale dans son ensemble prend un caractère radicalement nouveau, et l'idée qu'il y aurait quelque part de la biomasse superflue à disposition se trouve rapidement réduite à néant. Les études du système terrestre qui tentent de mesurer la santé et la résilience actuelles des écosystèmes et de la biodiversité offrent de sérieux avertissements. Le Millenium Ecosystem Assessment de 2005 a conclu que 60% des écosystèmes du monde sont déjà en déclin. Le Living Planet Index, une mesure de l'évolution de la biodiversité basée sur le suivi de 1313 espèces terrestres, marines et d'eau douce, conclut qu'entre 1970 et 2003, l'index a baissé globalement de 30%, ce qui signifie que les écosystèmes en général subissent une détérioration précipitée. L'Union internationale pour la conservation de la nature estime que globalement, presque 40% des espèces qu'elle suit sont menacées d'extinction. Les taux d'extinction actuels sont aujourd'hui plus de mille fois supérieurs aux taux typiques connus au cours de l'histoire de notre planète. Les changements d'utilisation des terres, dont la déforestation et l'expansion agricole, en sont considérés comme la cause principale. En même temps, on estime qu'au moins 10 à 20% des forêts et savanes restantes seront converties vers une utilisation humaine d'ici 2050. En outre, l'ONU estime que deux tiers des pays du monde sont affectés par la désertification de leurs sols, ce qui représente plus de quatre milliards d'hectares de terres agricoles, qui subviennent aux besoins d'un milliard de personnes. Les chiffres d'un autre instrument de mesure, appelé l'empreinte écologique et développé par le Global Footprint Network, sont particulièrement parlants[17]. L'empreinte écologique mesure l'utilisation (ou la sur-utilisation) par l'homme de la biocapacité de la terre. Le terme de « biocapacité » désigne la quantité de terre arable, de pâtures, de forêts et de pêcheries disponible de manière soutenable pour l'utilisation humaine, compte tenu des besoins de la nature pour assurer sa propre résilience écologique. La sur-utilisation de la biocapacité nuit aux écosystèmes et entraîne leur déclin. Il s'avère que depuis la fin des années 80, nous avons été en « dépassement de terre », avec une empreinte industrielle supérieure à sa biocapacité. En fait, depuis environ 2003, nous avons atteint un taux de dépassement stupéfiant de 25%, « transformant les ressources en déchets plus rapidement que la nature ne peut retransformer les déchets en ressources ». Si nous continuons sur la trajectoire actuelle, nous utiliserons le double de la biocapacité de la terre en 2050 – une proportion intenable. Alors que les politiques industrielles associées à l'économie de la biomasse gagnent en influence, les écologistes craignent que cette pression n'entraîne des conséquences désastreuses. Par exemple, dans le bassin amazonien, l'expansion de la canne à sucre et du soja (en partie pour produire des biocarburants) a poussé la déforestation à un point tel qu'un dépérissement massif de la forêt restante est jugé probable[18]. L'impact potentiel d'un dépérissement de grande ampleur en Amazonie tournerait à la catastrophe globale, car cette forêt régule les précipitations et les conditions météorologiques sur la plus grande partie de l'Amérique du Sud jusqu'au Midwest états-unien, et même aussi loin que l'Afrique du Sud[19]. La leçon à tirer de la considération d'impacts potentiels aussi rapides que dramatiques est que la mesure des « services » et de la biocapacité des écosystèmes, même s'ils constituent des avertissements utiles, ne nous donnent qu'une image incomplète des limites réelles de l'extraction de la biomasse, car ils reposent, de manière non plausible, sur une vision purement linéaire du fonctionnement des écosystèmes et de leur effondrement possible. De même que la menace d'un dépérissement de l'Amazonie ne peut pas être mesurée par un index global de « biocapacité », de même il y a sûrement de nombreux « points de basculement » qui, une fois franchis, entraîneraient un effondrement de la résilience des www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
écosystèmes, avec des effets non linéaires dévastateurs. Nous risquons de ne pas voir ces points de basculement arriver avant qu'il ne soit trop tard. Ce n'est pas une coïncidence si les partisans les plus obstinés de l'économie de la biomasse dans la décennie écoulée n'ont pas été les ONG environnementales, mais les grandes entreprises des biotechnologies, de la chimie, de l'exploitation forestière et de l'agrobusiness, qui espèrent ainsi étendre et consolider leur pouvoir économique. Ces nouveaux « maîtres de la biomasse » sont en train de s'accaparer à grande échelle les plantes, la terre et les conditions de la vie. L'économie de la biomasse ne constitue dès lors que la dernière déclinaison en date de l'extraction de ressources au Sud de la planète pour alimenter la consommation et l'accumulation de capital du Nord Industrialisé – aux dépens des vies et des moyens de subsistance de la majorité des habitants de la terre, et de l'avenir de la vie elle-même sur notre planète. • Jim Thomas est directeur de programme de recherches et rédacteur pour l'ETC Group. Il a travaillé dans le domaine de la communication, de la rédaction d'articles sur les technologies émergentes et des campagnes internationales. http://www.etcgroup.org/en/about/staff/jim_thomas • Traduction : Albert Caille NOTES [1] http://bioenergy.ornl.gov/faqs/index.html#resource [2] Témoignage de David K. Garman devant le Comité de l'agriculture, de la nutrition et de la forêt, Programme biomasse du Département de l'énergie du Sénat des États-Unis, 6 mai 2004. Disponible en ligne à l'adresse http://www1.eere.energy.gov/office_eere/congressional_test_050604.html [3] Voir, par exemple le glossaire des termes du changement climatique réalisé par l'EPA, Agence fédérale américaine de protection de l'environnement, disponible en ligne à l'adresse www.epa.gov/climatechange/glossary.html [4] Voir, par exemple, le glossaire de la Biotechnology Industry Organisation [Organisation de l'industrie des biotechnologies], disponible en ligne à l'adresse www.bio.org/speeches/pubs/er/glossary_b.asp [5] Klemm, D.; Heublein, B.; Fink, H. P.; Bohn, A. 'Cellulose: Fascinating biopolymer and sustainable raw material.' Angew. Chem., Int. Ed. 2005, 44 (22), p 3358-3393 [6] Klemm, D.; Heublein, B.; Fink, H. P.; Bohn, A. 'Cellulose: Fascinating biopolymer and sustainable raw material.' Angew. Chem., Int. Ed. 2005, 44 (22), p 3358-3393 [7] Wegner, Th. H.; Jones, Ph. E. 'Advancing cellulose-based nanotechnology.' Cellulose. Vol. 13 (2006), p 115- [8] Voir par exemple, U.S. DOE [Département fédéral de l'énergie des États-Unis], 'Breaking the Biological Barriers to Cellulosic Ethanol: A Joint Research Agenda', http://genomicsgtl.energy.gov/roadmap/ , 2007. [9] Richard Brenneman, ‘BP Chief Scientist Named Undersecretary of Energy', Berkeley Daily Planet, 25 March 25 2009. [10] David Morris, ‘The Once and Future Carbohydrate Economy', The American Prospect, 19 mars 2006. Disponible en ligne à l'adresse http://www.prospect.org/cs/articles?articleId=11313 [11] David Morris et Irshad Ahmed, ‘The Carbohydrate Economy: Making Chemicals and Industrial Materials from Plant Matter', The Institute for Local Self Reliance, 1993, p 7. [12] Neil McElwee, ‘Products from Petroleum', 2008. Disponible en ligne à l'adresse [13] David Morris et Irshad Ahmed, ‘The Carbohydrate Economy: Making Chemicals and Industrial Materials from Plant Matter', The Institute for Local Self Reliance, 1993. [14] Nordman et al, ‘Converging technologies - Shaping the Future of European Societies - Interim report of the Scenarios Group - High Level Expert group - Foresighting the next technology wave', 2004, p 3. [15] Vaclav Smil, Global Catastrophes and Trends - The Next Fifty Years, 2008, MIT Press. p 83. [16] Griffith, S. ‘Recalculating Climate Change' [17] Millenium Ecosystem Assessment: Ecosystems and Human Well-Being, 2005 ; IUCN, Red List of Threatened Species, 2008, http://www.iucnredlist.org/documents/2008RL_stats_table_1_v1223294385.pdf ; Living Planet Report 2006, WWF, Zoological Society of London and Global Footprint Network ; UN Food and Agriculture Organisation, State of the World's Forests 2007 ; Global Footprint Network, http://www.footprintnetwork.org/en/index.php/GFN/page/at_a_glance/ [18] Nepstad sur le dépérissement de l'Amazonie. [19] T.N. Chase, R.A. Pielke Sr. et R. Avissar, 2007: ‘Teleconnections in the Earth system'. Encyclopedia of Hydrological Sciences, M. Anderson, Editor-in-Chief, John Wiley and Sons, United Kingdom, 2849-2862. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
La biologie synthétique en Afrique : il est temps de prêter attention Gareth Jones and Mariam Mayet La biologie synthétique – la conception et l'ingénierie de composants biologiques pouvant être utilisés pour construire une grande variété de systèmes biologiques – est un domaine scientifique âprement débattu. Malgré ses implications considérables pour la santé humaine, Gareth Jones et Mariam Mayet se demandent si les inquiétudes éthiques bien réelles que suscitent cette technologie seront réellement abordées dans ces débats. cc Kaibara « [La biologie synthétique] désigne de manière générale la conception délibérée de systèmes et d'organismes biologiques inédits, s'appuyant sur des principes mis en lumière aussi bien par des biologistes que des chimistes, des physiciens ou des ingénieurs… Fondamentalement, il s'agit de la recréation de la vie. »[1] Le domaine émergent de la biologie synthétique a récemment fait des vagues dans la communauté scientifique mondiale. Au début de cette année, Craig Venter, le ponte de la génomique, a annoncé que sa compagnie avait créé le premier organisme auto-reproducteur au monde. Des scientifiques ont proclamé que cette discipline était sur le point d'ouvrir les portes d'un approvisionnement potentiellement infini en agrocarburants et en composés pharmaceutiques. Les implications éthiques de cette nouvelle technologie sont considérables, non seulement parce qu'elle permettra potentiellement à terme de créer des systèmes ou des organismes biologiques qui n'existent pas dans la nature, mais parce que des scientifiques sont déjà capables de synthétiser plusieurs pathogènes et virus mortels pour l'homme[2]. Pourtant, selon le Groupe d'experts de haut niveau de l'Union européenne sur la biologie synthétique, « il est probable que nous ne sommes pas à l'heure actuelle en possession d'un système conceptuel éthique qui puisse fournir un cadre commun pour de tels débats »[3]. Comme les définitions de la biologie synthétique sont fonction de l'approche scientifique adoptée ou de l'application ultime d'un projet donné, il n'existe encore à l'heure actuelle aucune classification standard. Toutefois, il est globalement admis que cette discipline utilise des principes issus d'une multiplicité de disciplines, parmi lesquelles les nanotechnologies, la biologie, la physique, la chimie et le génie génétique pour concevoir et construire des composants biologiques pouvant être utilisés de manière interchangeable pour produire une grande variété de systèmes biologiques. Ces systèmes peuvent être destinés à de multiples usages, depuis la production de médicaments à celle de substances chimiques, d'hydrocarbures ou de nourriture[4]. Le financement de la biologie synthétique
Les recherches menées par le Synthetic Biology Project[5] ont révélé qu'il y a actuellement plus de 180 organisations aux États-Unis et 50 autres en Europe impliquées dans le secteur de la biologie synthétique, en matière de recherche, de développement et de commercialisation. Le marché annuel de la recherche en biologie synthétique est estimé à 600 millions de dollars US, un chiffre qui pourrait potentiellement dépasser 3,5 milliards durant la prochaine décennie. D'autres projections relatives à cette industrie vont encore au-delà, l'une d'entre elle allant www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
jusqu'à supposer que près de 20% du 1,8 billion de dollars US de chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique pourrait dépendre de la biologie synthétique dès 2015[6]. Depuis 2005, la recherche relative à la biologie synthétique a reçu environ 430 millions de dollars US du gouvernement fédéral américain, tandis que l'Union européenne et les gouvernements allemande, hollandais et britannique ont déboursé autour de 160 millions. Le Département de l'énergie (DOE) des États-Unis est de loin la plus importante source de fonds de recherche, les estimations les plus modestes chiffrant sa contribution à 350 millions de dollars US sur cette période (et les plus hautes à 700 millions de dollars US). Le Département américain de la défense aurait lui aussi consacré 20 millions de dollars US de son budget gargantuesque en 2010-2011 à la recherche en biologie synthétique, mais aucune informations supplémentaire n'est publiquement disponible. La biologie synthétique a été désignée comme champ de recherche prioritaire dans l'UE dès 2003, et 53 millions de dollars US de financement ont été approuvés depuis cette date. On estime que le gouvernement du Royaume-Uni a dépensé entre 30 et 53 millions de dollars US depuis 2005. En 2008, trois universités hollandaises (Université technologique de Delft, Université de Groningen et Université technologique d'Eindhoven) ont annoncé un plan d'investissement de 90 millions de dollars US sur les 5 à 10 ans à venir[7]. Seulement 4% des dépenses de recherche aux États-Unis depuis 2005 ont été dédiées aux implications éthiques, légales et sociales de la biologie synthétique. En Europe, le chiffre est encore inférieur, un piteux 2%. Plus choquant encore, il n'a pas été possible d'identifier un seul crédit de recherche dédié à l'évaluation des risques de la biologie synthétique[8]. Le financement privé de la recherche en biologie synthétique concerne dans son écrasante majorité les applications en termes d'agrocarburants, et ce sont les géants du pétrole qui mènent le bal. En 2009, ExxonMobil, pour son premier investissement majeur dans le domaine des agrocarburants, a conclu un partenariat de 600 millions de dollars US avec Synthetics Genomics pour le développement de carburants à partir d'algues[9]. En 2007, BP a annoncé un accord de recherche de 500 millions de dollars US avec l'Université de Californie à Berkeley pour le développement d'agrocarburants synthétiques[10]. Amyris Biotechnologies, l'entreprise créée en 2003 par le professeur Jay Keasling, le principal chercheur du projet artémisinine de cette même université, a recruté l'ancien directeur des carburants de BP aux États-Unis pour être son premier directeur général. Son actionnaire le plus important est le géant français du pétrole et du gaz Total. Cet afflux de capital vers la biologie synthétique a, du point de vue d'au moins un professeur d'ingénierie biomédicale, détourné l'attention et les talents des domaines où cette discipline pouvait potentiellement apporter des bénéfices au grand public[11]. Le parallèle avec l'ingénierie génétique des variétés agricoles ne pourrait être plus éclatant. Durant la dernière décennie, des produits génétiquement modifiés hautement lucratifs comme le maïs et le soja (utilisés de manière prédominante pour nourrir les animaux d'élevage industriel, qui nourrissent à leur tout la minorité qui peut se payer de la viande au niveau global) ont amené des profits records au complexe agro-chimico-semencier global. Au cours de la même période, le déluge de « bienfaits » qui devaient émanciper les damnés de la terre de la faim et de la pauvreté ne se sont pas matérialisés. La malaria, l'artémisinine et la biologie synthétique – un nouveau « sauveur de l'afrique »
Il y a dix ans, lorsque le génie génétique en était encore à ses premiers pas commerciaux, ses promoteurs brandissaient l'exemple du « riz doré », génétiquement modifié pour augmenter sa teneur en vitamine A, pour délégitimer les inquiétudes et les appels à la précaution relatifs à cette technologie. Aujourd'hui, le « riz doré » n'a toujours pas été commercialisé, et toute une nouvelle gamme de variétés « adaptées au changement climatique » nous sont promises pour sauvegarder dans l'avenir notre approvisionnement alimentaire face à une instabilité climatique croissante. À n'en pas douter, le projet auto-publicitaire phare de la biologie synthétique a été la recherche menée en collaboration à Berkeley pour créer de l'artémisinine (un médicament anti-malaria fondamental) synthétique. Cette recherche a été initiée en 2004 et est un effort conjoint de l'Université de Californie, de l'Institute for OneWorld Health (iOWH) et www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
d'Amyris Inc, une compagnie privée de génomique créée par le directeur de recherche Jay Keasling. Le financement initial de 42,6 millions de dollars US a été fourni par la Fondation Bill et Melinda Gates. Il a été annoncé en juillet de cette année que le projet avait atteint le terme de sa phase de développement et était prêt à passer à la phase de commercialisation, en partenariat avec le géant pharmaceutique français Sanofi Aventis et à l'aide d'une subvention supplémentaire de 10,7 millions de dollars US de la Fondation Gates[12]. On s'attendait auparavant à ce que le médicament soit disponible en 2009 ou 2010. La malaria, l'artémisinine et les tca
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que la moitié de la population mondiale est exposée à la malaria. L'OMS recommande aujourd'hui les thérapies combinées à base d'artémisinine (TCA) comme le seul traitement encore efficace de la malaria sans complications, et affirme qu'un usage approprié des TCA est efficace dans 90% des cas[14]. En 2009, le TCA était adopté au niveau mondial par 80 pays comme traitement de base de la P.falciparum malaria sans complications[15]. La fourniture de doses de TCA par l'OMS a rapidement augmenté au cours de la dernière décennie, de 500 000 en 2001 à 160 millions en 2009[16]. La seule source naturelle connue de l'artémisinine est la plante A. annua, qui est endémique à la Chine. Un espèce sœur, l'artimisia afra, pousse à l'état sauvage en Afrique du Sud, mais ne produit pas elle-même d'artémisinine. Depuis la découverte des propriétés anti-malaria de l'artémisinine dans les années 70, l'A. annua a été cultivée en Chine et au Vietnam. Dans les années 90, sa culture s'est étendue à l'Afrique[17]. La plante met de 6 à 8 mois pour atteindre son état de maturité entre le moment où elle est plantée et celui où elle est récoltée, et son cycle total de production peut dépasser 14 mois. Une fois manufacturés, la plupart des TCA ont une durée de vie de 24 mois au plus, ce qui induit des contraintes logistiques spécifiques, particulièrement pour les pays où l'anticipation de la demande et les capacités de stockage sont limitées. Globalement, une proportion significative de l'approvisionnement en médicaments anti-malaria basés sur l'artémisinine provient de pays dotés d'industries pharmaceutiques récentes à croissance rapide, comme la Chine, l'Inde, le Pakistan et le Vietnam, mais aussi de nombreux pays africains comme le Ghana, le Kenya, le Nigeria, le Togo, l'Ouganda et la Tanzanie. Une étude de l'Institut tropical royal néerlandais concluait en 2006 qu'il était possible de cultiver suffisamment d'artémisinine pour soigner tous les patients atteints de malaria dans le monde et que les TCA pouvaient être rendus disponibles à un prix abordable dans les trois ans. Toutefois, atteindre ce résultat aurait requis des investissements significatifs, de même qu'une restructuration complète de la chaîne d'approvisionnement et de distribution[18]. En outre, les auteurs de l'étude susmentionnée étaient d'opinion que la « mise en œuvre lente et laborieuse de la politique de préqualification des médicaments de l'OMS » a entraîné une situation de type monopolistique. Seules six compagnies[19] ont un TCA préqualifié, ce qui signifie que leur prix de vente est prohibitif pour la majorité de ceux qui sont quotidiennement exposés à la menace de la malaria. Il s'agit d'un problème récurrent pour tout le secteur pharmaceutique global, qui n'est pas limité au cas de la malaria. En 2009, 9 des 50 firmes les plus profitables du monde venaient de l'industrie pharmaceutique, seuls le secteur financier et celui des hydrocarbures étant mieux représentés. En 2009, les profits de ces 9 firmes (au beau milieu de la plus grande contraction de l'économie mondiale depuis la grande dépression) étaient de « seulement » 83 milliards de dollars US[20]. Le fait que les TCA ne soient toujours pas largement disponibles dans les zones où la malaria est endémique vient confirmer la position de nombreux pays en développement selon laquelle la production locale d'artémisinine pourrait être préférable à une production synthétique, à la fois pour faciliter l'accès à ses bénéfices médicinaux et parce que sa culture locale est un moyen de subsistance supplémentaire pour les paysns. La culture et l'extraction (par exemple à l'aide d'éthanol) de l'A. annua peuvent d'ores et déjà s'effectuer de manière relativement aisée dans les pays en développement. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
La culture de l'artémisinine en Afrique
Après la Chine et le Vietnam, l'Afrique de l'Est est aujourd'hui la troisième grande région de culture de l'artémisinine dans e monde[21]. L'altitude élevée, la haute intensité en lumière (grâce à la proximité de l'Équateur) et les basses températures nocturnes sont autant de facteurs favorables au succès de la culture de l'A. annua, bien que les problèmes logistiques et l'absence d'intégration au marché aient été cités comme obstacles potentiels[22]. Ceci dit, un secteur commercial embryonnaire a émergé au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda. Il est dominé par les opérations d'une compagnie holding, Advanced Bio-Extracts Ltd (ABE) et de ses deux filiales principales : East African Botanicals Ltd (EAB) au Kenya, et African ArtemisiaLtd (AA) en Tanzanie. En 2005, Novartis a accordé un prêt relais de 14 millions de dollars US à EAB, principalement pour étendre ses capacité de transformation, et a promis d'acheter une proportion significative de sa production[23]. Au Kenya, où la culture commerciale avait commencé en 2002 avec seulement 3 ou 4 agriculteurs sur une quarantaine d'hectares, on compte en 2010 plus de 7 500 paysans qui parviennent à en tirer leur subsistance[24]. Ces paysans signalent, parmi les avantages de cette culture, leur moindre dépendance à l'égard d'intrants chimiques coûteux, engrais ou pesticides, par comparaison avec des cultures alimentaires classiques comme le maïs ou le blé[25]. En Ouganda, une joint-venture entre une firme locale et le géant pharmaceutique indien Cipla est sur les rails, l'OMS ayant récemment préqualifié l'usine de transformation mise en place pour extraire l'artémisinine de l'A. annua cultivée sur place. Cipla a d'ores et déjà émis une lettre de crédit couvrant l'achat de la totalité de l'artémisinine produite en une année. Celle-ci sera exportée vers l'Inde pour être utilisée dans la production de TCA[26]. La culture et la transformation locale de l'artémisinine, en Afrique et ailleurs, sont menacées par l'expansion de sa production synthétique sous d'autres cieux. Suite à l'augmentation de la capacité de production à une échelle commerciale, Sanofi Aventis produira dorénavant de l'artémisinine synthétique par cuves de 100 000 litres[27]. Peu de détails ont transparu quant à la localisation prévue de cette production, mais étant donné qu'une infrastructure est déjà en place en Californie, où sont implantés Amyris et l'Université de Californie à Berkeley, ou encore à Paris, siège social de Sanofi Aventis, il semble bien improbable que l'Afrique soit retenue comme lieu où réaliser ces investissements. Si l'artémisinine synthétique devait être produite à grande échelle dans le Nord industrialisé, cette nouvelle source d'artémisinine sera-t-elle utilisée pour réguler les fluctuations de l'offre et de la demande (et donc stabiliser les prix), ou bien va-t-elle saper les fondements de l'industrie naissante dans ce secteur en Afrique ? Les questions de propriété intellectuelle risquent également de devenir cruciales. Les ressources dont disposent Amyris et les autres acteurs du Nord créeront un rapport de force totalement asymétrique, à moins que l'on parvienne à attirer l'attention du public sur cette question, à l'exemple de la pression de la société civile sur l'industrie pharmaceutique pour que celle-ci fournisse des médicaments anti-sida à bas prix aux patients d'Afrique du Sud. Des avancées récentes en termes de sélection ont permis la création de souches hybride d'Artemisia qui peuvent produire jusqu'à trois fois plus d'artémisinine que leurs cousines sauvages. Ces plantes sont aujourd'hui cultivés et récoltées commercialement à Madagascar, et elles font l'objet d'essais en Afrique du Sud, en Ouganda et au Zimbabwe[28]. Qu'adviendra-t-il de ces développements lorsque l'artémisinine pourra être commandée directement auprès de laboratoires ? La concentration de l'expertise et du capital aura-t-elle pour effet, comme dans le cas du génie génétique, de détourner de précieux financements et idées de recherche au profit de quelques « panacées » médiatiques ? Implications pour l'Afrique
Autant que nous sachions, il n'existe aucune réglementation nationale, régionale ou internationale de biosécurité dans le monde aujourd'hui qui régule la biologie synthétique, en dépit de ses implications potentiellement énormes pour l'humanité et le monde naturel. Néanmoins, la question fait l'objet de discussions dans le cadre de forums internationaux tels que la Convention sur la diversité biologique. La biologie synthétique a fait l'objet d'une discussion spécifique dans le cadre de la 14e rencontre de l'Organe subsidiaire chargé de fournir des avis scientifiques, techniques et technologiques (SBSTTA14). Les conclusions du www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
SBSTTA14 contiennent plusieurs références « bracketées » (entre crochets droits) à la biologie synthétique, y compris l'idée d'un moratoire de fait sur la dispersion d'êtres vivants synthétiques[30]. Les crochets droits ou brackets signifient toutefois que ces points n'ont pas fait l'objet d'un consensus unanime et que la discussion à leur sujet devra se prolonger dans le cadre de la 10e rencontre ministérielle de la Conférence des parties (COP10) de cette Convention onusienne, qui se tient à Nagoya au Japon entre le 18 et le 29 octobre 2010. Même si la question est à l'ordre du jour au niveau international, on peut douter que l'idée de ce moratoire survive face aux immenses intérêts financiers et stratégiques en jeu. Au minimum, ceux qui seront affectés par les conséquences sociales et environnementales de cette technologie devraient pouvoir obtenir la mise en place de règles et de procédures, quelles qu'elles soient, gouvernant l'usage de ces technologies. Mais même cette voie minimale sera semée d'obstacles du fait de l'opposition acharnée de ceux qui sont appelés à bénéficier le plus de la biologie synthétique. L'impact potentiel de la biologie synthétique sur le continent africain requiert un débat public global, conduit de manière ouverte et transparente. On peut tirer de précieuses leçons des expériences antérieures de tentatives d'imposer des technologies exogènes au continent, sans consultation suffisante du public et sans autorité ni capacité locales adéquates pour les réguler. Pour trouver un exemple parlant de cette problématique, il n'est pas besoin de remonter plus loin qu'à ce qui s'est passé en Afrique avec les biotechnologies basées sur le génie génétique. Actuellement, seuls trois pays africains produisent des cultures génétiquement modifiées pour le marché : le Burkina Faso, l'Égypte et l'Afrique du Sud[31]. Cet état de fait n'a pas ralenti le déluge d'initiatives de « formation » à travers tout le continent, majoritairement financées par l'industrie des biotechnologies et leurs troupes de choc de relations publiques dans des organisations comme USAID et la Fondation Gates. Même si ostensiblement la raison d'être de ces initiatives est d'aider l'Afrique à se nourrir elle-même, elles constituent aussi une opportunité inestimable, en l'absence d'expertise indigène sur les biotechnologies, pour orienter les discours officiels sur la biosécurité en un sens favorable aux développeurs des technologies et de tous ceux qui sont appelés à bénéficier de l'usage de ces technologies[32]. En outre, les gains obtenus au niveau multilatéral en matière de gouvernance des biotechnologies et des questions de sécurité qui leur sont associées, à travers le Protocole de Carthagène sur la biosécurité, sont aujourd'hui remis en cause par les efforts visant à « harmoniser » les législations sur la biosécurité dans toute l'Afrique par l'intermédiaire de ses communautés économiques régionales. Par exemple, à la lecture d'un récent projet de document politique sur les OGM du Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA), il était clair comme de l'eau de roche que les architectes de cette politique entretenaient des liens étroits avec une industrie appelée à réaliser des profits colossaux en cas d'application des orientations proposées[33]. Conclusion
La biologie synthétique vient ajouter du grain à moudre à l'hubris selon laquelle l'homme serait « maître » de l'environnement. Pourtant cette maîtrise s'accompagne d'une lourde responsabilité. La perspective de produire des quantités presque illimitées de médicaments à bas prix et de carburants « propres » doit être tempérée par un rappel que cette technologie n'en est encore qu'à ses premiers pas et que ses véritables conséquences ne peuvent pas encore être prédites avec une grande certitude. Ainsi que le montre le cas de l'alimentation, l'abondance à elle seule ne suffit pas à garantir la disponibilité. La fourniture de médicaments anti-malaria sera-t-elle plus efficace dans le cadre d'un système centralisé dont un petit nombre de firmes aura le contrôle exclusif, ou dans un système plus différencié, où une matière première cultivée localement pourra être rapidement et efficacement transformée et distribuée à ceux qui en ont le plus besoin ? À ce jour, l'argent liquide investi dans la biologie synthétique semble principalement dirigé vers ses applications énergétiques. Les grandes entreprises pétrolières mondiales ont déjà englouti des millions de dollars dans le secteur. L'Afrique du Sud paraît miser sur la technologie comme moyen de consolider sa place dans ce secteur. Cependant, cet www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
enthousiasme débridé se déploie sans attirer l'attention du public, et sans que celui-ci soit conscient des enjeux véritables. • Gareth Jones est chercheur à l'African Center for Biosafety. Mariam Mayet est la directrice de l'African Center for Biosafety. Traduction : Olivier Petitjean NOTES [1] Commission européenne (2010). ‘The Ethics of synthetic biology.' Luxembourg. Bureau des Publications de l'Union européenne. [2] Ibid. 3] ‘Synthetics: the ethics of synthetic biology.' IDEA League Summer School, août 2007, Pays-Bas. http://bit.ly/cA5rKE (page visitée le 14/09/2010). [4] Commission européenne (2010). ‘The Ethics of synthetic biology.' Luxembourg. Bureau des Publications de l'Union européenne. [5] Le Synthetic Biology Project est une initiative du Woodrow Wilson International Centre for Scholars visant à « promouvoir un discours public et politique informé sur l'avancement de la biologie synthétique ». http://www.synbioproject.org/about/ (page visitée le 23/08/2010). [6] Synthetic Biology Project (2010). ‘Trends in synthetic biology research funding in the United States and Europe.' Woodrow Wilson International Centre for Scholars. http://bit.ly/9aAx8e (page visitée le 2/08/2010) [7] Ibid. [8] http://bit.ly/9aAx8e (page visitée le 2/08/2010) [9] http://bit.ly/brrDoM (page visitée le 22/08/2010) [10] http://bit.ly/97yfy8 (page visitée le 23/08/2010) [11] http://bit.ly/brrDoM (page visitée le 22/08/2010) [12] http://bit.ly/bLr72V (page visitée le 17/08/2010) [13] ‘Extreme genetic engineering' (2007). ETC Group. [14] ‘Drug resistance could set back malaria control success.' OMS. 25 février 2009. http://bit.ly/c8UADN [15] Heemskerk, Schallig & de Steenhuisjen Piters (2006). ‘The World of Artemisia in 44 questions.' Royal Tropical Institute. http://www.kit.nl/smartsite.shtml?id=5564 (page visitée le 18/08/2010) [16] ‘World Malaria Day 2010: Africa update'. Roll Back Malaria. http://bit.ly/9adWwH (page visitée le 15/09/2010) [17] Ibid. [18] Ibid. [19] http://www.who.int/malaria/medicines.pdf (page visitée le 27/09/2010) [20] http://bit.ly/cPRFjR (page visitée le 19/08/2010) [21] ‘Small farmers cash in on Artemisinin production.' AllAfrica. 21 janvier 2009. http://allafrica.com/stories/200901210671.html (page visitée le 14/09/2010) [22] Heemskerk, Schallig & de Steenhuisjen Piters (2006). [23] Dalrymple, D. (2006). ‘Artemisia, agriculture and malaria in Africa: The interplay of tradition, science and public policy.' http://bit.ly/aF3hVp (page visitée le 15/09/2010) [24] Steenkamp, D & Thomas, W. (2010). ‘Investing in the bottom of the pyramid' in Leader. http://bit.ly/bRmZRc (page visitée le 14/09/2010) [25] ‘Small farmers cash in on Artemisinin production.' AllAfrica. 21 janvier 2009. http://allafrica.com/stories/200901210671.html (page visitée le 14/09/2010) [26] Wakabi, M (2010). ‘Uganda in double blow against Malaria - with local drugs', The East African. http://bit.ly/bswVf0 (page visitée le 15/09/2010) [27] Van Noorden, Richard (2010). ‘Demand for malaria drug soars', Nature news. http://www.nature.com/news/2010/100803/full/466672a.html (page visitée le 16/09/2010) [28] Ibid. [29] UNEP/CBD/COP/10/3 http://www.cbd.int/doc/?meeting=sbstta-14 (page visitée le 12/09/2010) [30] Voici les extraits du rapport en anglais : - 1: [14. Decides to convene an ad-hoc technical expert group on synthetic biotechnologies and other new technologies that are used or projected to be used in the next generation of biofuels to assess their impact on biodiversity and related livelihoods.]![16. Urges Parties and other governments, in accordance with the precautionary approach, to ensure that living organisms produced by synthetic biology are not released into the environment until there is an adequate scientific basis on which to justify such activities and due consideration of the associated risks for the environment and biodiversity, and the associated socio-economic risks, are considered.] www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
(2) This paragraph is in square brackets due to (i) financial implications, and (ii) a lack of consensus from the meeting on the need for the ad-hoc technical expert group and its mandate. In the paper on new and emerging issues (L.14), the decision 2:!Invites parties, other governments and relevant organizations to submit information on synthetic biotechnology and geoengineering in accordance with the procedure of decision 9-29, for consideration of SBSTTA, while applying the precautionary approach on field releases of synthetic life, cells or genomes into the environment. [31] James, C (2009). ‘Global Status of Commercialised Biotech/GM Crops.' ISAAA Brief No. 41. [32] GRAIN Briefing (2004). ‘USAID: Making the World Hungry for GM Crops.' [33] African Centre for Biosafety (2010). ‘Comments on COMESA's draft policy on GMOs.' ACB Briefing Paper No. 17. http://bit.ly/cM73rF (page visitée le 27/09/2010) « Pulpe Fiction » : les projets de plantations arboricoles dans le cadre du Mécanisme de développement propre Khadija Sharife http://pambazuka.org/en/category/features/67534 Se basant sur l'exemple des plantations arboricoles de l'entreprise norvégienne Green Resources Ltd, Khadija Sharife mène l'enquête sur les projets initiés dans le cadre du « Mécanisme de développement propre », comme ceux de Green Resources en Afrique de l'Est, et sur la réalité des bénéfices qu'ils sont censés apporter aux habitants sur le terrain. Green Resources Ltd, la plus grande compagnie de foresterie d'Afrique, s'affiche comme une entité vouée à la durabilité, avec des activités allant de la récupération des déchets forestiers à la séquestration de carbone. Ceci n'est pas un accident : deux jours seulement après l'adoption du Protocole de Kyoto de la Convention cadre de l'ONU sur le changement climatique (CCNUCC), cette entreprise (alors connue sous le nom de Fjordglott) a augmenté sa capitalisation de 98 000 à 1,4 million de dollars US, et adressé ultérieurement des invitations à des investisseurs privés comme l'entreprise norvégienne TRG pour qu'ils achètent des parts[1]. Aujourd'hui, les activités de Green Resources incluent plantations, activités de compensation d'émissions de carbone, produits forestiers et énergies renouvelables. Sa production de bois en Afrique tourne autour de 14 000 hectares de forêt, sur un total de 610 000 hectares en développement[2]. L'entreprise, principalement active en Afrique de l'Est avec 3500 employés[3], détient 12 000 hectares en Ouganda[4], ainsi que des surfaces significatives en Tanzanie (34 000 hectares de terres, et 120 000 hectares supplémentaires en cours d'acquisition), au Mozambique (172 000 hectares) et au Soudan (179 000 hectares)[5]. Elle possède également la plus importante scierie d'Afrique de l'Est, Sao Hill, et figure parmi les principaux producteurs du continent de poteaux de transmission électrique ou de bois de construction, entre autres produits[6]. La structure actuelle son actionnariat[7] est la suivante : Phaunos Timber Fund (26%), New Africa (26%), Steinerud (10%), Macama (8%), Storebrand ASA (8%), Verbene Investment Ltd (7%), TRG (4%), Preben Invest AS (3%). Contrairement à la concurrence, d'ailleurs limitée, Green Resources détient l'avantage comparatif de disposer déjà d'une expérience significative en termes d'acquisition de terres, décrite comme une « barrière à l'entrée considérable » par la compagnie. Parmi ces concurrents figure le Global Forest Solidarity Fund[8], une initiative privée active au Mozambique, financée à hauteur de 100 millions de www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
dollars US par des investisseurs comme l'Université de Harvard, qui a planté 5000 hectares au cours de la décennie écoulée ; New Forest[9], financée par des capitaux britanniques, active en Ouganda et au Mozambique, qui a planté 1500 hectares en 2007 ; Actis/CDC[10], qui contrôle 7000 hectares de plantations de teck en Tanzanie, ainsi que des droits d'exploitation forestière au Soudan ; Raiply[11] l'entreprise forestière la plus importante d'Afrique de l'Est, qui possède 12 000 hectares en Tanzanie et des opération au Kenya ; et Rift Valley Holdings[12], qui se décrit comme « l'un des principaux investisseurs dans l'agriculture et la foresterie en Afrique subsaharienne ». Comme l'expliquait récemment Mutuma Marangu, président d'une filiale de Green Resources[13], un arbre qui met 70 ans à pousser en Norvège n'en met que 17 en Tanzanie. Étant donné la situation géostratégique de l'Afrique de l'Est et la demande croissante de bois de la part de nations émergentes comme la Chine, Marangu pense qu'à mesure que des surfaces importantes de forêt se « connecteront » au marché mondial, les Chinois, Japonais et autres consommateurs importants de bois au Moyen- et en Extrême-Orient se tourneront vers l'Afrique de l'Est en lieu et place du Brésil, de l'Argentine et du Chili, leurs fournisseurs traditionnels. « En termes de transports de matières premières, la distance entre la Chine et l'Afrique de l'Est est inférieure à celle entre la Chine et le Brésil. », a-t-il déclaré. « Les opportunités sont immenses ici. Notre taux de pénétration de la foresterie et de la couverture forestière est le plus faible au monde, et les possibilités de faire pousser des arbres sont les plus importantes. Nous montrons la voie à suivre. »[14] Au cours de son récent entretien avec le Business News Network du Canada, Marangu a déclaré que chaque année, 300 000 foyers ont besoin de bois de construction au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda, où la population croît « d'un million de personnes par an »[15]. « En termes d'énergie et de demande, le besoin à la fois de production (de bois) et de compensation (carbone) est extrême. À présent, il y a peu d'investissements multinationaux ou étrangers dans le secteur. », a-t-il ajouté. Actuellement, des producteurs « à coûts élevés » comme les États-Unis (qui produisent plus de 600 millions de mètres cube de bois par an) et la Russie (qui produit plus de 400 millions de mètres cube de bois par an), et quelques autres comme l'Uruguay, le Brésil, l'Indonésie et l'Afrique du Sud, représentent 80% de l'offre[16]. L'entreprise souligne que les nouvelles taxes russes sur les exportations de bois (50 euros par mètre cube) sont supérieures aux droits de coupe (coûts résiduels après soustraction de divers coûts comme le transport) de la Tanzanie[17]. Pendant ce temps, des nations émergentes comme l'Afrique du Sud connaissent un augmentation de la consommation locale de produits à base de bois. L'opinion de Marangu sur la Chine et l'Inde est corroborée par les chiffres : entre 2002 et 2006[18], les importation de cette dernière ont doublé, tout comme celles de la Chine au cours des 5 dernières années. La Chine ayant augmenté les plantations domestiques de bois dur et de bois tendre (qui sont passé de 6 millions et 7 millions de mètres cube annuels respectivement en 2000 à 25 et 16 millions en 2010), l'« explosion » de la demande chinoise n'aura toutefois qu'un « impact modeste ». Ce sont précisément les vastes ressources en bois de l'entreprise qui lui permettent de percevoir les compensations carbone comme un moyen viable de générer des profits à travers la séquestration ou le stockage de carbone via des plantations. Ces plantations sont considérées comme un moyen particulièrement profitable d'atténuation du changement climatique dans le cadre du Mécanisme de développement propre (MDP) du Protocole de Kyoto. L'Afrique a été le plus faible bénéficiaire des fonds liés au changement climatique, alors que le continent ne compte que pour 3% de toutes les émissions planétaires de gaz à effet de serre. Malgré les études réalisées par le Programme sur l'énergie et le développement soutenable de l'Université de Stanford qui ont révélé qu'entre un et deux tiers des projets du MDP « ne permettent aucune réduction réelle des émissions de carbone »[19], ces projets représentent 20% du marché global du carbone, soit 17,5 sur 94 milliards de dollars US au total (en 2009). Le marché carbone de l'Union européenne représente 77% de ce marché (72 milliards de dollars US), mais celui-ci est appelé à exploser de 300% une fois que le marché des États-Unis entrera officiellement en vigueur[21]. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
L'importance des forêts comme « puits » de carbone a été reconnue par les articles 6 et 12 du Protocole de Kyoto, relatifs aux activités de projet et au marché des émissions. L'article 6 stipule que les pays de l'Annexe 1 (c'est-à-dire les nations développées et industrialisées qui sont responsables de plus de 80% des émissions historiques) peuvent transférer à ou acquérir d'autres pays de l'Annexe 1 des crédits carbone – résultant de projets visant à réduire les émissions d'origine humaine ou à renforcer les puits de carbone[22]. L'article 6 inclut deux dispositions fondamentales selon lesquelles toute réduction d'émissions revendiquée doit être « additionnelle », c'est-à-dire que les émissions doivent être effectivement inférieures à celles qui seraient survenues autrement[23]. L'article 12, de son côté, porte sur le rôle des pays autres que ceux de l'Annexe 1 (pays en développement) et définit le rôle des initiatives de MDP, lesquelles doivent – en théorie – permettre aux nations en développement de progresser vers la durabilité grâce à des transferts de technologies (par exemple dans le domaine de l'énergie solaire ou éolienne) depuis les nations développées. Le MDP facilite en retour la poursuite des émissions de CO2 de la part des pays développés à travers l'acquisition de crédits carbone générés par la non-utilisation d'hydrocarbures dans les pays en développement. Les projets d'afforestation et de reforestation ont été formellement inclus dans ce mécanisme par la 9e Conférence des parties (COP) en décembre 2003[25]. Green Resources a déclaré que ses projets existants vont générer plus de 60 millions de tonnes de carbone capturées durant la prochaine décennie, la capture totale de carbone par afforestation/reforestation devant atteindre un pic à 2 millions de tonnes par an pour les projets actuellement en développement (en 2009)[27]. Des projets additionnels devraient générer selon les estimations 9 millions de tonnes (d'ici 2020, lorsque la « croissance nette de la biomasse sera la plus importante »). Le gouvernement norvégien, soucieux de compenser quelques 6 millions de crédits carbone[28], a d'ores et déjà acheté des crédits à Green Resources[29]. Même si le Protocole de Kyoto de 1997 établi dans le cadre de la CCNUCC n'est entré en vigueur qu'en 2005, la Tanzanie avait ratifié l'accord dès 2002[30]. L'approbation de la CCNUCC est vitale, et celle du pays hôte - à travers une « autorité nationale désignée » (AND) – constitue également un réquisit fondamental. Le guide officiel réalisé par la Tanzanie sur le MDP à destination des investisseurs indique à ce propos : « En Tanzanie, avant que l'AND puisse approuver des activités de projet d'afforestation/reforestation, celles-ci sont examinées par le Ministère des ressources naturelles et du tourisme à travers sa Division des forêts et de l'apiculture, laquelle a mis en place un groupe de travail pour étudier ce type de projet ainsi que tout autre aspect relatif aux opportunités d'échange de carbone. »[31] Afin d'« accélérer » et simplifier la procédure pour les initiatives de MDP à petite échelle, le gouvernement a mis en place « un enregistrement plus rapide, de seulement 4 semaines après soumission du dossier, une exemption des frais d'enregistrements » - de même pour les entités « validées, vérifiées et certifiées par les mêmes entités opérationnelles désignées. Les « entités opérationnelles désignées » sont chargées de vérifier que les projets de MDP respectent les régulations appropriées. Afin d'obtenir l'approbation de l'AND, des « notes sur l'idée du projet » – identifiant le caractère « additionnel » de ce dernier, sans lequel il ne serait pas admissible dans le cadre du MDP – et des « documents de conception du projet » doivent être soumis. L'implication de l'AND le plus en amont possible est souhaitée. Les projets ciblant les zones rurales sont également privilégiés, et le transfert de technologie demeure l'une des quatre conditions essentielles à l'approbation de l'ADN. Le guide révèle encore : « Le moment de la vente des unités de réduction certifiée des émissions (URCE ou CER en anglais) a un impact sur le prix obtenu. Contacter des acheteurs potentiels peut être recommandé si un financement de l'enregistrement au titre du MDP est requis. »[32] L'Idete Forest Project de Green Resources constitue un exemple d'initiative dans le cadre du MDP. « L'objectif d'Idete est de faire pousser des arbres pour stocker du carbone et récolter des produits forestiers pour produire du bois découpé, des poteaux à usage industriel et de l'énergie renouvelable. », assure Green Resources. Alors que l'entreprise a soumis ses « documents de conception du projet » en novembre 2008, les plantations avaient commencé à Idete dès 2006, sur des terres de savane dégradées[33]. La certification du Forest www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Stewardship Council (FSC), déjà obtenue en 2008 dans les concessions de Uchindile et Mapanda de la compagnie, est essentielle pour s'assurer que les meilleurs standards de l'industrie sont appliqués. Selon le Dr Blessing Karumbidza de l'Institute or Economic Research and Innovation (EIRI), c'est la Norvège – l'un des principaux producteurs de pétrole mondiaux – plutôt que la Tanzanie qui en récoltera les bénéfices. « Le projet Idete a été, selon certains, directement appuyé par le Ministère norvégien des finances. Le Premier ministre norvégien, qui était présent à l'inauguration, a évoqué dans son discours l'importance des crédits carbone comme moyen de compenser les émissions de la Norvège. La Tanzanie était au cœur de l'arrangement. », dit Karumbidza, qui représente également l'organisation de la société civile africaine Timberwatch. L'ironie, comme le souligne Karumbidza, est que les plantations arboricoles ne sont pas des forêts mais des monocultures, et ne devraient donc pas pouvoir bénéficier d'une certification FSC. « Green Resources prétendait que la terre acquise à Idete était dégradée par le feu, mais contrairement aux plantations de bois où le feu est un agent de destruction, les feux de savane sont un moyen naturel et expédient de maintenir l'écosystème, qui supprime les matières herbacées mortes, recycle les nutriments, entre autres rôles importants. », observe-t-il. « L'objectif de cet accord et des accords similaires de MDP n'est pas de transférer des technologies en vue d'un développement durable et de la production d'énergie renouvelable dans les pays en développement en guise de compensation des émissions occidentales, mais plutôt de perpétuer la même exploitation. » Les espèces d'arbres plantées sont avant tout l'eucalyptus, une espèce potentiellement invasive (59%), et le pin (40%). La forêt, située dans le district de Mufindi, dans la région d'Iringa, est située à une altitude d'entre 1 100 et 1 550 mètres. La saison des pluies y dure de novembre à mai[34]. En 2008, 1 600 hectares, sur une surface plantable de 8 000 hectares (et sur un total de 11 600 hectares de terres acquis par Green Resources à Idete), avaient été développés, générant potentiellement 172 471 unités temporaires de réduction certifiée des émissions (tCER) par an[35]. L'entreprise estime que la production totale sur 20 ans générera presque 2,6 millions de tCER à Idete seulement[36]. En 2009, Green Resources révélait que ses plus de 6 millions de tCER potentiels à l'horizon 2020, vendues à 6 dollars US l'unité, représentaient un revenu potentiel de 36 millions de dollars US pour la période créditée (les règles du MDP stipulent que le carbone accumulé peut être vendu tous les 5 ans)[37]. Les défis économiques auxquels sont confrontés les projets de compensation carbone en Tanzanie ont été décrits ainsi par Green Resources : « un haut niveau de risque, un prix bas et incertain pour les tCER, des coûts élevés de conception et de mise en œuvre du projet ». Les obstacles institutionnels et sociaux incluent la compréhension limitée, de la part du gouvernement, des processus de certification carbone, les difficultés structurelles liées aux procédures bureaucratiques d'approbation gouvernementales, ainsi que le niveau de compréhension lui aussi limité des communautés[38]. L'entreprise ajoutait, dans sa brochure intitulée « Aperçu des projets de plantation et de certification en Tanzanie », que les parties prenantes et les communautés ont des espoirs très élevés en termes de bénéfices attendus[39], et que les investisseurs privés sont placés de fait dans une position désavantageuse. « Même si des financements importants sont disponibles pour les activités de foresterie et de compensation carbone, seule une très faible partie de ces fonds bénéficie aux firmes privées. », déclarait Green Resources. « Selon nos estimations, les entreprises privées reçoivent moins de 2% des financements publics disponibles pour l'afforestation/reforestation et les compensations carbone. Afin de renforcer toutes les activités qui contribuent à combattre le changement climatique, en particulier en Afrique, les agences de financement devraient augmenter les fonds disponibles pour le secteur privé. »[40] L'entreprise déclarait que le coût à l'hectare du projet varie entre 400 et 600 dollars US à l'hectare, même si la terre est louée pour une durée de 99 ans au gouvernement tanzanien au prix dérisoire de 2,3 couronnes norvégiennes (moins de 0,36 dollar US), soit un loyer annuel légèrement inférieur à 4 200 dollars US pour Idete. Cela représente une baisse de deux tiers par rapport au niveau de loyer précédent, baisse obtenue à force de pression par l'ancien directeur général Ivar Løvhaugen, qui a fait valoir que les coûts de loyer devaient être réduits autant que possible pour diminuer les risques. Argument repris par John P. Haule, directeur d'une filiale de Green Resources Ltd (connue alors sous le nom de Tree Farms), qui estimait que les frais de loyer devaient diminuer de 50% pour atteindre 750 shillings tanzaniens[43]. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Le dirigeant de Green Resources, Mads Asprem, a expliqué en outre l'année dernière au groupe norvégien de la société civile Norwatch : « Il est intéressant de constater que la demande de terre en Tanzanie est très faible, et que les développements en agriculture et en foresterie sont peu nombreux. La seule conclusion à tirer de cet état de fait est que le prix de la terre est trop élevé. »[44] La compagnie s'est engagée à réinvestir 90% de son chiffre d'affaires dans des projets ultérieurs, tandis que les deux villages louant leur terre recevront 10% des profits générés par les crédits carbone[45]. « Ce que fait Green Resources est d'exporter en Afrique le problème de pollution générée ailleurs. Les Tanzaniens n'y gagnent quasiment rien. Cela deviendra évident dans 10 ou 15 ans lorsque les nappes phréatiques auront été épuisées par les plantations arboricoles. Un fait particulièrement révélateur des pratiques d'exploitation sous-jacentes aux arrangements de ce type est qu'il a été négocié non dans une devise forte, mais en shillings tanzaniens, une monnaie sujette à dépréciation. », explique Karumbidza. « Les communautés tanzaniennes peuvent s'attendre à recevoir quelques millions de shillings tanzaniens générés par les crédits carbone dans 15 ans – mais cela ne vaudra peut-être pas grand chose. » Même si Green Resources, la première entreprise à obtenir une certification Voluntary Carbon Standard (VCS) en dehors des États-Unis, prétend n'avoir réalisé encore aucun profit à ce jour après 12 ans d'activités en Afrique, ses plantations seront bientôt arrivées à maturité et prêtes à être récoltées[46]. Le temps dira si les projets de reforestation dans le cadre du MDP sont de l'ordre du fait ou de la fiction. • Khadija Sharife est journaliste et chercheuse au Centre for Civil Society en Afrique du Sud. Traduction : Albert Caille. NOTES [1] Norwatch (2000) ‘Norwegian Tree Plantations, Carbon Credits and Land Conflicts in Uganda': p. 4. [2] Green Resources (2009) ‘CCA Africa Agribusiness Sector Presentation', p. 2 (cf. http://tinyurl.com/268jfuy) [3] Ibid. [4] Ibid. [5] Ibid. [6] Ibid., p. 4. [7] Ibid., p. 2. [8] Ibid., p. 4. [9] Ibid. [10] Ibid. [11] Ibid. [12] Ibid. [13] Business News Network (2010), Interview with Green Resources' Mutuma Marangu, 28 avril 2010 (cf. [14] Ibid. [15] Ibid. [16] Green Resources (2009) ‘CCA Africa Agribusiness Sector Presentation', p. 6. [17] Ibid. [18] Ibid. [19] Christian Aid (2009) ‘The Role of Carbon Markets In Countering Climate Change' (cité par Victor, David. (2008) ‘A Realistic Policy on International Carbon Offsets', CITY, Stanford University Press). [20] Green Resources (2009), ‘CCA Africa Agribusiness Sector Presentation', p. 5. [21] Ibid. [22] Winrock International (1999) ‘Guidelines for Inventorying and Monitoring Carbon Offsets in Forest-Based Projects' Arlington, VA, Winrock International. [23] Ibid. [24] Ibid. [25] Republic of Tanzania (2007) ‘A Handbook for Clean Development Mechanism Projects (CDM) Activities in Tanzania', (cf. http://tinyurl.com/27bo4kd) [26] Green Resources (2009) ‘CCA Africa Agribusiness Sector Presentation', p.5. [27] Ibid. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
[28] TimberWatch (2009) ‘Potential Impacts of Tree Plantation Projects under the CDM An African Case Study' (cf. http://tinyurl.com/2dsqo3h) [29] Green Resources (2009) ‘CCA Africa Agribusiness Sector Presentation', p. 5. [30] Republic of Tanzania (2007) ‘A Handbook for Clean Development Mechanism Projects (CDM) Activities in Tanzania', p. 4. [31] Ibid. p. 14. [32] Ibid., p. 8. [33] Green Resources (2010) ‘Plantations Tanzania' (cf. http://www.greenresources.no/Plantations.aspx) [34] Ibid. [35] Green Resources (2008) ‘Overview of Plantation/Certification Development in Tanzania', p. 9. [36] Ibid. [37] Green Resources (2009) ‘CCA Africa Agribusiness Sector Presentation', p. 5. [38] Green Resources (2008) ‘Overview of Plantation/Certification Development in Tanzania', pp.13-14. [39] Ibid. [40] Carbon Positive (2010) ‘Reforestation Vital for Africa & Climate Developer',(cf. [41] Green Resources (2008) ‘Overview of Plantation/Certification Development in Tanzania', pp.13-14. [42] Norwatch (2009), ‘Climate Project on Cheap Ground', (cf. http://tinyurl.com/2wyhobq) [43] Ibid. [44] Ibid. [45] Green Resources (2009) ‘CCA Africa Agribusiness Sector Presentation', p. 5. [46] Carbon Positive (2010) ‘Reforestation Vital for Africa & Climate Developer'. Mécanisme de développement impropre Notes de recherches sur l'impérialisme « vert » dans les hauts plateaux du Sud tanzanien Blessing Karumbidza et Wally Menne « Le financement de programmes dédiés à l'atténuation et à l'adaptation au changement climatique en Afrique a suscité de nouvelles formes d'impérialisme orienté vers les ressources, les investissements extractivistes et les opportunités d'accaparement des terres, en particulier de la part de compagnies européennes et chinoises. », écrit Blessing Karumbidza. Ces projets, qui font un usage intensif de surfaces foncières, affectent négativement les conditions de vie et de subsistance des personnes qui dépendent de la terre pour leur alimentation et d'autres besoins. Le cas du village Idete en Tanzanie, site d'une plantation arboricole de l'entreprise norvégienne Green Resources AS, constitue un exemple de la manière dont les projets de « développement (prétendument) propre » ne bénéficient pas toujours aux communautés. L'utilisation de plantations arboricoles comme stratégie d'atténuation du changement climatique a été mise en avant dans certains cercles comme un moyen innovant de s'attaquer au problème du climat tout en favorisant le développement des régions où ces projets étaient implantés. Malheureusement, ces promesses n'ont pas encore été confirmées, et les effets réels de cette approche risquent fort de s'avérer peu brillants. Les résultats préliminaires indiquent que la stratégie basée sur les plantations est vouée à l'échec, et à causer davantage www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
de mal que de bien pour les pays qui se laissent leurrer par les mécanismes de marché. Le financement des programmes dédiés à l'atténuation et à l'adaptation au changement climatique en Afrique a ouvert la voie à de nouvelles formes d'impérialisme orientées vers les ressources, les investissements extractivistes et les opportunités d'accaparement des terres, en particulier de la part de compagnies européennes et chinoises. À cette fin, des termes comme « afforestation » et « reforestation » ont été délibérément confondus, et les plantations ont été présentées comme des forêts. De vastes savanes et des zones bio-diverses fragiles se trouvent détruites par la course à l'implantation de plantations arboricoles monoculturales, basées sur des espèces exotiques invasives et gourmandes en eau, comme l'eucalyptus ou le pin, le tout au nom de l'atténuation du changement climatique et du développement. Des think-tanks alignés sur les intérêts occidentaux (à travers principalement le FMI, la Banque mondiale ou l'ONU), ainsi que le secteur privé, sont occupés à encourager et faciliter le processus, à travers des moyens qui rappellent l'expansion coloniale du XIXe siècle. Ces think-tanks et ces entreprises s'allient pour influencer et leurrer les gouvernements africains avec des promesses de financement et de développement, afin qu'ils sanctionnent le processus d'expropriation de terres qui se développe actuellement à une vitesse alarmante, et qui a été qualifié par certains de « nouvelle ruée sur l'Afrique »[1] ou encore de « colonialisme du carbone »[2]. La terre : nouvel objet de l'impérialisme
Le financement des projets liés au changement climatique a entraîné une marchandisation accrue de la terre et des ressources naturelles de l'Afrique, toujours fondée sur l'exploitation de la main d'œuvre africaine pour en extraire une plus-value destinée à nourrir l'accumulation occidentale. Les promoteurs de ce paradigme de développement ont colporté un discours présentant la terre en Afrique comme dégradée, marginale, ou de faible valeur économique. Pour en faciliter « l'usage économique par des firmes étrangères », des milliers d'hectares sont loués (et dans certains cas vendus) sous prétexte d'assurer une régénération à long terme de la terre et la conservation des ressources naturelles, et d'en dériver en même temps des bénéfices économiques. Selon Mwesiga Baregu[3], cette rupture se situe dans le droit fil du nouveau caractère de la globalisation, qui a rendu la main d'œuvre africaine surnuméraire. Le nouvel objet de l'impérialisme en Afrique est la terre. La justification avancée auprès d'actionnaires consciencieux, ainsi qu'auprès des voix africaines critiques, pour financer des projets dans le cadre du Mécanisme de développement propre (MDP) et de REDD+ (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts) est que ces projets de développement contribueront de manière significative à remédier à la pauvreté que connaissent de nombreuses communautés rurales africaines. Le transfert de la gestion des forêts vers le niveau local dans de nombreux pays en développement est perçu comme une panacée en termes d'amélioration des conditions de vie et de subsistance et en termes de bonne gouvernance. En Tanzanie, le transfert de la gestion des forêts au niveau local a ouvert grand les vannes pour l'arrivée d'entreprises étrangères qui parviennent à soutirer la terre aux structures rudimentaires de gouvernance rurale en place au nom du développement. Jagger, qui a essayé d'évaluer les effets de la réforme du secteur forestier sur les conditions de vie rurales en mesurant deux bénéfices attendus (revenu ajusté tiré de la forêt par les ménages, et proportion du revenu ajusté des ménages issu des produits forestiers), a conclu à une amélioration limitée[4]. Il nuance toutefois cette conclusion, relevant que « pour les ménages et les forêts affectés par la réforme, il n'y a pas de preuve empirique que des résultats favorables aient été atteints à la fois en termes d'amélioration des conditions de vie et de durabilité », et que « les améliorations des conditions de vie sont généralement attribuées à des défaillances institutionnelles, parmi lesquelles une application sélective de la réforme au bénéfice des plus riches et l'absence de toute implication significative des communautés »[5]. Se basant sur le cas tanzanien, Blomley et alii[6] notent eux aussi l'importance des arrangements institutionnels dans la distribution des bénéfices tirés des ressources forestières. La récente ruée sur les terres africaines pour des projets d'agrocarburants ou liés au changement climatique a conduit à une situation, dont les implications sont redoutables pour la souveraineté alimentaire nationale et locale, où les plantations arboricoles deviennent prioritaires par rapport à l'agriculture. Ceci a entraîné un accaparement des terres dans de nombreuses régions du continent africain. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Parmi les exemples de cet accaparement de terres, l'intention affichée par le gouvernement éthiopien, proche à la fois des États-Unis et de la Chine, tirant prétexte de la famine persistante dans le pays, de réserver 3,6 millions d'hectares de terres à donner en location à des investisseurs. Certains allèguent que des millions d'hectares ont déjà été « alloués », à des firmes saoudiennes qui paient 50 cents de dollar US l'acre. Derrière ces arrangements plane l'ombre de Sheik Mohammed Al Amoudi – qui figure parmi les 50 premières fortunes mondiales, et qui contrôle de larges pans du secteur privé éthiopien. L'Arabie saoudite n'est pas seulement active en Éthiopie, mais aussi en Tanzanie, au Mali, au Sénégal et au Soudan. La Chine a loué 9 millions d'acres au Congo-Kinshasa, le Qatar 250 000 acres au Kenya, et des firmes indiennes ont loué 800 000 acres au Soudan. Des compagnies originaires de Suède et de Norvège ont acquis des terres pour y cultiver de la jatropha à transformer en biodiesel et des arbres à transformer en crédits carbone. À Madagascar, un projet de transfert de terres à une échelle similaire a suscité un mouvement de masse qui a fait chuter le président, lequel voulait donner la moitié de la terre arable de l'île à l'entreprise sud-coréenne Daewoo. Le peuple a considéré qu'il s'agissait d'une forme de re-colonisation. L'accord conclu avec Daewoo incluait la promesse de construction de routes et d'infrastructures, un aspect que l'on retrouve dans la plupart des arrangements conclus entre gouvernements africains et investisseurs étrangers. Un facteur sous-jacent de ces projets est donc l'absence de programmes de développement endogènes, dédiés à la production et à la consommation africaines locales. La perception des forêts comme solution au changement climatique a ouvert les vannes à une ruée sur les terres africaines. Robeldo et alii[7] envisagent les forêts à la fois comme une cause et comme une solution au changement climatique, observant que « les forêts peuvent jouer un rôle central dans le changement climatique » et que « les émissions de gaz à effet de serre des forêts (…) représentent jusqu'à 25% des émissions annuelles actuelles au niveau mondial ». Cette analyse passe sous silence le fait que les principales activités qui contribuent aux émissions qui causent le changement climatique sont localisées loin des forêts dont on attend qu'elles facilitent son atténuation. L'intérêt pour les terres, forêts et plantations arboricoles africaines de la part de pays européens comme la Norvège ou la France, par exemple, se justifie au nom de la lutte contre le changement climatique. La compagnie norvégienne Green Resources AS a étendu ses investissements en Afrique, avec des plantations en Tanzanie, au Mozambique et en Ouganda, et poursuit sa recherche frénétique de terres supplémentaires pour engranger des crédits carbone, une démarche qui a été qualifiée par certains observateurs critiques d'« impérialisme du carbone ». Les opportunités d'investissement liées au changement climatique dans le « secteur forestier » sont de véritables aubaines pour les pays développés, et des menaces pour les économies et les communautés des pays en développement. Village Idete (Wally Menne) Le concept du mécanisme de développement propre
Les financements liés au carbone sont une réponse « top-down » au changement climatique, fondée sur la conviction erronée que l'argent pourra toujours « arranger les choses ». Généralement, cela se traduit par des investissements supplémentaires dans les mêmes activités écologiquement destructrices qui ont créé le problème initialement, en évitant tout changement significatif dans le système économique dominant[8]. Cette approche bénéficie aux pays riches du Nord, en leur permettant de poursuivre l'extraction et la transformation industrielle des ressources naturelles des communautés marginalisées du Sud. Les www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
hydrocarbures représentent une forte proportion des ressources transférées dans le cadre de ce système à sens unique, où les bénéfices des activités industrielles polluantes sont concentrées dans quelques pays et les émissions de CO2 au contraire partagées globalement, sous forme de changement climatique. À ce jour, les tentatives de financement de projets d'atténuation du changement climatique n'ont eu qu'un succès limité, et nombre d'entre elles sont apparues davantage de nature à perpétuer, plutôt qu'atténuer, les conditions qui ont conduit au changement climatique, tout en créant des problèmes supplémentaires pour les communautés locales affectées[9]. Depuis la mise en place de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC) en 1992, les pays industrialisés ont essayé de diverses manières de maîtriser ou de limiter leurs émissions de gaz à effet de serre. Cette démarche a culminé avec le Protocole de Kyoto de 1997 (qui n'a été officiellement ratifié qu'en 2005), lequel a rendu possible les investissements dans des projets de développement « propre » ou à faible niveau d'émissions de carbone dans les pays en développement dans le cadre du MDP. Les crédits carbone accumulés grâce à de tels projets générant des « réductions d'émissions additionnelles » peuvent ensuite être utilisés par les industries polluantes et les autres émetteurs de gaz à effet de serre dans les pays de l'« Annexe 1 » pour compenser les manquements à leurs objectifs de réduction d'émissions. En théorie, cela devait avoir pour résultat une réduction supplémentaires des émissions globales et, en même temps, une stimulation du « développement durable » des pays en développement. À l'évidence, les bienfaits attendus du MDP en termes de lutte contre le changement climatique ne se sont pas concrétisés. En dépit du battage médiatique et d'une campagne vigoureuse et coûteuse de l'ONU et de la Banque mondiale pour le promouvoir, le MDP n'a débouché que sur une infime fraction des réductions d'émissions espérées. Il a favorisé à la place la spéculation financière, source de relations malsaines entre consultants et porteurs de projets[10]. Les émissions globales de gaz à effet de serre ont augmenté plutôt que diminué, et leurs effets climatiques se feront sentir jusque dans un futur éloigné sous la forme de phénomènes climatiques extrêmes, causes de dégâts pour l'environnement et les infrastructures et de souffrance humaine. Étude de cas : la Tanzanie
Cette étude s'est concentrée sur le projet de plantation arboricole de Green Resources localisé sur une savane humide proche du village d'Idete dans la région de Mufindi, au Sud de la Tanzanie. La Tanzanie est un grand pays, abritant des peuples divers et une vaste nature sauvage qui attire de nombreux touristes étrangers. La principale source d'emploi pour ses 38 millions d'habitants demeure toutefois l'agriculture de subsistance, associée à un vaste secteur industriel informel basé sur l'exploitation des ressources naturelles, notamment le bois des forêts denses et claires. La majorité du peuple tanzanien vit encore dans des zones rurales sous-équipées et doit faire face à des problèmes d'énergie, de communication, de transfert de technologies appropriées, ainsi que de niveau très bas d'alphabétisation – autant de facteurs qui affectent négativement le niveau de vie. L'étude de cas tanzanienne montre que les financements du MDP sont utilisés pour influencer les structures nationales de gouvernance afin de faciliter un accès à bon marché aux ressources naturelles et à la terre. Ces projets sont motivés par la recherche de profits, aux dépens des pays en développement où ils sont mis en œuvre, avec pour conséquence des dommages sociaux et environnementaux non souhaités (mais qu'il était possible d'anticiper). L'industrie des financements climatiques se juge nécessaire et pense qu'elle sera efficace dans la lutte contre le changement climatique. Elle présuppose également qu'il n'existe pas de meilleures alternatives, et que les autres options ne sont pas à la hauteur des grands www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
projets d'atténuation du changement climatique soutenus par les marchés du carbone. Autant d'arguments qui peuvent sembler inattaquables dès lors que le Protocole de Kyoto en a décrété ainsi, à travers son soutien aux mécanismes de marché. Des solutions plus simples, moins coûteuses et tout aussi efficaces comme l'agriculture biologique se sont trouvées exclues de fait, probablement parce qu'elles généraient peu de bénéficies pour la confrérie des marchands de carbone, et pouvaient même remettre en cause l'ordre établi de l'agriculture industrielle. L'exemple de Green Resources, qui a endommagé de précieuses zones de savane pour tirer profit de la perpétuation de la pollution au Nord, démontre le caractère grotesque des marchés du carbone. Dans le cadre du MDP, il est possible de présenter des plantations arboricoles comme des projets visant à réduire les émissions de CO2, quand bien même de tels projets auraient bien du mal à démontrer le caractère additionnel de leurs réductions (c'est-à-dire qu'elles séquestrent davantage de carbone que la savane qu'elles remplacent). Pendant ce temps, REDD+, qui pourrait en théorie réduire les émissions des forêts d'entre 12 et 20%, ne commence que maintenant à faire l'objet de discussions en vue de sont inclusion dans un régime post-Kyoto de lutte contre le changement climatique. Malheureusement, il est très peu probable qu'il soit approuvé sans être étroitement lié à des mécanismes basés sur le marché comme le MDP. Le début des activités de financement climatique en Tanzanie
En 2002, un rapport de NorWatch, une organisation de la société civile norvégienne, soulignait le caractère problématique des activités de compensation carbone de l'entreprise norvégienne Green Resources dans une plantation arboricole en Ouganda. Green Resources, connue alors sous le nom de Tree Farms Ltd, s'était lancé dans une campagne d'acquisition de terres dans différents pays d'Afrique de l'Est en vue d'établir de vastes plantations d'arbres. Les zones ciblées étaient des régions rurales isolées, et l'entreprise a obtenu des baux de longue durée pour des terres dans le Sud de la Tanzanie. Harald Eraker, auteur du rapport de NorWatch intitulé « CO2lonialisme », levait ainsi un lièvre qui continue de courir sous le regard attentif de NorWatch. En 2009, NorWatch mena une nouvelle enquête sur les activités de Green Resources et publia en juin de cette même année un rapport au vitriol attirant notamment l'attention sur les conditions dans lesquelles les terres des communautés avaient été louées à Green Resources. Lorsque TimberWatch apprit que l'entreprise était en train d'essayer de faire enregistrer ses plantations controversées comme projets de reforestation dans le cadre du MDP, cette organisation décida d'approfondir l'enquête. Durant le Sommet de la CCNUCC de décembre 2009 à Copenhague, TimberWatch rendit public un rapport préliminaire basé sur ses investigations initiales. La réaction défensive de Green Resources est venue confirmer les nombreux problèmes identifiés[11]. De plus amples informations sur le projet de plantation puit de carbone « projeté » à Idete dans le cadre du MDP (il est en fait déjà en place bien que non enregistré dans le cadre du MDP) peuvent être trouvées sur le site web du World Rainforest Movement, ainsi que dans le document original de présentation du projet. Les projets détaillés de Green Resources d'étendre ses plantations dans la région (disponibles sur le site de l'entreprise) constituent un sérieux motif d'inquiétude du point de vue de ses conséquences potentielles en termes d'accaparement des terres et de durabilité des conditions de vie et de subsistance. Plantation d'eucalyptus de Green Resources Ltd près d'Idete – La mauvaise qualité de la planification et de la gestion de la plantation y sont en évidence. Les plantations arboricoles ne créent que peu d'emplois pour les résidents locaux et suppriment des opportunités d'emploi dans les activités agricoles traditionnelles. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Les plantations arboricoles liées au MDP en Tanzanie
La filiale tanzanienne de Green Resources a déjà planté 2 600 hectares sur les 14 000 hectares de terres qu'elle a acquis à bas prix auprès de la communauté d'Idete. Elle déclare l'objectif de planter au total 7 000 hectares d'eucalyptus et de pins. La communauté est encouragée à suivre l'exemple, en plantant des arbres que l'entreprise a promis d'acheter. La motivation principale alléguée pour cet investissement est de tirer des revenus du marché émergent du carbone rendu possible par le changement climatique. Une fois encore, la terre et les forêts de l'Afrique, qui ont servi de poumon à la planète entière et en particulier aux économies développées qui n'auraient pu s'industrialiser sans exploiter la terre intensivement, sont mises au service des intérêts du monde développé. Green Resources espère faire l'acquisition de pas moins de 170 000 hectares de terre en Tanzanie seulement, dont la majeure partie (142 000 hectares) proviendraient des hauts plateaux du Sud riches en biodiversité et en précipitations. Pour parvenir à s'accaparer ces terres sans trop mettre la main à la poche, l'entreprise mise sur la pauvreté, l'illettrisme, l'ignorance et le désespoir des communautés. Le gouvernement tanzanien, comme les nombreux autres régimes à courte vue qui échangent leurs ressources naturelles contre des investissements directs étrangers peu profitables, est un client et un facilitateur satisfait de projets de ce type. L'ironie sous-jacente au soutien des Norvégiens pour ce type d'investissement doit être soulignée. La Norvège a une position ambivalente. D'un côté, elle est un producteur et un exportateur de pétrole majeur, à travers sa compagnie nationale Statoil, et contribue substantiellement aux émissions de gaz à effet de serre. D'un autre côté, la Norvège aimerait être perçue comme une puissance morale, et cherche donc à s'aligner sur des politiques progressistes (sur les questions sociales, environnementales, de droits humains et de développement). Affichant sa prétention à occuper une position de leadership en matière climatique, la Norvège s'est alliée à la France à travers l'accord Oslo-Paris, qui apparaît rien moins que comme une plateforme visant à dominer et à faire progresser l'acquisition de terres ainsi qu'à s'assurer des positions privilégiées dans les marchés carbone. En d'autres termes, la Norvège est devenu un régime colonial moderne d'un nouveau type, dont les organes sont des entreprises comme Green Resources qui asservissent les communautés locales sur leurs propres terres. Tirant avantage des débats sur le changement climatique, le gouvernement norvégien s'est engagé dans des projets d'atténuation tout autour de la planète à travers l'achat de crédits de réductions d'émissions de carbone afin de compenser ses émissions domestiques. Les plantations comme celles de Green Resources en Tanzanie sont d'autant plus importantes dans cette perspective qu'elles pourraient permettre d'engranger jusqu'à 400 000 crédits carbone. Green resources : promesses, activités et investissement
Green Resources est propriétaire et gestionnaire de la scierie de Sao Hill (antérieurement propriété du gouvernement tanzanien), où elle produit des poteaux de transmission ainsi que des produits de charpenterie. Selon le rapport d'entreprise 2008/2009 de Green Resources, elle est « l'entreprise leader de forestation » en Afrique, « faisant pousser des arbres pour générer des crédits carbone et de la bio-énergie, ainsi que pour fabriquer des produits à base de bois », et se targuant d'avoir « probablement planté davantage d'arbres que toute autre compagnie privée en Afrique au cours des dix dernières années, avec un chiffre record de 4 200 hectares de forêts nouvelles plantées en 2008 ». Le même rapport indique également que l'entreprise « détient plus de 200 000 hectares de terres pour des plantations et conversions futures, et a procédé à la première récole d'arbres plantés par elle-même en 2008. La composante MDP des projets de Green Resources en Tanzanie n'est qu'un élément parmi une multitude d'autres activités liées au bois. À écouter les différents dirigeants de Green Resources, il n'y a pas consensus sur le caractère prioritaire ou primordial de cette composante dans les activités de l'entreprise en Tanzanie, ni sur le pourcentage des activités liées aux plantations arboricoles qu'elle représente. Selon le rapport d'entreprise, « tous les revenus verts liés aux compensations carbone seront réinvestis dans de nouvelles activités de compensation carbone ou utilisés pour le développement communautaire africain, ce qui fait de cet investissement l'un des plus attractifs au monde ». www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Impacts sociaux et économiques pour la communauté
Sur le papier, le système de propriété foncière tanzanien laisse aux communautés locales le pouvoir de décision quant à d'éventuelles transactions avec des entreprises dont leurs terres feraient l'objet. Cependant, les communautés locales comme celles d'Idete et de Makungu n'ont pas les connaissances nécessaires pour tenir tête à des spéculateurs fonciers internationaux se présentant sous le masque d'investisseurs et d'agents de développement. Pour cette raison, les investissements de ce type sont organisés par l'intermédiaire d'une agence gouvernementale nationale, la Tanzania Investment Corporation (TIC). L'opinion de l'auteur du présent article, corroborée par des expériences en Afrique australe, au Brésil et en Inde, est que la situation du foncier doit constituer la considération fondamentale sur la base de laquelle accepter ou refuser les propositions d'investissement. Le gouvernement tanzanien admet lui-même que « la terre est le moteur de la croissance économique et de la survie de la population. En Tanzanie, 80% du PIB provient de l'agriculture. » C'est pourquoi la mauvaise gestion ou le transfert inconsidéré de terres auraient des conséquences dramatiques pour la population. Comme personne ne possède la terre, mais la détient temporairement seulement pour le compte des générations futures, le fait que la génération présente puisse engager la terre dont elle a la responsabilité pour une durée plus longue que sa propre existence doit être considéré comme problématique du point de vue éthique. Dans cette perspective, les baux de 99 ans offerts aux compagnies d'investissement sont moralement et éthiquement indéfendables. D'autres organismes internationaux indépendants tels que la FAO, l'International Fund for Agricultural Development (IFAD) et l'International Institute for Environment and Development (IIED) ont eux aussi posé la question de savoir si ces investissements massifs dans l'agriculture (et les plantations) devaient être considérés comme des accaparements de terres ou des opportunités de développement, observant que la terre est « à juste titre un enjeu brûlant, car elle est un élément central de l'identité, des moyens de subsistance et de la sécurité alimentaire ». La terre comme ancrage des moyens de subsistance, et les impacts sur l'accès des
communautés locales à l'alimentation et à l'eau

La Tanzanie est une économie majoritairement rurale et la propriété, l'accès à et le contrôle de la terre sont cruciaux pour la sécurisation des moyens de subsistance. Les investissements qui requièrent de vastes surfaces foncières, comme les plantations arboricoles, génèrent des pressions sur les communautés pauvres. Green Resources fait feu de tout bois pour persuader les membres des communautés au niveau individuel de faire pousser des arbres sur des parcelles de terre communautaire, avec l'intention de les acheter à maturité, mais également de tirer une valeur immédiate de ces plantations sous la forme la plus à la mode et la plus aisément commercialisable : comme crédits carbone. L'impact cumulé des parcelles boisées individuelles (qui vont en moyenne de 0,5 à 6 hectares) est négatif en termes de disponibilité de la terre pour la production alimentaire et les autres stratégies de subsistance de ces communautés. Les sources de subsistance basées sur la savane, comme le bétail, sont menacées. (Wally Menne) Ainsi, même si la terre reste entre les mains de la communauté elle-même, dès lors que la principale activité économique menée sur cette terre est la production d'une marchandise www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
dont la communauté locale n'a pas immédiatement besoin ou usage, on est en face d'une forme de vol de terre – car cette terre devient en pratique indisponible pour ses possesseurs légitimes. Sans oublier qu'il faut aussi prendre en compte les coûts liés au nettoyage et à la restauration de la terre après que celle-ci ait servi de support à des plantations arboricoles, coûts qui sont financièrement hors de portée des communautés locales. L'accès à la nourriture et à l'eau a jusqu'à aujourd'hui été partiellement assuré par l'intermédiaire du marché, lequel n'est pas encore totalement développé dans la Tanzanie rurale. Les communautés rurales opèrent aux marges du marché des biens et des services, ce qui favorise une logique économique où les idiomes de l'accumulation sont constamment opposés aux populations rurales. Dans ce discours, les zones urbaines sont présentées comme complexes, mécanisées et modernes, tandis que les zones rurales largement traditionnelles sont reléguées au statut de main d'œuvre bon marché et de réservoirs de ressources naturelles. L'un des impacts les plus importants subis par les communautés rurales en termes de moyens de subsistance concerne leurs ressources en nourriture et en eau. Les arbres des plantations, notamment les eucalyptus, sont très gourmands en eau, et, dans les zones où sont établies des plantations, il n'est pas rare d'observer des réductions de débit en aval. Les savanes riches en biodiversité telles que celle-ci, proche d'Idete, sont utilisées par les communautés locales comme pâturage et pour l'agriculture itinérante, et servent de réservoir d'eau vital durant les périodes de sécheresse (Wally Menne) Comment la communauté sera-t-elle compensée pour ses pertes ?
Les principaux bénéfices attendus pour les communautés sont des opportunités d'emploi supplémentaires ainsi que le développement d'infrastructures dans la région. Dans la zone étudiée d'Idete, le très faible niveau des services sociaux tels que cliniques ou écoles restent à des années lumière de ce qui pourrait constituer une compensation juste pour la communauté. Il est également étrange que la proposition commerciale et l'étude de faisabilité de l'entreprise constituent la seule forme d'analyse coûts-bénéfices dont le projet ait fait l'objet. Le département gouvernemental qui contresigne ces accords n'a pas réalisé d'études propres afin d'évaluer dans quelle mesure un tel projet pourrait être mutuellement avantageux. Le manque de capacités au sein des institutions communautaires les empêche de comprendre les accords qu'ils signent, et encore moins de procéder à une analyse coûts-bénéfices des projets pour lesquels ils engagent leurs ressources. Même si des échanges ont eu lieu entre représentants de l'entreprise, fonctionnaires du district et leaders communautaires, la qualité de tels processus est douteuse. Les leaders villageois traditionnels ne représentent pas toujours toutes les voix de leurs communautés. Les zones rurales d'Idete et Makungu ne disposent pas d'institutions communautaires de propriété foncière, mais de systèmes d'autorité traditionnels liés aux institutions gouvernementales. Les rémunérations offertes aux autorités traditionnelles entraînent un changement d'objet de leur loyauté : non plus tant envers leurs communautés qu'envers ceux qui les paient. Conclusion
Les financements climatiques affectés à des projets de plantations faisant un usage intensif de terres ont un impact négatif sur les communautés dans la mesure où elles sapent les stratégies de subsistance basées sur la terre des populations rurales et les rend plus vulnérables à la pauvreté et à l'insécurité alimentaire. Avec ses efforts enthousiastes pour www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
faire passer pour durables et avantageux des projets de plantations arboricoles écologiquement et socialement nocifs, Green Resources illustre à quel point le MDP est vicié – et constitue donc à ce titre un avertissement salutaire pour tout participant potentiel à des projets de ce type. Les conclusions de notre recherche montrent qu'un modèle fonctionnel apte à tirer les vies rurales de leur pauvreté abjecte requiert un régime redistributif d'investissement public basé sur le renforcement des stratégies actuelles de subsistance de la population. Le développement de communautés dotées d'un accès à la terre devrait se concentrer sur l'accroissement de la productivité, la souveraineté alimentaire et la sécurité alimentaire au niveau des ménages. Au-delà de la sécurité alimentaire, l'étape suivante est de relier leur production au marché afin d'augmenter les revenus du foyer. L'augmentation de la sécurité alimentaire et des revenus amélioreraient l'état de santé et l'accès à l'éduction de ces ménages. Il en résulterait en retour un accroissement de la production, menant à une nouvelle amélioration du niveau de vie, à un revenu démultiplié et à une augmentation des actifs, tirant ces pauvres de la pauvreté pour les mener à la subsistance et sur la voie d'un niveau de vie en constante amélioration. Ce processus requiert toutefois une intervention plus active du gouvernement dans les secteurs pauvres de l'économie, ainsi qu'une meilleure planification et coordination. Cela signifie que le développement durable des communautés devrait se consacrer à renforcer et développer ce que ces communautés font déjà, en généralisant leurs activités. Cela implique également de généraliser les innovations technologiques qui améliorent la qualité des produits et raccourcissent leur temps de production. Malheureusement, très peu de nombreux gouvernements africains ont fait leurs preuves en termes de mise en œuvre de programmes de développement de ce type, qu'ils jugent trop lourds. C'est pourquoi ils préfèrent sous-traiter le développement à des investisseurs privés. Des versions antérieures de cet article ont été présentées au Centre for Civil Society de l'Université du KwaZulu-Natal à Durban ainsi que dans le cadre du projet sur la gouvernance et la corruption dans les financements liés au climat de l'Institute for Security Studies. Blessing Karumbidza est membre de la coalition non gouvernementale Timberwatch et chercheur au Social Economic Rights Institute (SERI [http://www.seri-sa.org/]) à Braamfontein, Johannesburg. Wally Menne est coordinateur des projets de Timberwatch, http://www.timberwatch.org. Traduction : Albert Caille. NOTES [1] Southall, R. and Melber, H. (eds.) (2009), A New Scramble for Africa? Imperialism, Investment and Development, Scottsville, University of KwaZulu-Natal Press [2] Eraker, Harald (2000), CO2lonialism: Norwegian Tree Plantations, Carbon Credits and Land Conflicts in Uganda, Oslo, NorWatch. [3] Communication personnelle, 2010. [4] German, Laura A.; Karsenty, Alain and Tiani, Anne-Marie (eds.) (2010), Governing Africa's Forests in a Globalised World, Londres, Earthscan, p. 117. [5] Ibid. [6] Ibid., p. 126-143 [7] Ibid., p. 354 [8] ‘Carbon Trading 101', Gloucestershire, UK, Sinks Watch (disponible à l'adresse : [9] Carbon Trade Watch, http://www.carbontradewatch.org [10] CDM Watch, http://www.cdm-watch.org [11] ‘Green Resources Ltd Reaction to Timberwatch Preliminary Report', 2010, Athens, Carbon Positive (disponible à l'adresse : http://www.carbonpositive.net/fetchfile.aspx?fileID=174) www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
InfraREDD et InfoREDD Quand la biodiversité est réduite à la biomasse, le climat est mûr pour la biopiraterie Pat Mooney http://pambazuka.org/en/category/features/67536 Les nouvelles technologies cartographiques facilitent la récolte de données sur la biodiversité, et par là facilitent en même temps la biopiraterie et les abus de propriété intellectuelle au détriment des communautés indigènes. « De nouvelles formes de biopiraterie et de nouvelles stratégies visant au contrôle de la biomasse pourraient signifier une régression de leurs droits, de leurs avantages et de la justice pour les peuples indigènes. », écrit Pat Mooney. Lors que la Convention de l'ONU sur la diversité biologique (CDB) fut adoptée lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992, nous avons créé le terme de « biopiraterie » pour souligner que ce traité représentait le plus important accaparement de savoirs et de ressources souveraines indigènes depuis 500 ans. Même s'il prétendait consacrer l'autorité des nations sur la biodiversité localisée au sein des frontières d'un pays et créer un espace modeste (quoique bienvenu) de participation pour les communautés indigènes et locales, l'impact de fait de la CDB était aussi de sanctionner le fait que toute la biodiversité (gènes et espèces) piratée par les puissances coloniales avant 1992 et conservée dans les zoos, herbiers, jardins botaniques et banques de gènes devenait ipso facto propriété légale des colonisateurs. En un instant d'aveuglement, toute la biodiversité qui avait été collectée (et étudiée, et considérée comme ayant une valeur) devint l'héritage des voleurs, laissant aux peuples indigènes et aux gouvernements postcoloniaux toute la biodiversité restante non collectée et de valeur inconnue. Ce fut présenté comme une grande victoire pour le peuple. Au cours des 18 années qui se sont écoulées depuis, les peuples indigènes et les gouvernements du Sud ont mené un combat difficile pour faire accepter une forme ou un autre d'accord « d'accès et de partage des bénéfices » qui soit à la fois équitable et financièrement avantageux. Certains pensent sur l'objectif est à portée de main, tandis que d'autres craignent qu'il ne soit en train de nous échapper – dépassé par de nouvelles tactiques et de nouvelles technologies. De même que la Convention de 1992 imposait une amnésie gouvernementale de masse revenant à effacer l'histoire, les développements récents dans le cadre de la CDB et du programme dit de « Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts » (REDD+) de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUC) pourraient permettre à de nouvelles technologies de commercialiser la biodiversité n'ayant pas encore été marchandisée, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle vague de pillage des territoires des paysans et des peuples indigènes. Par exemple, jusqu'à aujourd'hui, les forêts n'ont pas été considérées comme des « puits de carbone » dans le cadre du Mécanisme de développement propre de la CCNUCC, en raison, entre autres, de la difficulté à quantifier le dioxyde de carbone qu'elles absorbent. De nouvelles technologies, parmi lesquelles la surveillance par satellite, sont capables de détecter les changements dans la biomasse des forêts. La mise en œuvre de ces technologies mènera immanquablement à une surveillance accrue non seulement des « arbres », mais aussi de forêts entières et des peuples indigènes qui y vivent. En outre, les technologies digitales et génomiques www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
permettront de mettre en ligne la biodiversité restante sur Internet, où elle pourra être modifiée et monopolisée par quiconque sera doté de la prouesse technologique suffisante. Une fois cette digitalisation menée à bien, la biodiversité vivante pourrait perdre toute valeur commerciale, et les terres affectées à des activités plus profitables, au service de la nouvelle économie des glucides. Biocartographies infra-REDD
Les satellites et les avions peuvent aujourd'hui être combinés pour cartographier et sonder (en trois dimensions) la biomasse tropicale, d'une manière qui n'aurait pas pu être imaginée au moment de l'adoption de la Convention sur la diversité biologique. Des caméras montées sur des avions légers ou des hélicoptères peuvent utiliser l'imagerie hyperspectrale pour analyser les longueurs d'ondes visibles ou infra-rouges qui révèlent des variations dans la végétation. Des mesures précises de lumière mettent au jour les nutriments du sol, permettant d'identifier non seulement le type de végétation de surface, mais également ce qui se cache en dessous. Cette technologie a été initialement développée pour repérer des sites de sépultures, mais a été réadaptée pour servir une multitude de besoins, depuis ceux des archéologues jusqu'à ceux de la CIA, et facilite aujourd'hui la privatisation et la commercialisation de l'« air » des forêts. La biocartographie (et la biopiraterie) présentent un potentiel considérable. Les plantes sont affectées par la composition du sol sur lequel elles poussent. Des longueurs d'onde de l'ordre de 400 à 2350 nanomètres peuvent être sondées depuis le ciel pour détecter tout changement dans la composition chimique du sol ou de l'eau. Il est déjà possible pour une police aéroportée de localiser la peau humaine et de déterminer si un corps est vivant ou mort[1]. Parmi les possibilités à court terme, l'identification aérienne des cultures ou des races d'élevage propriétaires présentant des traits génétiques uniques ou des marqueurs ADN, et aussi (ce qui constitue un point important pour les communautés indigènes et locales) l'opportunité d'identifier par triangulation les sols, insectes ou plantes qui pourraient présenter un intérêt industriel. Après avoir été ainsi repérées et subtilisées, la biodiversité et la terre pourront être utilisés à d'autres fins. En septembre, le Carnegie Institute de l'Université de Stanford annonçait avoir cartographié, avec le World Wildlife Fund et le gouvernement péruvien, plus de 43 000 kilomètres carrés de forêt amazonienne (une surface équivalente au territoire de la Suisse). Tandis que des satellites cartographiaient la végétations et enregistraient les variations, ces images satellitaires étaient complétées par un avion équipé de la technologie propriétaitre LiDAR (light detection and ranging) du Carnegie Institute pour produire des représentations tridimensionnelles de la structure végétale de la zone couverte. À terre, des scientifiques convertissaient les données structurelles en densité carbonique, grâce à un modeste réseau de parcelles. Le système novateur du Carnegie fait converger les données géologiques, d'utilisation des sols et d'émissions, afin d'informer le Pérou – et quiconque aurait accès à ces données – que le stockage total de carbone de la forêt de cette zone s'élève à environ 395 millions de tonnes, avec des émissions d'environ 630 000 tonnes par an. L'estimation par le GIEC de la quantité de carbone stockée dans la même région était de 587 millions de tonnes. Cependant, dans le cadre des programmes de type REDD, l'approche à haute résolution du Carnegie pourrait permettre de générer davantage de crédits par tonne de carbone[2]. Le système est également peu coûteux. Les coûts de cartographie au Pérou sont de 0,08 dollar US l'hectare, et une cartographie similaire a été produite à Madagascar pour 0,06 dollar l'hectare[3]. Eh bien alors, dans le monde des marchés du carbone, combien de biomasse ces terres peuvent-elles produire ? Les implications de ces technologies infra-REDD sont substantielles. Il devient envisageable pour l'industrie et les gouvernements de sélectionner la biodiversité qu'ils considèrent comme importante à l'heure actuelle et de se débarrasser du reste. En outre, la technologie pourrait permettre de suivre à la trace les habitants des forêts, ce qui pourrait jouer un rôle dans les négociations sur les droits fonciers. Enfin, la capacité d'évaluer la biomasse totale et sa valeur en termes de carbone rend la biodiversité sans intérêt, la biomasse elle-même devenant seule importante. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Info-REDD – iBio et la diversité digitale
La complaisance de l'industrie, qui pense pouvoir se passer de la plupart de la diversité biologique de la planète, est une terrible erreur – ce qui n'atténue en rien la menace qui pèse sur la biodiversité. Les praticiens de la biologie synthétique – qui assurent qu'ils seront capable de reconstruire des espèces éteintes à partir de rien dans leurs laboratoires et de construire toutes les nouvelles espèces dont le commerce peut rêver – ne voient parfois pas l'utilité de conserver les « vieilleries », au cas où. Au début de cette année, des scientifiques de l'Université de Cambridge ont découvert le moyen de pousser les cellules à lire l'ADN d'une manière différente. De sorte qu'au lieu de ne disposer que de 20 acides aminés pour construire la totalité des êtres vivants, ces scientifiques disposent désormais de 276 acides aminés, à partir desquels ils se prétendent en mesure de construire presque n'importe quel type d'organisme vivant imaginable. En mai de cette année, une entreprise appelée Synthetic Genomics a réussi à construire le premier microbe artificiel auto-reproducteur – une espèce qui n'avait jusqu'alors jamais vécu sur terre. Maintenant qu'ils en ont établi la « preuve de principe », les praticiens de la biologie synthétique pensent être en mesure de construire des micro-organismes capables de transformer la biomasse en aliments, en carburant, en médicament ou en plastique. Les nouvelles technologies de l'information encouragent leur hubris. Le projet International Barcode of Life (IboL) et le Consortium for the Barcode of Life qui lui est associé, hébergé par la Smithsonian Institution aux États-Unis (qui n'est pas signataire de la Convention sur la diversité biologique), cartographient le génome de toutes les espèces connues, mettant les cartographies électroniques en ligne sur Internet. En outre, des milliers d'échantillons sont envoyés bénévolement à la Smithsonian et à d'autres institutions du Nord, comme le Biodiversity Institute of Ontario à Guelph au Canada. Une fois cette cartographie menée à bien, il deviendra en théorie possible pour des entreprises – armées, peut-être de la technologie d'autoréplication brevetée par Synthetic Genomics Inc – de télécharger des modèles génétiques, des les modifier à volonté et de construire de nouvelles formes de vie. Les entreprises des sciences de la vie, des médicaments aux semences, pourraient en tirer la conclusion que les banques de gènes, les zoos et les jardins botaniques – et les programmes de conservation en général – sont définitivement dépassés. IboL n'est pas un cas unique. On estime que l'une des initiatives « concurrentes », appelée le projet Genome 10K (consacrée à la cartographie du génome de 10 000 espèces), pourrait ne pas coûter plus de 50 millions de dollars US (5 000 dollars par espèce). Là encore, il est prévu que les cartographies des espèces soient accessibles à quiconque sera doté d'un accès à l'Internet. Comme pour la technologie LiDAR du Carnegie, le coût du séquençage ADN devient négligeable – un 100 000e de ce qu'il était il y a une décennie. Par exemple, le premier séquençage du génome humain (avec 3 milliards de paires de base à analyser) a nécessité 13 ans et 3 milliards de dollars US. Aujourd'hui, il peut être réalisé en 8 jours pour 10 000 dollars US. Oxford Nanopore Technologies et sa rivale Pacific Biosciences assurent tous les deux qu'il seront capables d'ici 3 ans de cartographier le génome humain en 15 minutes pour 1000 dollars US. De manière frappante, Pacific Biosciences déclare qu'elle sera en mesure d'analyser un génome à partir d'une seule molécule ADN[5]. Si (ou devrait-on dire quand ?) cela advient, il deviendra possible de stocker une molécule de toutes les espèces vivantes du monde (estimées à 10 millions) sur une seule face d'un disque de la taille d'une carte de crédit – avec la carte digitale de chaque espèce gravée sur l'autre face. Un jardin d'Eden éjectable… Encore une fois, une fois cette digitalisation accomplie, le monde industriel ne verra plus aucun intérêt dans la diversité biologique. Les forêts vierges – ou, plus exactement, les terres actuellement occupées par des arbres – pourront être affectées à des usages « plus productifs », maximisant la production de biomasse. Selon certains aventuriers capitalistes, la donnée économique la plus déterminante dans le monde aujourd'hui est que seuls 23,8% de la biomasse terrestre annuelle mondiale trouve le chemin du marché – ce qui signifie que 76,2% de la biomasse terrestre annuelle mondiale n'attend encore que d'être monopolisée. Ce qui est en jeu, c'est le contrôle non pas d'une seule, mais de plusieurs industries représentant des billions de dollars. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
En 2010, année de la diversité biologique des Nations unies, alors que les communautés indigènes et locales débattent du caractère équitable ou non des accords d'accès et de partage des bénéfices et des droits des peuples indigènes, ainsi que de leur précieuse contribution à la conservation de la biodiversité, de nouvelles formes de biopiraterie et de nouvelles stratégies de contrôle de la biomasse pourraient signifier une régression de leurs droits, de leurs avantages et de la justice à un niveau inférieur à ce qu'ils étaient en 1992. Pour les entreprises, la question n'est plus celle de la propriété des écosystèmes et de la biodiversité, mais celle de savoir qui seront les nouveaux maîtres de la biomasse. • Pat Mooney est directeur exécutif de l'ETC Group, Traduction : Albert Caille. Cet article a été écrit initialement pour l'anthologie à paraître ‘No REDD !' compilée par Carbon Trade Watch http://www.carbontradewatch.org et l'Indigenous Environmental Network. Ce volume souligne les dangers de REDD et REDD+ et inclut des contributions de mouvements sociaux et d'organisations de peuples indigènes du monde entier. NOTES [1] New Scientist (2010) ‘Air detectives know where the bodies are buried', 10 avril. [2] Carnegie Institute, Stanford University (2010) ‘Carbon mapping breakthrough', 6 septembre. [3] Butler, Rhett A. (2010) ‘Peru's rainforest highway triggers surge in deforestation, according to new 3D forest mapping', mongabay.com, 6 septembre. [4] The Economist (2010) ‘A special report on the human genome: Inhuman genomes - Every genome on the planet is now up for grabs, including those that do not yet exist', 17 juin. [5] The Economist (2010) ‘A special report on the human genome: Biology 2.0 - A decade after the human- genome project', 17 juin. Écocertification Qui audite les auditeurs ? Khadija Sharife Face à des consommateurs de plus en plus conscients des enjeux écologiques, les compagnies forestières se sont hâtées d'obtenir des certifications environnementales. Toutefois, selon l'enquête menée par Khadija Sharife, les qualifications de ceux qui président au processus de certification sont souvent douteuses. Plus de la moitié des forêts tropicales du monde ont été dévorées par la consommation impulsée par le marché. Empêcher la déforestation mondiale n'est pas aussi aisé qu'il n'y paraît. En effet, les multinationales largement autorégulées qui contrôlent ce marché (depuis les entreprises forestières jusqu'aux revendeurs) maintiennent l'opacité sur la chaîne d'approvisionnement mondiale, de la source à la vente et à l'élimination. Pourtant, il semble que le vent tourne. Sous la pression des exigences des consommateurs, des entreprises comme Lidl, enseigne allemande leader dans le secteur de l'alimentation, ont commencé à utiliser de la fibre de bois écocertifiée pour fabriquer leurs produits. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
C'est le Forest Stewardship Council (FSC), organisation internationale sans but lucratif créée en 1993, qui semble avoir catalysé ce changement de cap, en ciblant avant tout la forte empreinte écologique des consommateurs du « premier monde ». Habituées à appréhender la réalité non comme des êtres humains ou même des citoyens, mais comme des consommateurs, les populations mondiales ont répondu à l'appel en utilisant le seul instrument politique qui leur soit accessible : leur porte-monnaie. La marque, apposée sur une myriade de produits, depuis le papier toilette jusqu'aux livres, vaut maintenant 20 milliards de dollars US : une augmentation fulgurante par rapport aux 5 milliards estimés il y a à peine trois ans (http://bit.ly/9Qo0kp). Le FSC constitue un outil volontaire basé sur le marché, destiné à introduire et à mettre en œuvre un nouveau système de valeurs reposant sur le principe du développement durable. Il existe même une journée de commémoration, le « FSC Friday » qui a lieu le 24 septembre. Ce système, présent dans plus de cinquante pays, propose des services en termes de standards, de marques commerciales et d'accréditation (http://bit.ly/bESZRZ). En achetant des produits labellisés « verts » par cette initiative, nous promet-on, nous faisons en conscience le choix d'être « partie de la solution ». En effet, selon le FSC, ce label est le seul système qui permette aux consommateurs d'investir dans des produits qui protègent les droits des peuples indigènes, qui interdise la « conversion des forêts naturelles ou autres habitats » dans le monde, l'utilisation de « pesticides hautement dangereux » et la « culture d'arbres génétiquement modifiés ». Sachant que pas moins de 80 % des arbres abattus le sont illégalement dans les pays en développement, la norme de certification forestière unique en son genre proposée par le FSC reçoit non seulement le soutien des grandes organisations écologiques telles que Greenpeace International et le World Wildlife Fund (WWF), mais elle est aussi souvent perçue comme le seul système acceptable par des organisations comme l'American Green Building Council [Conseil américain de la construction immobilière verte]. Le FSC se décrit comme une organisation de type associatif, dont les membres peuvent aussi bien être des individus que des organisations. Ces membres constituent l'Assemblée générale (AG), censée être l'organe décisionnaire, dont la politique et les normes sont adoptées à l'unanimité par le comité de direction du FSC. L'AG est divisée en trois collèges : environnemental, social et économique, chacun ayant un directeur délégué et donc un statut égal (http://bit.ly/aRZBoj). Selon le FSC, « toutes les politiques et toutes les normes sont soumises à au moins deux tours de consultation publique ». Toute personne intéressée par l'avenir des forêts du monde peut s'exprimer lors de ces consultations. « Acheter des produits certifiés FSC est la seule façon d'être certain que l'intérêt des forêts, des espèces endémiques et des peuples qui en vivent est pris en compte. », déclare Colin Butfield, directeur de campagne WWF au Royaume-Uni (http://bit.ly/9ihUx4). Jusqu'en Roumanie et en Bulgarie, les pays producteurs de bois sont parfaitement conscients que les « consommateurs du premier monde » sont de plus en plus actifs. À ce jour, 120 052 350 ha ont été certifiés (4,3% des terres boisées dans le monde), soit une augmentation de 11 % depuis octobre 2009 (http://bit.ly/ad5K2e). La Roumanie, par exemple, cherche à faire certifier 40% de ses forêts d'ici 2011, tandis que la Bulgarie vise un taux légèrement inférieur de 30% (http://bit.ly/dunADd). « Si un client européen exige une certification FSC, les sociétés forestières sont d'autant plus motivées pour l'obtenir. », déclare Neli Dontcheva, directrice du Centre d'information sur la certification des forêts bulgares (http://bit.ly/dunADd). « Au Centre d'information, nous recevons souvent des demandes de gens qui n'ont aucune idée de ce qu'est le FSC, mais qui savent pertinemment qu'ils doivent obtenir cette certification ou courir le risque de perdre leurs clients. » Étrangement, jusqu'en 1997, année où le FSC a assoupli ses critères, les multinationales ne se bousculaient pas. En 1993, seulement trois accréditations avaient été accordées. L'assouplissement des règles a permis à des multinationales d'utiliser le logo de la « meilleure norme » à condition que 50% du bois utilisé provienne de sources acceptables. Les 50% restants passaient la barre pourvu qu'ils soient issus de concessions légales. Dans l'ancienne Afrique française, les entreprises hexagonales exploitaient plus de cinq fois les concessions légales. Selon un responsable du Centre camerounais pour l'environnement www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
et le développement, installé à Yaoundé, « la police ne cherche pas à enquêter … tout simplement parce que de hauts représentants de la police figurent parmi ceux qui profitent illégalement de l'abattage du bois. » Ainsi qu'un Français travaillant dans l'industrie du bois l'a révélé à IPS : « On nous demande des pots-de-vin de plusieurs millions de francs CFA, et la plupart du temps nous les versons. » Sous le règne de l'ancien président et chef militaire, Charles Taylor, la France est restée un importateur majeur de bois coupé illégalement au Libéria. Charles Taylor lui-même a admis que le bois, abattu par le marchand d'armes hollandais Guys Kouvenhoven, via sa société, l'Oriental Timber Company (OTC), générait plus de la moitié du produit national brut. Ainsi, en 2001, l'OTC (commanditaire de 41 des 60 navires transportant du bois au départ du Libéria) a exporté du bois pour des acheteurs étrangers comme la France et la Chine, deux des principaux opposants à la mise en place de sanctions dans le domaine forestier. De fait, depuis 1996, la moitié du bois coupé en Afrique centrale a été exportée en Asie, et plus précisément en Chine et à Taiwan, deux pays qui font une percée notable dans des bastions européens traditionnels en appliquant un principe de « non-ingérence politique » (http://bit.ly/9phlUX). Lors de son procès, Charles Taylor a admis que des millions de dollars d'argent sale avaient été déposés sur ses comptes en banque depuis Taiwan. Mais même s'il semble que la demande provienne des industries situées en aval de la chaîne de production dans des pays importateurs du « Sud » comme la Malaisie et la Chine, les produits forestiers sont souvent exploités pour les marchés occidentaux, en Europe et aux États-Unis. Derrière l'émergence d'investisseurs asiatiques avides de ressources naturelles, on retrouve la même vieille logique de marché, reposant sur l'avantage comparatif, la « légalité » des droits de propriété et l'idée que le marché permet « l'allocation de ressources la plus efficiente ». Cette légalité est d'autant plus discutable que la certification des entreprises s'effectue de manière relativement opaque, principalement à travers des institutions d'audit comme SGS S.A., accréditées et commissionnées par le FSC comme organisme de contrôle partout dans le monde. Cette société déclare : « La certification Qualifor SGS est le programme de certification forestière le plus reconnu dans le monde. Depuis 1994, des entreprises forestières et des fabricants de produits à base de bois dans soixante pays à travers le monde ont obtenu la certification SGS Qualifor. » (http://bit.ly/9Q2OeI) SGS, entreprise basée à Genève, spécialisée dans l'audit et la certification, propose à l'industrie forestière non seulement des formations, mais aussi un système de certification de leur chaîne de contrôle qui inclut « l'audit du transport et de la transformation des produits à base de bois, tout au long de la chaîne, jusqu'à la distribution du produit final au consommateur » (http://bit.ly/9Q2OeI). Mais qui audite les auditeurs ?
Le choix de Genève, en Suisse, comme siège de la société, est loin d'être anodin. Tout comme les multinationales qui ont besoin d'audits externes pour des raisons comptables, SGS a fait exprès de choisir la seule juridiction au monde qui soit caractérisée par une opacité totale. Ce système légal sanctionne le secret bancaire, la protection des sociétés à compartiments multiples et des actifs sanctuarisés, et repose sur des environnements juridiques et financiers opaques et protégés des regards extérieurs, n'imposant aucune obligation de transparence d'aucune sorte quant aux bénéficiaires, aux propriétaires ou aux structures de financement internes. SGS était déjà une entreprise vieille de 90 ans lorsque le Fonds monétaire international et la Banque mondiale sont venus frapper à sa porte au début des années 1980, pour des missions d'Inspection avant expédition (IAE). Au début des années 1990, un quart des revenus de la SGS, soit 1,2 milliard de dollars US déclaré, provenait de l'IAE ; la société était présente dans 140 pays, avec seulement 40 000 employés. SGS sera ensuite choisie par la Banque mondiale, cette fois officiellement, pour être son auditeur au niveau mondial et mener des « contrôles de terrain » au Kenya et dans d'autres pays afin de traquer la corruption (http://bit.ly/aywlnC). www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
En 1997, SGS a admis avoir versé une « commission substantielle » – modestement estimée à 15 millions de dollars US - à la présidente pakistanaise Benazir Bhutto et à son mari. Selon des représentants pakistanais, à eux deux les Bhutto se sont réservés au total plus de 1,5 milliard de dollars US provenant de sources variées. Les paiements de SGS étaient effectués dans le style SGS, par des micro-entités inscrites dans des paradis fiscaux comme les îles Vierges britanniques. Deux ans plus tard, la SGS fut interdite d'opération en Éthiopie pour des raisons similaires. Bien sûr, la SGS était intimement liée à des intérêts et à des gens toujours puissants (quand ils ne la représentaient pas…), comme James Woolsey, ancien directeur de la CIA qui avait fait de la SGS un client (http://bit.ly/ao5eO4). Après le boom puis l'effondrement de ses activités d'IAE, et bien qu'en moyenne elle ait tiré 12% de ses revenus de pays comme le Zimbabwe, Madagascar et l'Indonésie, la SGS a orienté ses services de certification vers les entreprises privées et non plus vers les gouvernements. Plus important encore, elle a aussi commencé à s'intéresser à l'écocertification. Malgré une déforestation massive due à l'abattage de bois illégal et au développement de l'agriculture commerciale et de la monoculture sur tout le continent, l'Afrique ne compte que 2,9% de forêts certifiées par le FSC. Des pays où la déforestation est massive, comme le Cameroun et la République du Congo, principalement pour satisfaire la demande de la France et de la Chine, n'ont respectivement certifié que 2,7% et 3,3% de leurs forêts. Bien entendu, une telle situation laisse à l'Afrique du Sud 17,8% de forêts certifiées, soit environ un cinquième des terres certifiées FSC sur le continent. En Afrique du Sud, 80% (2005) des forêts certifiées FSC sont des plantations forestières industrielles, soit 1,34 million d'hectares sur les 1,8 million d'hectares de monocultures créés sous le régime de l'apartheid avec l'objectif d'assurer un approvisionnement indépendant en produits forestiers (http://bit.ly/cmjULF). Cela a débuté, entre 1920 et 1960, avec des plantations d'État. Puis, dans les années 1960, des sociétés privées ont lancé des opérations commerciales, avant que ne se développent des plantations forestières industrielles sous l'égide de Mondi et SAPPI dans les années 1980. Le gouvernement avait mis en place un système d'incitations fiscales, dont un exemple est le programme général d'incitations fiscales à l'export, lequel a été aboli par le gouvernement de libération de l'ANC en 1994 (http://bit.ly/afOZzn). Durant cette période, les exploitations arboricoles industrielles ont connu une expansion de 45 000 ha par an (années 1990), soit cinq fois la superficie des forêts indigènes. En 1996, la Natal Agricultural Union a enregistré une baisse de 82% des débits hydrographiques sur vingt ans dans des régions où les prairies ont été « développées » en plantations commerciales. Le gouvernement de l'ANC a à son tour mis en avant l'importance de ces plantations pour la croissance du pays, ainsi que pour le revenu et l'emploi des femmes. « L'industrie forestière contribue de manière significative à notre économie. », soulignait Lindiwe Hendricks, alors Ministre de l'eau et des forêts. « En 2006, cette contribution s'élevait à environ 14 milliards de rands et à l'emploi de 170 000 personnes dans ce secteur, dont près de 30 000 petits cultivateurs, en majorité des femmes. La forêt étant une activité rurale, ce secteur peut considérablement contribuer à l'économie et la création d'emplois. » Les deux géants de cette industrie sont Mondi et SAPPI. Mondi, créé par la société Anglo-American en 1967, gère plus de 450 000 ha et emploie 35 000 personnes dans plus de trente pays. SAPPI, entreprise mondiale de papier et de cellulose (pâte à papier) fondée en 1936, détient 465 000 ha en Afrique du Sud et 75 000 ha au Swaziland (2007). En 2007, la société a fabriqué 5 millions de tonnes de papier et 3 millions de tonnes de cellulose. Alors que la part des produits forestiers dans les exportations totales est passée de 3,4% en 1992 à 3,8% en 2002, la contribution du bois au produit intérieur brut a baissé de 2,2% en 1992 à 1,6% en 2002. Les plantations intensivement irriguées, qui couvrent 1,2% du territoire, dépassent de loin la couverture forestière naturelle (0,3%). La province de Mpumulanga compte 42% des plantations, suivie du Kwa-Zulu Natal (38%) et du Cap Oriental (11%). Ces aires de plantations correspondent aux communautés rurales les plus pauvres, qui sont confrontées à www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
une diminution incontrôlée des ressources en eau, à des déplacements de population et à la « capture » de terres fertiles pour la monoculture. Mais les communautés vivant à proximité des plantations industrielles ne sont pas les seules à pâtir du système opaque d'autorégulation qui caractérise ces entreprises et des coûts écologiques et sociaux externalisés masqués sous leurs habits socialement responsables. En 2010, Mondi a été nommé parmi les trois plus grands pollueurs du Sud Durban, en raison de son usine de papier (http://bit.ly/9atagv). « J'ai mal au nez à force de respirer l'air d'ici. Je ne sais pas comment font les gens pour vivre ici. C'est irrespirable. », déclarait Zodumo Mbuli, porte-parole du Ministère de l'environnement en 2003 (http://bit.ly/bulyuv). Parallèlement, en 2010, SAPPI s'est trouvée sous le feu des critiques à Durban pour avoir pollué la Thukela, réseau fluvial très important, avec des produits chimiques hautement toxiques. Malgré de lourdes accusations, peu a été fait. « J'attends encore les éclaircissements du Département de l'eau sur les mesures qui ont été prises et les recours possibles. », dit Rudy van der Elst de l'Institut de recherche océanographique de Durban. « Il est de la responsabilité du département de clarifier la situation auprès du grand public ; les informations sur les poissons morts, la forte odeur de l'eau et un traitement au péroxyde d'hydrogène indiquent bien que le problème est grave. », a-t-il déclaré au le journal The Mercury. (http://bit.ly/aLrIQ0) Ces réalités ne sont pas prises en compte par la marque « verte » du FSC. D'après TimberWatch, une organisation de la société civile sud-africaine, « c'est en 1997 que la première certification "forestière" FSC a été attribuée en Afrique du Sud. Selon l'industrie forestière, l'Afrique du Sud compte maintenant un pourcentage bien plus élevé (80%) de plantations certifiées que la plupart des autres pays. Mais tout cela est fallacieux. Si on tenait compte des zones plantées illégalement et des bois sauvages non gérés, le pourcentage serait inférieur à 40 %. » (http://bit.ly/cmjULF) Selon le rapport « Life As Commerce » de cette organisation, le FSC a donné un air de respectabilité aux agissements destructeurs de l'industrie forestière, parmi lesquels : • le déplacement de communautés, la dépossession de terres et les bouleversements • la destruction de la biodiversité et du paysage naturel, • les conséquences graves sur les ressources en eau, l'assèchement des marais et des • la pollution des rivières, des ruisseaux et des marais avec des pesticides, des produits pétroliers et des engrais ; • la pollution et le tassement du sol dans les zones de plantations ; • l'accélération de l'érosion du sol sur les sites et l'augmentation de l'érosion en aval (http://bit.ly/cmjULF). Le rapport cite l'exemple de la Hans Merensky Holdings (HMH) dans deux provinces, Kwa-Zulu Natal (Singisi Forest Products) et Limpopo (Northern Timbers), qui sont certifiées SGS Qualifor (2003 et 2000). De manière significative, alors que la HMH était présentée comme un véhicule pour transférer des activités forestières vers le secteur privé, 42,6% de ses actions (selon le même rapport) étaient détenus à l'époque par l'Industrial Development Corporation (IDC), une entité « entièrement gouvernementale » contrôlée par Département national du commerce et de l'industrie (Department of Trade and Industry). La décision de vendre les plantations gouvernementales au moment de la restructuration des actifs de l'État aurait été accélérée parce que le gouvernement avait besoin de mettre fin à un conflit d'intérêts entre son rôle de régulateur impartial et celui d'acteur industriel. En réalité, ces actifs sont simplement passés des mains d'une entreprise d'État, la Forestry Company Ltd, à une autre, l'IDC. L'Afrique du Sud possède l'un des domaines forestiers les plus vastes du monde. En tant que tel, il lui faut absolument un régulateur libre de tout conflits d'intérêts pour faire respecter les droits environnementaux et les droits humains. La pauvreté qui sévit dans les zones transformées en plantations se caractérise, entre autres, par un recours massif aux www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
délocalisations et à la sous-traitance, qui font de la SAPPI une société de gestion similaire à une coquille vide, ayant réduit substantiellement toute forme d'emploi direct. Or, la certification FSC et les sociétés d'audit comme SGS font fi de ces délocalisations. L'écocertification comme outil de marché, selon Cori Ham, a souvent l'effet contraire : « En tant qu'exportateur net de produits forestiers, l'Afrique du Sud avait besoin de trouver de nouveaux marchés et de sécuriser ceux qu'elle détient. L'industrie forestière a vu dans la certification un argument de vente et l'a acceptée assez facilement. Cet effort de certification est d'autant plus remarquable qu'il s'est produit sans qu'il y ait de norme FSC nationale et avec très peu d'intervention gouvernementale. » La certification FSC apparaît comme un mécanisme puissant de mobilisation et d'incitation à la justice environnementale. La vraie question est de savoir si la marque offre une solution pour l'environnement, les communautés et les consommateurs, ou si elle n'est qu'un vernis « écologisant » permettant à des entreprises criminelles et à des gouvernement complices de poursuivre leurs activités comme avant. • Khadija Sharife est journaliste et chercheuse au Centre for Civil Society (CCS) en Afrique du Sud. Traduction : Anne Le Meur La récupération des semences traditionnelles est-elle L'histoire du village de Kathulumbi au Kenya Anne Maina Les habitants du village de Kathulumbi au Kenya sont en train de construire une banque de semences pour sauvegarder la biodiversité et l'accès à des variétés non contaminées. Les cultures traditionnelles comme le manioc et le mil ont été largement remplacées par des cultures de maïs génétiquement modifié accessible à bas prix. En préservant les semences traditionnelles, les villageois de Kathulumbi veulent sauvegarder ces cultures abordables, durables et plus nutritives que leurs homologues génétiquement modifiées. À l'heure où le soleil se lève en cette matinée de début février, Mumo saute de son lit pour préparer le petit déjeuner familial, une bouillie de mil. Elle et sa famille apprécient le porridge au petit déjeuner, car il remplit l'estomac et leur permet ainsi de tenir toute la journée sans déjeuner. De temps en temps, ils agrémentent leur bouillie avec des patates douces ou du manioc, mais ceux-ci sont difficiles à trouver ces jours-ci. Le pain est devenu très cher, et Mumo dit qu'elle ne peut pas se le permettre pour le petit déjeuner. Même le mil, qui vient de loin, là où certains agriculteurs continuent à le cultiver, est parfois trop coûteux. Mumo et ses cinq enfants vivent dans le village de Kathulumbi, à environ 100 kilomètres de la ville de Machakos, dans la partie orientale du Kenya. Elle est veuve depuis peu et a été forcée de revenir vivre sur le lopin de terre familial car elle ne pouvait plus payer son loyer dans la ville de Machakos, où elle enseignait dans une école primaire. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Cultures traditionnelles en déclin
Mumo fait principalement pousser du maïs sur sa parcelle d'un quart d'acre, parce que c'est la céréale de base pour préparer l'ugali, ou sima comme certains l'appellent au Kenya. Elle se souvient que lorsqu'elle était jeune, les gens cultivaient davantage les tubercules et cultures traditionnelles comme l'igname, le manioc, le millet et les patates douces. Mais les choses semblent avoir changé avec la modernisation. Est-ce la raison pour laquelle les gens ne sont plus en bonne santé et souffrent de nombreuses maladies ? Même les jeunes enfants sont atteints de diabète. Lorsque « Madame Mumo », comme l'appelait ses élèves, est revenue à Kathulumbi, elle a découvert l'existence d'un groupe au sein de sa communauté appelé Comité de Développement Communautaire de la Banque de Semences de Kathulumbi (Kathulumbi Seed Bank Community Development Committee). Le chef local, Maleve, l'a alors pressée de se joindre au groupe et de soutenir son développement. Partenaires dans la biodiversité
Le Comité de Développement Communautaire de la Banque de Semences de Kathulumbi travaille en étroite collaboration avec l'INADES au Kenya. L'INADES est un membre actif du Réseau africain pour la biodiversité (Africa Biodiversity Network, ABN). L'ABN est quant à lui un réseau d'organisations africaines qui travaillent dans 12 pays, et qui cherche à relancer la biodiversité et les savoirs qui lui sont liés depuis la base, main dans la main avec les communautés locales. Selon l'ABN les connaissances écologiques traditionnelles détenues par les communautés africaines sont cruciales pour assurer la résilience à long terme des forêts et des écosystèmes du continent, mais aussi la sécurité alimentaire et la dignité de ces communautés. L'ABN soutient la Coalition Kenyane pour la biodiversité (KBioC), un consortium regroupant plus de 65 organisations paysannes, réseaux travaillant sur le bien-être animal, associations de consommateurs, organisations confessionnelles et groupes communautaires. Ses membres sont des acteurs de l'environnement, de l'agriculture et de la biodiversité. Les semences magiques de maïs sèment le trouble
Pourquoi une banque de semences ? La communauté de Kathulumbi s'est rendue compte que depuis l'introduction de semences de variétés modernes par des entreprises de Nairobi, la production alimentaire a diminué. Les membres plus âgés du groupe se souviennent des représentants bien habillés des entreprises multinationales venus au village, qui leurs avaient présenté les « semences magiques de maïs » qui devaient produire davantage que les variétés locales traditionnelles. Ces « semences magiques de maïs » leur avaient été fournies avec des engrais et des pesticides. Les premières saisons, les rendements avaient effectivement augmenté, incitant plus de gens à consacrer davantage de leurs terres à la production de maïs. Cependant, avec le temps, les sols ont eu besoin de plus d'engrais et de plus de pesticides pour lutter contre les ravageurs comme la pyrale du maïs. Lors de pluies tardives ou insuffisantes, la situation est pire encore, car la récolte de maïs est alors perdue avant maturité. Auparavant, les agriculteurs conservaient une partie de leurs semences pour les semer la saison d'après, mais avec ces semences modernes, ils doivent en racheter à chaque semis dans les magasins agrovétérinaires locaux, sinon les rendements sont compromis. Le conseiller agricole local a appelé ces semences des « hybrides ». Il a même été question d'organismes génétiquement modifiés. Avec le soutien de KBioC, quelques-unes de ces semences vendues dans les magasins agrovétérinaires ont été testées, et il a été constaté qu'elles étaient contaminées par des OGM. Pour aggraver les choses, le maïs récolté a commencé à développer des aflatoxines, qui peuvent être toxiques lorsqu'elles sont consommées. Construire la banque de semences
La communauté courait à sa perte. Les anciens ont alors tenu une réunion spéciale pour discuter des enjeux de sécurité alimentaire auxquels ils étaient confrontés. Ils ont discuté et www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
ont réalisé que la plus grande erreur qu'ils avaient faite était d'oublier leurs aliments locaux et traditionnels. Il y a un dicton populaire swahili qui dit : « Usiache mbachao kwa msala upitao », ce qui signifie « Ne laisse pas ce que tu as dans ta main pour un nuage qui passe ». Les anciens ont décidé de prendre l'initiative de relancer et régénérer les semences de variétés locales, qui avaient résisté à l'épreuve du temps. Le rôle des femmes dans la récupération des semences de variétés locales a été considéré comme essentiel pour assurer l'autosuffisance alimentaire de la communauté de Kathulumbi. Les femmes âgées ont été chargées de transmettre ces compétences aux femmes plus jeunes et aux professionnelles comme Mumo. Le système des semences traditionnelles n'est pas uniquement centré sur le rendement, mais englobe également une série d'aspects culturels. Une semence par exemple peut être choisie en vue de cérémonies spéciales, comme la fabrication de bière de mil pour les mariages. Des semences différentes ont également été sélectionnées pour les différentes saisons. En période de sécheresse, les semences les plus robustes sont plantées. Il y a aussi toute une variété de plantes cultivées, pas seulement le maïs. Le manioc, l'igname et le mil sont des cultures résistantes qui sont complétées par d'autres. Mumo dit qu'elle est heureuse d'avoir rejoint le Comité dans ses efforts pour faire revivre et pour récupérer les semences de variétés traditionnelles. Avec le soutien de l'organisation Arid Lands Resource Management Project (Projet sur la Gestion des Ressources en Terres Arides), un bâtiment a été construit pour la banque de semences communautaire, et les gens ont été encouragés à venir inscrire et partager des variétés qui avaient presque disparu. Maintenant, les agriculteurs de la communauté n'ont plus à acheter leurs semences à chaque nouvelle saison, puisque les variétés locales peuvent être sélectionnées et replantées sans perte de productivité. Les enfants ne souffrent plus de malnutrition et d'un manque d'alimentation équilibrée. Ils mangent maintenant des repas sains. L'année 2010 a été exceptionnelle avec des pluies suffisantes, mais, en février, le gouvernement kenyan a approuvé l'importation de plus de 280 000 tonnes (3,2 millions sacs de 90 kg) d'un mélange de maïs génétiquement modifié dans le pays. Ceci en dépit de la Loi kenyane sur la biosécurité de 2009, qui n'a pas encore pris effet faute de mise en œuvre des dispositions prévues. Le chemin pour assurer la sauvegarde des semences à Kathulumbi sera encore long, et rempli d'obstacles, notamment la menace de contamination par les OGM. Les habitants de Kathulumbi veulent que leur village soit une zone de diversité de semences libre d'OGM, et ils tiennent à en être les garants. Les défis sont grands, mais ils ont commencé à les relever. • Anne Maina Maina fait partie de l'African Biodiversity Network – Réseau africain sur la • Traduction : Charlotte Berthou www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Géoingénierie de la planète : quel enjeu pour l'Afrique ? Diana Bronson La géoingénierie joue un rôle de plus en plus important dans l'approche adoptée par le Nord pour contrer le changement climatique, écrit Diana Bronson. Ses partisans se montrent dédaigneux des conséquences sociales et environnementales potentielles pour les populations autour du monde. beehive collective.org Alors que la géoingénierie – la modification intentionnelle à grande échelle des systèmes terrestres, y compris les systèmes climatiques – peut sembler relever de la science-fiction, c'est en fait un sujet brûlant d'actualité au sein des cercles politiques travaillant sur le changement climatique dans les pays industrialisés. Les impacts de cette orientation politique émergente sur l'Afrique – et ceux des technologies associées, si jamais elles étaient déployées – sont quant à eux moins fréquemment abordés. Avec la publication du rapport de la Royal Society du Royaume-Uni l'année dernière[1], les réunions organisées par la National Academy of Sciences, les auditions au Parlement britannique et au Congrès américain [2], les millions de dollars débloqués pour la recherche par certains milliardaires bien connus (comme Bill Gates, fondateur de Microsoft, et Richard Branson de Virgin Airlines[3]) et le lancement de nouveaux programmes, il est temps que les acteurs de la société civile et les gouvernements du reste du monde prêtent attention. En fait, un débat international transparent et démocratique sur ces stratégies et ces technologies aurait déjà dû avoir lieu depuis longtemps. Le changement climatique, comme le montrent avec évidence les dommages non intentionnels déjà infligés à notre planète surchargée, ne respectera pas les frontières nationales. Les géoingénieurs (scientifiques, entrepreneurs et militants politiques) proposent d'étudier, évaluer et finalement utiliser un certain nombre de technologies. Celles-ci se classent en trois grandes catégories : 1 – La première série de stratégies de géoingénierie est connue sous le nom de « gestion de la radiation solaire » (solar radiation management ou SRM). Ces propositions visent à réduire la quantité de lumière solaire atteignant la planète en faisant en sorte qu'elle soit davantage réfléchie et renvoyée dans l'espace, et de réduire d'autant le réchauffement atmosphérique. Cette stratégie est également décrite comme l'augmentation de l'albédo terrestre. Les propositions avancées dans ce domaine incluent le lancement dans la stratosphère de quantités massives de dioxyde de soufre, ou d'aérosols d'aluminium, ou de nanoparticules manufacturées, le blanchissement des nuages par l'aspersion d'eau de mer, la couverture des déserts par du plastique, l'application de peinture blanche sur les sommets des montagne ou la création d'une couche de bulles faisant écume à la surface de l'océan. 2 – Une deuxième série de technologies regroupe les efforts visant à aspirer des mégatonnes de gaz à effets de serre hors de l'atmosphère et à les piéger soit biologiquement, soit mécaniquement. Parmi les stratégies proposées, celle de rejeter du fer ou de l'urée dans la www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
mer afin de « fertiliser » des zones pauvres en nutriments et stimuler ainsi la croissance de phytoplanctons qui, théoriquement, séquestreront le CO2 de l'atmosphère dans la mer. À ce jour, cela n'a jamais fonctionné. On trouve également dans ce groupe des projets visant à changer la chimie des océans afin d'augmenter l'absorption du CO2 (connus sous le nom de météorisation améliorée, enhanced weathering), des arbres artificiels ou des machines aspiratrices de carbone, et l'appropriation puis le brûlage de résidus végétaux (forêts et cultures) en un charbon (appelé biochar ou biocharbon) qui serait par la suite enterré pour en séquestrer le carbone. 3 – Une troisième série de propositions de géoingénierie ne porte pas directement sur le contrôle du climat, mais essaye plutôt d'agir au niveau des phénomènes météorologiques – en intervenant pour réduire ou rediriger les ouragans, ou pour « ensemencer » les nuages afin de catalyser des chutes de pluies dans les régions sèches. De telles technologies sont déjà fréquemment utilisées (150 exemples dans 40 pays selon un rapport[5]), souvent en lien avec des objectifs et institutions militaires, l'exemple le plus connu étant leur utilisation par les États-Unis pour entraver les mouvements des troupes ennemies pendant la guerre du Vietnam. Souvent, les débats sur la géoingénierie omettent ces modifications météorologiques, mais comme l'historien James Fleming l'a démontré de manière convaincante dans son livre Fixing the Sky, les racines historiques et philosophiques des propositions contemporaines de géoingénierie sont dans la droite ligne des nombreuses tentatives plus anciennes pour contrôler le climat. Toutes ces propositions vont avoir des impacts sociaux et environnementaux qui seront ressentis bien au-delà des régions du monde où seront prises les décisions de les déployer. En fait, alors que les discussions scientifiques deviennent de plus en plus sophistiquées et que la géoingénierie gagne en crédibilité à Washington et à Londres comme « plan B » pour le climat, la question de savoir comment de telles technologies devraient être gouvernées internationalement commence à émerger. De plus en plus, les partisans de la géoingénierie rejettent une approche multilatérale où tous les pays auraient un siège à la table, et parlent de « bottom-up » [initiatives « ascendantes » depuis la base], de « soft law » [instruments « mous » de doit international] ou d'engagements volontaires comme substituts au droit international[6]. Apparemment oublieux du fait que les pays industrialisés ont saboté toute réponse multilatérale sensée au changement climatique, ils déclarent maintenant que davantage d'arrangements informels de gouvernance sont nécessaires. Comme peut-être une gouvernance globale exercée par l'OCDE (Organisation pour la coopération économique et le développement), le G20 ou le Forum des principales économies ? Ou simplement une coalition des volontaires ? Tout en tout cas sauf les Nations unies, où chaque pays bénéfice d'un siège. Aérosols stratosphériques et impacts sur les sols
L'une des plus connues des technologies de « gestion de la radiation solaire » implique de lancer des minuscules particules de dioxyde de soufre ou d'aluminium dans la couche supérieure de l'atmosphère connue sous le nom de stratosphère (jusqu'à 50km de la terre). Cette démarche se modèle en partie sur la poussière dispersée par de grands et puissants volcans, afin que davantage de lumière solaire soit réfléchie dans l'espace qu'à l'ordinaire, ce qui permettrait ainsi un effet refroidissant sans que soit du tout réduite la quantité de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Ce refroidissement artificiel traite le symptôme plutôt que la cause du réchauffement climatique, et entraînerait de nombreux effets indirects négatifs. Personne ne sait vraiment exactement ce que ces effets seront, car les modèles informatiques sont notoirement simplistes, et ne peuvent précisément prédire comment un système climatique complexe réagira aux expériences des ingénieurs. Même les meilleurs scientifiques ne comprennent pas vraiment comment fonctionne le système climatique. Cependant, un des effets mis en avant par plusieurs simulations informatiques et par l'étude des exemples historiques (comme l'éruption du Mont Pinatubo en 1991) est la diminution des précipitations et l'augmentation des perturbations dans les moussons africaines et indiennes. Nul besoin d'ajouter que cela entraînerait des bouleversements de la production agricole, menaçant potentiellement l'approvisionnement alimentaire d'environ 2 milliards de personnes[7]. Parmi les impacts négatifs potentiels de cette technologie, des ciels plus blancs, des www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
dommages à la couche d'ozone, une baisse d'efficacité de l'énergie solaire, l'obstruction de l'astronomie, la poursuite de l'acidification des océans, et foule d'autres perturbations non anticipées des écosystèmes. Enfin, si les injections devaient être soudain stoppées, un réchauffement très rapide et dangereux s'ensuivrait, sans laisser le temps aux humains ou à l'écosystème de s'adapter[8]. C'est aussi l'une des technologies les plus centralisées, et probablement aussi peu chère à mettre en œuvre que rapide à causer un impact. Les institutions militaires et leurs sous-traitants seraient certainement sollicités pour développer les équipements nécessaires (Boeing, par exemple, y travaille déjà). Un seul État, une petite coalition de pays, une entreprise ou même un individu pourraient exécuter un tel projet pour une somme relativement modeste. D'autre part, qui déciderait à quelle température le thermostat de la terre doit être fixé ? Qui contrôlerait la taille des particules à utiliser ? Et qui aurait le pouvoir d'annuler une telle expérience si ses effets étaient pires qu'escomptés ? Des guerres ont lieu pour moins que ça. Enfin, il n'y a aucun « terrain d'expérimentation » où « l'option stratosphérique » pourrait être testée – nous avons seulement une planète. Un test à très petite échelle a déjà été effectué en Russie[9], mais il ne peut actuellement rien prouver quant à la manière dont réagiraient les aérosols s'ils étaient déployés à l'échelle massive nécessaire à la modification du climat. Comme Alan Robock et ses collègues l'ont écrit : « La géoingénierie ne peut être testée sans mise en œuvre à échelle globale. La production initiale de gouttes d'aérosols peut être testée à petite échelle, mais la manière dont elles évolueront en taille (qui détermine le taux d'injection nécessaire pour produire un refroidissement donné) ne peut être testée qu'en réalisant des injections dans un nuage d'aérosol existant, qui ne peut être confiné à une localisation. D'autre part, la variabilité du temps et du climat exclut toute vérification de la réponse climatique sans mise en œuvre à grande échelle sur une durée d'au moins une décennie. De telles applications à grande échelle pourraient induire des bouleversements substantiels dans la production alimentaire. »[10] Le biochar, ou charbon de bois souterrain
Le biochar (ou biocharbon) est la technologie de géoingénierie qui a fait de l'Afrique son terrain d'expérimentation privilégié. Les déchets agricoles « non exploités », ou des plantes et le bois d'arbres cultivés dans ce but, sont brûlés dans une atmosphère faible en oxygène à travers un processus connu sous le nom de pyrolyse (un type de gazéification), et son ensuite enterrés dans le sol, où ils resteraient stockés prétendument pour « des centaines à des milliers d'années »[11]. De plus, sous prétexte de séquestrer le carbone de façon sûre, le procédé a pour sous-produit une bioénergie qui peut remplacer certaines utilisations des hydrocarbures. Des projets de biochar sont déjà en développement au Burkina Faso, Cameroun, Niger, Sénégal, Afrique du Sud, Tanzanie, Ouganda et Zambie[12]. Le biochar a suscité un important effet de mode, et les personnes qui désespèrent de trouver des solutions peuvent se montrer curieusement crédules, comme l'illustre cet entretien avec Laurens Rademaker du Fonds Biochar, une « entreprise sociale » « au cash-flow positif » offrant des « opportunités d'investissement ». « Les bénéfices pour ces paysans sont instantanés et très significatifs. Avec le biochar, ils peuvent passer en seulement une ou deux récoltes de mal nourris à bien nourris, et d'agriculteurs de subsistance à paysans capables de vendre une partie de leur surplus. » [13] Rien de cela n'a été prouvé scientifiquement, et c'est pour la plupart profondément illogique. En fait, aucune étude fiable sur l'impact à long terme du biochar sur les sols n'a été réalisée. Le parallèle est parfois fait avec la pratique amazonienne traditionnelle de la terra preta, mais une telle comparaison a davantage à voir avec les relations publiques qu'avec la science. Nous ne savons pas, par exemple, comment les différentes ressources primaires affectent les propriétés physiques et chimiques du biochar ; nous ne savons rien sur sa stabilité à long terme dans le sol ; en outre, les contraintes et impacts sociaux et économiques ont à peine été envisagés[14]. Le PNUE (Programme des Nations unies pour l'environnement) estiment que les plantations pour biochar doivent être appréhendées avec une grande précaution et que les impacts à long terme sur la durabilité agricole et la biodiversité en sont inconnus[15]. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Mais cela n'empêche pas les profiteurs du carbone et les charlatans de le promouvoir : de fait, ConocoPhilipps Canada, impliquée dans l'exploitation des sables bitumineux de l'Alberta, travaille activement à faire accréditer le biochar sur les marchés internationaux du carbone[16]. C'est ce qu'Eduardo Galeano appellerait un monde à l'envers : des entreprises pétrolières douteuses qui pompent du carbone enterré depuis longtemps sous forme d'hydrocarbure et qui ensuite achètent des crédits carbone en brûlant du carbone vivant en Afrique grâce à une technologie hautement contestée, mais vendue comme une solution. L'autre problème majeur du biochar est l'énorme quantité de sol qui serait nécessaire à sa production industrielle – des centaines de millions d'hectares. Si chaque tige ou brindille était ramassée pour être brûlée et enterrée, la biodiversité serait sapée, les nutriments du sol seraient perdus, et les populations (en particulier, celles qui ont des droits de propriété non sécurisés) devraient quitter leurs terres. Des écosystèmes divers et riches en carbone en seraient encore davantage perturbés et commercialisés, à mesure que chaque pan de nature se trouvera progressivement assujetti à des marchés carbone favorables à ceux qui en définissent les règles et contrôlent le capital – et permettent à la surproduction et la surconsommation du Nord industrialisé de se poursuivre avec la même violence[17]. 2010 est l'année internationale de la biodiversité et aussi une année de décisions critiques quant à ces projets d'altération de la planète. La Convention sur la diversité biologique (CBD) tiendra sa conférence biannuelle des parties (une réunion des ministres de l'environnement de 193 pays) à Nagoya, au Japon, en octobre 2010. Cette rencontre fera le bilan de la crise sur la biodiversité, avec l'extinction des espèces, la déforestation, la surpêche et la crise énergétique et climatique en compétition pour occuper la première place de l'ordre du jour. Quelques voix vont chercher à protéger la biodiversité des ravages de la surconsommation, de la monoculture, de l'addiction au pétrole et l'urbanisation rampante. D'autres vont promouvoir la croissance, les mécanismes de marché et les rustines technologiques avant toute autre considération, marchandisant aveuglement jusqu'au dernier chaque morceau d'air, de terre et de mer. Ce dernier groupe risque de considérer la géoingénierie de la terre comme une option à envisager, plutôt que comme une dangereuse pratique à stopper. Lors de la rencontre de l'Organe subsidiaire chargé de fournir des avis scientifiques, techniques et technologiques du CBD qui s'est tenue à Nairobi en mai 2010, un moratoire sur les activités de géoingénierie a été proposé : « Aucune activité de géoingénierie liée au climat ne doit être mise en place avant qu'il existe une base scientifique adéquate qui justifie de telles activités et avant une prise en compte appropriée des risques associés pour l'environnement et la biodiversité et des impacts sociaux, économiques et culturels associés. » À elle seule, cette résolution ne sera pas suffisante pour mettre un frein à l'hubris scientifique et à l'arrogance politique à la base de la géoingénierie, mais cela empêchera au moins les entrepreneurs les plus agressifs de mener des expériences alors que la majorité des peuples et des gouvernements du monde commencent seulement à apprendre ce que sont ces technologies. Il est vital que les pays africains et les autres membres du G77 et la Chine se tiennent à ce moratoire et mettent à nouveau l'accent politique là où il doit être mis : sur les responsabilités des pays riches qui ont causé le problème du changement climatique en premier lieu. La CBD a adopté un moratoire sur la fertilisation des océans en 2008, largement considéré comme un succès, malgré l'expérience du Lohafex qui a pris la mer au large des côtes sud africaines au début 2009[18]. Depuis lors, la science a impitoyablement discrédité cette pratique, des océanographes reconnus estimant « qu'il est temps de passer à autre chose »[19]. Nous devons construire sur la base de ce précédent pour nous assurer qu'aucune expérience de géoingénierie ne sera autorisée sur la terre, dans les mers ou dans l'espace. Une campagne de la société civile appelant à un moratoire sur les expériences des géoingénierie a été lancée au début de cette année lors du Sommet mondial des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre Mère convoqué par le gouvernement bolivien. Elle est appelée « Hands Off Mother Earth » [Ne touchez pas à la terre mère], ou HOME : http://www.handsoffmotherearth.org. Vous pouvez rejoindre le mouvement en envoyant votre photo – avec votre main en l'air pour signaler votre opposition – à [email protected]. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
NdT : La Conférence de Nagoya a effectivement adopté un moratoire sur les projets de
géoingénierie : http://www.etcgroup.org/en/node/5229

• Diana Bronson est membre de l'ETC Group. • Traduction : Abel Page. NOTES [1] Geoengineering the Planet: Science, Governance, Uncertainty, Royal Society, 2009, disponible à l'adresse : http://bit.ly/9g61pk [2] Voir le rapport du Comité sur les sciences et les technologies du Parlement britannique, The Regulation of Geoengineering, disponible à l'adresse : http://bit.ly/9YiRR9 Sur les auditions aux États-Unis, voir (en attendant la publication du rapport) : http://bit.ly/9d5WdZ [3] Bill Gates a donné 4,6 millions de dollars US aux géoingénieurs David Keith et Ken Caldeira. Lorsque que ce don donna lieu à une controverse médiatique, le Fund for Innovative Climate and Energy Research [Fonds pour la recherche climatique et énergétique innovante] rendit publics les projets financés. http://bit.ly/91UBs2 Branson anime le « Carbon War Room » (www.carbonwarroom.org) qui présente des champs de batailles et des théâtres de guerre sur les technologies de géoingénierie. [4] L'UE et le Royaume-Uni ont récemment annoncé des financements modestes, et un nouveau programme est attendu dans les mois qui viennent aux États-Unis. Un projet datant de 2001 de fonds de recherche de 64 millions de dollars US dans le cadre du Département fédéral de l'énergie a été abandonné, mais le climat a changé aujourd'hui. [5] Rob Sharp, ‘Weather modification: the rain makers', The Independent, 30 avril 2008 disponible à l'adresse : [6] Voir par exemple les témoignages de David Keith et John Virgoe devant le comité parlementaire britannique sur la régulation de la géoingénierie : http://bit.ly/aCNdbb [7] Robock, Alan, ‘20 reasons why geoengineering may be a bad idea'. Bull. Atomic Scientists, 64, No. 2, 14- 18, 59, 2008. Robock, Alan, Allison B. Marquardt, Ben Kravitz, and Georgiy Stenchikov, ‘The benefits, risks, and costs of stratospheric geoengineering'. Geophys. Res. Lett., 36, L19703, 2009. [8] Ibid. [9] Essai réalisé sous l'égide de Yuri Izrael et rapporté par Chris Mooney dans son blog ‘Copenhagen: Geoengineering's Big Break?, 14 décembre 2009, disponible à l'adresse : http://bit.ly/bkDfuy [10] Alan Robock, Martin Bunzl, Ben Kravitz, Georgiy L. Stenchikov, ‘A Test for Geoengineering?' Science, 29 January 2010, Vol. 327. no. 5965, pp. 530-31. [11] Cette prétention figure sur le site web du principal lobby du biochar, l'International Biochar Initiative: [12] Biochar Land Grabbing: the Impacts on Africa: A briefing by the African Biodiversity Network, Biofuelwatch and the Gaia Foundation, novembre 2009, disponible à l'adresse : http://bit.ly/cwIFBp, et correspondance avec Almuth Ernsting, BiofuelWatch. [13] Jeremy Hance, ‘Could Biochar save the world?', 16 août 2010, mongabay.com, disponible à l'adresse : [14] Sohi. S, Loez-Capel, E, Krull, E, Bol, R, 2009, ‘Biochar's roles in soil and climate change, A review of research needs'. CSIRO Land and Water Science Report 05/09, 64 pp. [15] UNEP, The Natural Fix: The role of ecosystems in climate mitigation, 2009 disponible à l'adresse : [16] Chris Mooney, ‘Copenhagen: Geoengineering's Big Break', 14 décembre 2009, disponible à l'adresse : [17] Une excellente synthèse sur les problèmes du biochar est proposée par Almuth Ernsting et Rachel Smolker : « Biochar for Climate Change Mitigation: Fact or Fiction? », février 2009, disponible à l'adresse : http://bit.ly/9eh99e [18] Communiqué de presse de l'ETC Group, ‘German Geoengineers show iron will to defy global UN moratorium', 8 janvier 2009, disponible à l'adresse : http://bit.ly/d171jX [19] Aaron Strong, Sallie Chisholm, Charles Miller & John Cullen, ‘Ocean fertilization: time to move on', Nature, 461, 347-348 (17 septembre 2009). www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Voix de résistance et d'espoir à la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique Silvia Ribeiro Silvia Ribeiro synthétise les résultats de la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre Mère, qui s'est tenue en Bolivie en avril dernier. L'Accord des peuples, né de cette rencontre, souligne la nature destructrice de l'agriculture industrielle, des agrocarburants et des nouvelles technologies telles que les transgéniques, les technologies terminator ou de restriction génétique et les nanotechnologies. TIQUIPAYA, BOLIVIE – Plus de 3 500 personnes ont répondu à l'invitation de la Bolivie pour la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre Mère (CMPCC) à Cochabamba du 19 au 22 avril dernier. Les participants sont venus de 142 pays des cinq continents, représentant mouvements sociaux et paysans, groupes indigènes, écologistes, pêcheurs et groupes de femmes. Outre les représentants des gouvernements de 47 pays, la conférence a rassemblé chercheurs, intellectuels, militants, artistes et musiciens de tous horizons. Au fil de la Conférence, les participants ont déployé leur énergie au sein des 17 groupes de travail mis en place par les organisateurs et des quelques 127 ateliers auto-organisés. Le Conseil national des ayllus et markas du Qullasuyu (CONAMAQ), l'une des principales fédérations indigènes boliviennes, a formé avec d'autres organisations le « Groupe de travail 18 », afin de débattre des enjeux jugés insuffisamment représentés dans le programme de la Conférence, comme le dialogue critique sur les projets miniers, gaziers et pétroliers. La participation au Sommet a dépassé les attentes, en termes d'assistance comme de contenu des discussions, marquant un véritable succès historique dans le débat sur la crise climatique. Tandis que les gouvernements des grandes puissances manœuvraient à Copenhague, la Bolivie a servi de plateforme d'échanges aux mouvements sociaux et aux communautés locales du monde entier, leur permettant d'exprimer leurs points de vue et d'exiger qu'ils soient pris en compte par les gouvernements. La Conférence a également renforcé les connexions et interactions entre mouvements sociaux, marquant l'émergence embryonnaire de nouveaux réseaux mondiaux en réponse à la crise climatique. Selon l'opinion de la majorité des participants, l'important n'est pas de créer une nouvelle structure internationale mais plutôt de renforcer les flux d'interaction et la complémentarité entre les mouvements existants. La conférence a posé les bases communes d'une analyse critique et de stratégies d'action face à la crise climatique, enrichies des diverses perspectives provenant des multiples cultures, peuples et organisations du continent et du reste du monde : l'Accord des peuples sur le changement climatique et les droits de la terre mère [http://pwccc.wordpress.com/]. Les discussions furent marquées par le rejet vigoureux et répété de l'Accord de Copenhague, élaboré par les pays qui sont les principaux responsables de la crise climatique et présenté en décembre dernier dans le cadre de la Conférence des parties (COP15) de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Les « engagements » cyniques pris à Copenhague impliquent une augmentation des températures de 4 degrés Celsius ; une catastrophe pour les peuples de l'hémisphère Sud. La www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
CMPC, à l'inverse, cherche à mettre un terme au changement climatique global et à « décoloniser l'atmosphère », appelant les pays industrialisés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 50%. La CMPC refuse de reconnaître aucune forme de mécanisme d'échange de crédits carbone comme solution au changement climatique. Elle rejette également les mécanismes REDD, estimant que ceux-ci conduisent à l'aliénation de la gestion communautaire des forêts et encouragent la monoculture arboricole. Au cœur de la critique de la CMPC se trouve la mise en accusation des causes réelles de la crise climatique. Selon les termes de l'Accord des peuples : « Nous sommes confrontés à la crise terminale du modèle de civilisation patriarcal, basé sur la soumission et la destruction des êtres humains et de la nature, qui s'est accélérée avec la révolution industrielle. Le système capitaliste a imposé une logique de compétition, de progrès et de croissance illimitée. Ce régime de production et de consommation recherche le profit infini en séparant les hommes de la nature, imposant une logique de domination de la nature et transformant tout en marchandise : l'eau, la terre, les gènes humains, les cultures ancestrales, la biodiversité, la justice, l'éthique, les droits des peuples, la vie et la mort. » L'Accord des peuples condamne l'agriculture industrielle et les sociétés d'agrobusiness – directement responsables de la moitié des émissions causant la crise climatique – de même que tout mécanisme ou proposition qui tend à favoriser les sociétés transnationales et la dévastation de la Terre Mère. L'Accord cite plus particulièrement les accords de libre-échange, l'introduction des nouvelles technologies à risque telles que les transgéniques, les technologies terminator ou de restriction génétique, les nanotechnologies, la géoingénierie (la manipulation du climat) et les agrocarburants. « Nous dénonçons la façon dont le modèle capitaliste impose des méga-projets d'infrastructure, envahit les territoires de projets extractivistes, privatise et commercialise l'eau et militarise les terres, expulsant les peuples indigènes et les paysans de leurs propres terres, s'imposant contre la souveraineté alimentaire, exacerbant les crises socio-environnementales. », déclare l'Accord. La déclaration du « Groupe de Travail 18 » souligne des enjeux similaires et critique les politiques et les pratiques d'extraction et d'exploitation minière et d'hydrocarbures du gouvernement bolivien. La déclaration précise néanmoins que l'initiative n'était pas censée être « une tribune visant à décrédibiliser le gouvernement, ni à saper la légitimité d'une entité de laquelle nous nous sentons proches. Il s'agit de reformuler des propositions qui permettent d'infléchir le cours du changement, en assumant la responsabilité de le défendre et de le protéger, comme le fait le mouvement social bolivien depuis de nombreuses années de lutte. » La CMPC met également en avant des stratégies et des propositions telles que le recouvrement de la dette climatique, la création d'un Tribunal international de la justice climatique, et la Déclaration universelle des droits de la Terre Mère. Le plus grand défi reste de mettre en œuvre la souveraineté alimentaire – basée sur les modes de vie et de production paysans, indigènes et locaux. En fin de compte, promouvoir la justice sociale et la biodiversité et retrouver un équilibre planétaire repose sur l'effectivité de la souveraineté alimentaire. Toutes ces thématiques ceci – et davantage encore – seront abordées lors de la COP16 de la CCNUCC à Cancun, au Mexique, du 29 novembre au 16 décembre de cette année, où se tiendront les négociations officielles sur le climat. Cochabamba s'est résolument imposé comme un événement fondateur pour le mouvement contre la crise climatique, la société civile et les mouvements sociaux actifs autour du monde. • Silvia Ribeiro est chercheur et responsable de programme au sein de l'ETC Group. Traduction : Amélie Boissonnet. Pour en savoir plus sur le mouvement global sur le climat qui a émergé en Bolivie, visionnez Avi Lewis, hébergé par le programme 'Fault Lines' d'Al Jazeera, qui voyage en Bolivie et explore de l'intérieur la croisade climatique du pays dans l'épisode: 'The other debt crisis: Climate debt'. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Biotechnologie et dépossessions au Kenya Khadija Sharife La situation agricole du Kenya est caractérisée par des cultures lucratives destinées à l'exportation tandis que le gouvernement sanctionne la marginalisation des groupes dépossédés et les famines qui en résultent, écrit Khadija Sharife. Les ressources qui devraient être utilisées de manière durable pour faire face à ces famines sont épuisées, estime Sharife, dans le cadre d'une tendance plus large et inquiétante de domination totale de la terre par les intérêts des élites, où « les droits de propriété qui pourraient être alloués à ceux qui ont besoin de terre pour la production alimentaire sont transférés à la place à ceux qui ont accès au capital (étranger) ou aux cercles politiques ». Entre 1998 et 2000, alors que l'aide alimentaire représentait presque 25% des importations totales [http://earthtrends.wri.org/pdf_library/cp/agr_cou_404.pdf] et que 23% des enfants étaient considérés comme présentant un déficit pondéral, 10% seulement des grandes exploitations agricoles kenyanes étaient productives. Le reste était à l'arrêt à des fins spéculatives [http://www.jarts.info/index.php/jarts/article/view/5/2], par exemple pour attirer des investissements étrangers. Une décennie plus tard, alors que l'horticulture est devenue l'industrie la plus viable du pays, exportant annuellement 450 000 tonnes (2009) de fruits, de fleurs et de légumes comme le maïs nain, les tomates ou les haricots verts [http://www.boiseweekly.com/boise/kenyas-food-miles/Content?oid=1168196], gouvernement kenyan déclarait l'état d'urgence du fait de la famine entraînée par une sécheresse affectant un Kenyan sur dix, notamment les populations pastoralistes Maasai. Historiquement, avant la marchandisation de la terre, les peuples Maasai structuraient leurs pâtures en fonction des phénomènes de sécheresse. La privatisation de la terre initiée par la Banque mondiale et le DfID (Département du développement international du Royaume-Uni) a vu l'appropriation de 40 à 60% des terres de pâture Maasai, enfermant ce peuple dans de petites enclaves de la Vallée du Rift kenyane, dont les rives du lac Naivasha, le troisième lac du pays et une aire traditionnelle de pâture. Les ranchs privés établis au bénéfice des investisseurs étrangers et de l'élite kenyane ne constituent que l'ultime acquisition « légale » en date négociée par des représentants politiques n'accordant qu'un regard méprisant à la marginalisation des Maasai. Plus de 100 ans auparavant, les Maasai se sont trouvés dépossédés des droits sur leurs terres via la signature d'un accord colonial entre le gouvernement britannique, représenté par le Syndicat de l'Afrique de l'Est entre autres entités de statut privé, et un « homme médecine » choisi apparemment au hasard, Laibon Leinana, lequel, ironiquement, n'était pas même investi de l'autorité de conclure un tel accord. Ce « chef » accorda aux colons les droits sur la terre des Maasai [http://www.allbusiness.com/legal/1035399-1.html]. Les Maasai, évincés progressivement de 90% de leurs terres traditionnelles, furent envoyés dans des terres annexées appelées « aires de protection » ou réserves – un terme qui rappelle les motivations écologiques alléguées [http://www.allbusiness.com/legal/1035399-1.html] aujourd'hui par la Banque mondiale et le DfID. En 1911, après avoir perdu 131 000 hectares de terre, les Maasai furent à nouveau évincés de leur réserves lorsque 6000 kilomètres carré des réserves septentrionales furent soumises à appropriation privée. Ces zones constituent aujourd'hui l'épine dorsale de l'industrie kenyane des produits laitiers et du bœuf [http://www.allbusiness.com/legal/1035399-1.html], qui alimente principalement l'Europe. En 2004, Brookside Dairy Ltd et Delamere Farms Ltd dominaient ce secteur. Le père fondateur colonial de Delamere avait reçu 40 000 www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
des 131 000 hectares des terres Maasai originelles. Ces jours-ci, les Maasai [http://www.allbusiness.com/legal/1035399-1.html] – le visage de la famine sévissant au Kenya, des ressources en eau épuisées (70% des puits en 2009), du bétail mort (150 000 en 2009) et des enfants mal nourris – sont confinés aux zones les plus sèches et aux pâturages les plus surexploités du pays [http://news.mongabay.com/2009/0917-hance_kenyapain.html], et sont désormais incapables de suivre le rythme des avanies climatiques que subit le Kenya. En fait, le Kenya dispose de terres agricoles parmi les meilleures au monde (Bowden), grâce à la combinaison de sols volcaniques fertiles et des conditions climatiques optimales, avec des températures de 20 à 25 degrés Celsius toute l'année [http://www.boiseweekly.com/ boise/kenyas-food-miles/Content?oid=1168196]. Au moment de la famine, plus de 100 tonnes de fleurs d'origine extérieure et requérant une irrigation continuaient à être exportées journellement, sans interruption, à destination des consommateurs néerlandais. En avril 2010, lorsque le volcan islandais entraîna la fermeture temporaire de l'espace aérien européen, l'Association des exportateurs de produits frais du Kenya (FPEAK), représentant des exportations de 1000 tonnes de fruits et légumes chaque jour, annonça une perte de 3 millions de dollars US par nuit [http://www.reuters.com/ article/idUSTRE63I4FC20100419], à quoi s'ajoutait le dépérissement de 3000 tonnes de fleurs. La floriculture industrielle kenyane, qui repose sur une trentaine d'exploitations commerciales, constitue l'une des deux sources principales de devises de l'agrobusiness, évaluée en 2009 à 1,3 milliard de dollars US [http://www.boiseweekly.com/boise/kenyas-food-miles/Content?oid=1168196]. Le FPEAK, qui regroupe 150 exploitants, indique que 82% [http://www.reuters.com/article/idUSTRE63I4FC20100419]. Parmi ces exportations, 88 millions de tonnes annuelles de fleurs, dont la production est principalement localisée dans la région fertile entourant le lac Naivasha. En 2008, le Kenya Flower Council (Conseil des fleurs du Kenya) annonçait que la floriculture engrangeait [http://www.circleofblue.org/waternews/2010/world/blooming-controversy-what-is-killing-the-wildlife-in-kenya's-lake-naivasha], emmenée par des entreprises telles que Sher Agencies [http://www.canadians.org/water/documents/NaivashaReport08.pdf], qui exportent 97% de leurs fleurs fraîchement coupées vers l'Europe, dominent 25% du marché mondial, une tendance qui s'est faite jour au tournant du millénaire et qui ne se démentit pas. Mais cette industrie, qui emploie 50 000 personnes, a aussi pour domaine d'activité secret l'exportation d'eau virtuelle. Grâce à son industrie de floriculture aujourd'hui quarantenaire, le lac n'occupe plus que 10 700 hectares, environ la moitié de sa surface initiale. [http://www.circleofblue.org/waternews/2010/world/blooming-controversy-what-is-killing-the-wildlife-in-kenya's-lake-naivasha] permet aux entreprises horticoles basées autour du lac de s'autoréguler en termes de volume d'eau qu'elles pompent et exploitent, ainsi qu'en termes de quantité de pesticides toxiques, d'engrais et agents de fumigation et d'autres produits chimiques déversés dans le lac. Nombre de ces produits, comme le DDT et la dieldrine, sont désormais interdits d'utilisation dans le monde industrialisé [http://www.theecologist.org/green_green_living/behind_the_label/302429/behind_the_label_cut_flowers.html]. Les ressources qui devraient être utilisées de manière durable pour faire face aux famines récurrentes que connaît le pays sont épuisées : les produits chimiques toxiques ont causé non seulement des problèmes de santé chroniques pour ceux qui vivent des eaux du lac, mais aussi l'eutrophisation, leur concentration excessive entraînant des floraisons d'algues qui font diminuer en retour le niveau d'oxygène dans l'eau, provoquant le massacre et la contamination massive des poissons, du bétail et même des humains. Le lac Naivasha, antérieurement l'un des sites d'observation d'oiseaux les plus prisés au niveau mondial, subit www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Les rives du lac ont en effet connu une augmentation drastique du nombre de leurs résidents permanents au cours des quatre décennies écoulées de développement de la floriculture, passant de 7 000 habitants en 1970 à 300 000 en 2008, cette industrie constituant l'un des principaux employeurs primaire du Kenya. Ainsi qu'a déclaré le directeur des roses d'Oserian entreprise majeure de la zone : « Il va être difficile de sauvegarder l'environnement du lac. La population qui vit autour d'a pas d'équipements d'assainissement, les gens lavent leurs vêtements dans le lac. Ils viennent tous pour les exploitations de fleurs. » [http://www.canadians.org/water/documents/NaivashaReport08.pdf] Et ce sont les exploitations de fleurs et avec elles toute l'agriculture industrielle d'exportation, sur fond de politique foncière kenyane et de marchandisation de la terre systématiquement frappées de corruption et structurellement injuste, qui ont catalysée une grande partie de la faim que subit la population kenyane. Aucun pays n'est uniformément fertile. Mais lorsque les épisodes de famines dans les régions les plus arides d'un pays sont une réalité récurrente, mettre partiellement à contribution les régions fertiles pour assurer la souveraineté alimentaire sembler relever de la logique la plus basique. Ceci pourrait être accompli à court terme en repérant les saisons présentant des risques particuliers de famine pour les pastoralistes (août-octobre) et pour les autres régions [http://www.kenyafoodsecurity.org/images/stories/files/monthly_bulletins/2010/jan_june10.pdf] (novembre-janvier pour les régions du Sud-est et côtières) et en les mettant en regard du calendrier agricole [http://www.kenyafoodsecurity.org/images/stories/files/ monthly_bulletins/2010/jan_june10.pdf]. Sur le long terme, cet objectif général pourrait être atteint à travers une série de réformes, portant sur des aspects proprement agricoles comme le développement d'infrastructures, l'exploitation des terres agricoles oisives et un soutien gouvernemental relatif en matière de coûts et de prix, mais aussi sur des facteurs plus généraux de politique économique comme le lancement d'une enquête sur les acquisitions de terres entachées de corruption, ce qui concernerait près de 300 000 titres selon un rapport sur le foncier produit en 2004 par Paul Nudungu. Le président en exercice [http://www.gbmnews.com/articles/4026/1/In-Kenya-land-is-the-root-of-most-problems/Page1.html] du Kenya contrôle des terres estimées à au moins 12 000 hectares ; l'ancien président Daniel arap Noi, par exemple, détenait 40 000 hectares, tandis que la famille de Jomo Kenyatta en contrôle plus de 400 000. Les registres papier, qui rendent les manipulations « politiques » particulièrement aisées, étaient encore la norme aussi récemment que 2008 [http://www.gbmnews.com/articles/4026/1/In-Kenya-land-is-the-root-of-most-problems/Page1.html]. Les causes politiques de cette famine rampante et de plus en plus récurrente sont rarement appréhendées dans leur contexte politique réel. Les droits de propriété qui pourraient être alloués à ceux qui veulent des terres pour produire des aliments sont transférés à ceux qui peuvent se prévaloir d'un accès au capital (étranger) ou aux cercles politiques. En tant que tels, les terres oisives, les paysans sans terres, la sous-utilisation des terres, la pénurie artificielle de terres et les conflits sur la terres sont artificiellement produits, et même perpétués afin de continuer à bénéficier de l'aide en cachant au regard les racines réelles de la famine. La propriété foncière communale a souvent été directement remplacée par la propriété privée, privilège des riches. Parmi les questions cruciales qui doivent être soulevées de toute urgence, la mise en évidence de la pauvreté de la politique : qui sont ceux qui souffrent de la misère ? Où sont-ils localisés ? Quelle a été leur expérience historique ? Quel est leur niveau d'accès aux instruments économiques et politiques, depuis l'argent jusqu'aux titres de propriété ? Et, tout aussi important, dans quelle mesure sont-ils intentionnellement marginalisés ? Selon une étude intitulée « Beyond land titling for sustainable management of agricultural land » [Au-delà de la titularisation foncière pour une gestion durable des terres agricoles], publiée dans le Journal of Agriculture and Rural Development en 2002, 70% des paysans habitants les districts semi-arides de Ndome, Ghazi et Taita-Taveta opéraient dans un contexte d'insécurité foncière, principalement du fait de l'absence de titres de propriété [http://www.jarts.info/index.php/jarts/article/view/5/2]. Ce rapport indique que cette www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
absence de titres de propriété entraîne une prolifération de conflits fonciers (70%). Environ 80% des paysans continuent à exploiter des terres en dispute, mais seulement un tiers de ces terres faisaient l'objet de mesures de conservation [http://www.jarts.info/index.php/ jarts/article/view/5/2]. L'étude observe que pauvreté, agriculture et foncier sont étroitement liés au Kenya, et suggère qu'une politique de titularisation foncière contribuerait à promouvoir quatre objectifs cruciaux qui contribuent à la lutte contre la pauvreté au niveau national : affectation du maximum de terres pour répondre aux besoins agricoles ; redistribution équitable de la terre ; mise en place d'approches efficaces pour maîtriser la dégradation des terres ; et préservation délibérée des terres agricoles [http://www.jarts.info/index.php/jarts/article/ view/5/2]. D'où cette conclusion en forme d'appel : « Par défaut, l'usage prioritaire des meilleures terres devrait être la production alimentaire, étant donné l'importance de la sécurité alimentaire pour le développement économique et écologique du pays. Tout autre usage de ces terres devrait être mis en regard de sa contribution relative à l'objectif susmentionné. » [http://www.jarts.info/index.php/jarts/article/view/5/2] Ce qui ne manque pas de soulever la question suivante : Pourquoi le gouvernement a-t-il entériné le système foncier dont il a hérité ? Évoquant l'idée d'une taxe foncière, le Secrétaire permanent aux terres Dorothy Angote déclarait que le colonialisme « a introduit un concept exogène de relations de propriétés au Kenya… Nous voulons que les Kenyans renoncent à vendre ou posséder la terre comme fin en soi. Les gens font comme si l'acquisition de terres était une accumulation de médailles à porter sur la poitrine. » [http://www.nation.co.ke/ News/-/1056/681634/-/uol5vr/-/index.html] Au Kenya, ceux qui sont appelés à résoudre les problèmes sont aussi les hommes les plus puissants du pays et ses principaux propriétaires fonciers. Au lieu de mettre en œuvre une réforme foncière équitable, de s'attaquer à la corruption et de contrôler les industries exploitatrices, ils ont séparé la faim de son contexte : la solution qu'ils proposent est la généralisation des cultures génétiquement modifiées, et particulièrement du maïs résistant à la sécheresse. Le maïs, cultivé dans plus de 10 pays, constitue un aliment de base pour plus de 300 millions d'Africains. La technologie de Monsanto facilite un processus par lequel « les feuilles du maïs arrivé à maturité se retroussent dans des conditions de sécheresse », après qu'un morceau donné d'ADN du bacillus subtilis (cspB) ait été introduit dans des semence ordinaires de maïs. Résultat ? Moins d'eau perdue par évaporation, rendant la plante plus résistance aux saisons sèches destructrices que connaît le Kenya [http://www.aatf-africa.org/userfiles/wema-newhope-ug.pdf]. beehivecollective.org www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Grâce à la philanthropie d'entreprise de la Fondation Bill et Melinda Gates, l'un des aspects les plus contentieux habituellement associé au déploiement des biotechnologies en Afrique, la question des royalties, est contourné à travers la distribution de semences « libres de droits ». Pour l'instant du moins. Selon le fournisseur de semences Monsanto, « Nous ne sommes pas ici à des fins de charité. Les petits paysans que nous aidons aujourd'hui ne sont peut-être pas de bons clients. Mais dans dix ans, ils pourraient bien être de bons clients. » [http://www.aatf-africa.org/userfiles/wema-newhope-ug.pdf] La stratégie de Monsanto a déjà porté ses fruits. En 2007, 87% des zones cultivées globalement en hybrides ou en plantes génétiquement modifiées, y compris les semences et leurs traits, étaient contrôlés par l'entreprise. Celle-ci représentait 23% du marché mondial des semences propriétaires. Les dix principales firmes semencières contrôlent les deux tiers de ce marché au niveau global. Monsanto, DuPont et Syngenta contrôlent 70% du marché global du maïs, y compris celui de l'Afrique [http://www.gmwatch.org/gm-firms/10558-the-worlds-top-ten-seed-companies-who-owns-nature]. « On assiste à une entreprise délibérée de transfert de technologies controversées comme le génie génétique en Afrique dans le but de coloniser notre sécurité/souveraineté alimentaire. », déclare Anna Maina, de l'Africa Biodiversity Group au Kenya. « On assiste aussi à des efforts pour harmoniser les lois sur la biosécurité, lesquelles visent à ouvrir les portes à la pénétration des OGM en Afrique alors même que leur innocuité est mise en doute dans le monde entier. », dit-elle (entretien avec l'auteure). « À travers USAID, en étroite collaboration avec l'industrie biotech et divers groupes impliqués dans la recherche sur le génie génétique dans le monde développé, le gouvernement américain finance diverses initiatives sur la régulation et la prise de décisions en matière de biosécurité en Afrique qui, si elles réussissent, entraîneront l'adoption de régulations et de procédures de supervision minimales dans ce domaine. », ajoute Mariam Mayet, de l'Africa Centre for Biosafety. À quel prix ? D'ici 2014, l'industrie agrochimique globale, dominée par une poignée de méga-firmes verticalement intégrées pourrait voir sa valeur s'élever à 196 milliards de dollars US, générés pour la plupart grâce aux besoins structurels des semences OGM [http://news.agropages.com/News/NewsDetail---1557.htm]. Les engrais, importés par les pays en développement à un prix exorbitant, représenteraient 57% des profits [http://news.agropages.com/News/NewsDetail---1557.htm]. étroitement imbriqués qui lient les semences OGM et l'industrie agrochimique, intimement mêlés au « marché de l'aide », ont permis à Monsanto de tirer profit de la crise alimentaire mondiale de 2008 qui a poussé 100 millions de personnes sous le seuil de pauvreté lorsque les aliments de base comme le blé ou le maïs sont devenus trop onéreux pour leurs budgets limités. Monsanto a annoncé une augmentation de ses profits de 1,44 à 2,22 milliards de dollars US [http://www.independent.co.uk/environment/green-living/multinationals-make-billions-in-profit-out-of-growing-global-food-crisis-820855.html]. En 2008, Miguel d'Escoto Brockmann, président de l'Assemblée générale des Nations unies, commenta ainsi la situation : « Le but essentiel de l'alimentation, qui est de nourrir les gens, a été subordonné aux objectifs économiques d'une poignée d'entreprises multinationales qui monopolisent tous les aspects de la production alimentaire, depuis les semences jusqu'aux principales chaînes de distribution, et elles ont été les premières bénéficiaires de la crise mondiale. » « Il suffit de regarder les chiffres de 2007, lorsque la crise alimentaire mondiale a commencé, pour voir que des entreprises comme Monsanto et Cargill, qui contrôlent le marché des céréales, ont vu leurs profits augmenter de 45 et 60% respectivement. Les premières entreprises d'engrais chimiques, comme Mosaic Corporation, une filiale de Cargill, ont doublé leurs profits en un seule année. » [http://appablog.wordpress.com/2008/09/26/ opening-remarks-by-h-e-m-miguel-d'escoto-brockmann-president-of-the-general-assembly-at-the-high-level-event-on-the-millennium-development-goals-25-september-2008-united-nations-new-york] www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
L'exemple du Malawi est particulièrement instructif. Comme au Kenya, l'héritage du système foncier colonial a été accepté et reconduit, créant les conditions de la marchandisation et de la privatisation de la terre, et de la marginalisation des habitants via l'expansion des grands domaines agricoles commerciaux. Cela donna naissance non seulement à une nouvelle classe de peuples sans terre, mais les meilleures ressources écosystémiques furent réservées à des secteurs comme le tabac, le thé, le café et autres cultures commerciales d'exportation, sujettes à la dépréciation artificielle sur le marché, à la libéralisation et à l'endettement. Quatre décennies après l'indépendance, les acquisitions de terres favorables aux domaines commerciaux et aux élites politiques se sont traduites par le transfert d'un million d'hectares de terres communales, avec pour résultat de plonger la population rurale du Malawi dans la pauvreté, pour les mêmes causes que celles qui affectent les Maasai du Kenya. Sur les 9,4 millions d'hectares de terres du pays, 5,3 millions, soit 56%, sont cultivables. Le Sud fertile est habité par des petits cultivateurs qui n'ont accès en moyenne qu'à 0,33 hectare de terre. Les paysans du Sud expliquent qu'en 2009, alors même qu'il était impossible de trouver la plus petite trace de maïs dans leur district, le gouvernement avait annoncé des récoltes record, suffisantes pour en exporter une partie [http://www.grain.org/ seedling_files/seed-10-01-1.pdf]. La raison alléguée était politique. Le Malawi devait demeurer « autosuffisant » en denrées de base. Les années 80 et l'introduction des programmes d'ajustement structurel ont marqué la fin des subventions, du contrôle des prix et des dévaluations. Depuis 1990, l'espérance de vie dans le pays a baissé de près d'une décennie, s'établissant à 40 ans. « En 2007-2008, le programme a distribué 217 millions de tonnes d'engrais subventionné. », révèle GRAIN. « Le grand gagnant ici est Monsanto, qui détient plus de 50% du marché des semences hybrides au Malawi. » [http://www.grain.org/seedling_files/seed-10-01-1.pdf]. En 2007, les subventions aux semences et aux engrais représentaient un coût de 70 millions de dollars US, lequel a plus que doublé d'une année sur l'autre, s'élevant à 186 millions en 2008–2009 via le programme gouvernemental de subvention des intrants agricoles, ciblant 1,7 millions de petits cultivateurs, et courant de novembre à avril [http://allafrica.com/stories/ 200901130621.html]. Selon Alick Nkhoma, représentant de la FAO, « les pluies relativement bonnes et le programme de subvention des intrants ont énormément contribué [à la récolte de maïs], d'autant plus que ces intrants étaient alors très chers, les semis intervenant à un moment où le prix du pétrole atteignait des records. » La Fondation Rockefeller, principal co-fondatrice et collaboratrice de l'Alliance pour une révolution verte en Afrique (Alliance for a Green Revolution in Africa ou AGRA), non seulement tient ses milliards de dollars du pétrole (Standard Oil), mais fut un architecte déterminant du concept de « révolution verte » formulé dans les années 60 par certains organes philanthropiques d'entreprises, et notamment par Norman Borlaug, scientifique employé par DuPont. L'expression fut inventée par William Gaud, ancien vice-président exécutif de la Société financière internationale (SFI-IFC) de la Banque mondiale, et également ancien de l'Agence pour le développement international des États-Unis (USAID). Celui-ci exprima son soutien aux OGM en ces termes : « Ces [technologies de génie génétique], avec d'autres innovations dans le domaine agricole, contiennent les ferments d'une nouvelle révolution… Je l'appelle la Révolution Verte. » Le résultat fut la création du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR), co-opté par la Banque mondiale dès les années 70, et rejoint quelques décennies plus tard par la Fondation Gates. Le CGIAR constitue la banque de gènes la plus grande du monde. Pendant ce temps, « les minutes d'une rencontre entre les agences d'aide et des fonctionnaires d'USAID, ayant fait l'objet d'une fuite, ont révélé comment ces derniers pouvaient jouer des muscles sous des apparences d'aide au développement : ces agences se voient ordonner d'informer immédiatement la mission locale d'USAID si les gouvernements bénéficiaires posent des questions sur la teneur en OGM des colis d'aide alimentaire. Les mesures prises dans ce type de situation par USAID ont été perçues par les fonctionnaires africains comme des sanctions de diverses formes, pouvant aller jusqu'à des restrictions sur les prêts consentis par des agences multilatérales comme la Banque mondiale. » [http://www.pambazuka.org/en/ category/features/60523] www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
USAID apparaît donc à l'avant-garde d'une campagne de marketing orchestrée par les États-Unis pour introduire les aliments génétiquement modifiés dans le monde en développement. Cette organisation a clairement affiché qu'elle percevait son rôle comme celui « d'intégrer la biotechnologie dans les systèmes alimentaires locaux et d'étendre cette technologie dans toutes les régions africaines », rappelle Mayet [http://www.seatini.org/bulletins/ 7.05.php - africa] (ACB : 2004). Il n'est pas étonnant dans ces conditions que Monsanto ait créé et financé divers programmes (dont le très respectable programme pour chercheurs en l'honneur de Borlaug) ciblant quelques-uns des plus grands marchés du monde [http://dissidentvoice.org/2009/ 05/monsanto-and-its-philanthropy]. Toutefois, si cela augure de jours heureux pour les firmes pétrolières et agrochimiques, cette bénédiction ne s'étend pas forcément aux simples citoyens. Nkhoma révéla que le programme de subvention, soutenu par le DfID britannique, n'était pas viable du fait de son coût. Même si la récolte record avait vu augmenter la quantité de maïs, elle n'avait pas rendu moins cher de se nourrir en maïs [http://www.irinnews.org/ Report.aspx?ReportId=84808]. Erica Maganga, secrétaire de l'unité consacré à l'agriculture et à la sécurité alimentaire du Malawi, fit savoir que les engrais biologiques et l'agriculture durable étaient désormais à l'étude [http://www.irinnews.org/Report.aspx?ReportId=84808]. Comme le fit remarquer sous couvert d'anonymat à l'IRIN un spécialiste des questions de sécurité alimentaire, augmenter le volume de maïs n'était pas très compliqué si l'on ciblait les exploitants agricoles commerciaux, capables de doubler leur production. Même si le programme de subvention gouvernementale avait correctement identifié une partie du problème, la solution mise en place a été configurée en fonction des intérêts des entreprises et des acteurs privés [http://www.irinnews.org/Report.aspx?ReportId=84808]. Le moyen ? Les droits de propriété intellectuelle (DPI), lesquels permettent à Monsanto d'engager à volonté des poursuites judiciaires pour atteinte à ses brevets, et de déposséder les paysans du contrôle et de la propriété de leurs cultures. Le partenaire silencieux et bienveillant de Monsanto, Bill Gates, a amassé sa fortune grâce aux DPI et est demeuré un de leurs promoteurs les plus infatigables dans les allées du pouvoir, aussi bien gouvernementales qu'entrepreneuriales. En 1999, par exemple, selon une enquête de Forbes [http://www.monthlyreview.org/0103perelman.htm], trois des quatre personnes les plus riches du monde devaient leur fortune aux DPI de Microsoft. Étant donné que les droits de propriété intellectuelle sont aujourd'hui gérés par des entités d'entreprises basées dans des juridictions secrètes, mieux connues sous le nom de paradis fiscaux – à l'exemple de Round Island One, l'entité à plusieurs milliards de dollars de Microsoft basée en Irlande –, il est extrêmement peu probable que les lien entre Microsoft et une entité d'entreprise bénéficiaire appartenant à Monsanto soient jamais mis au jour. Ceci parce que non seulement ces entreprises sont en mesure d'éviter de payer des milliards de dollars d'impôt en changeant de juridiction fiscale et en blanchissant leurs profits, mais parce que les comptes d'entreprises, leurs bénéficiaires et leurs propriétaires n'ont même pas à être rendus publics, grâce à des régulations délibérément opaques destinées à servir les intérêts des clients étrangers. L'entreprise Monsanto elle-même est enregistrée dans l'une des principales juridictions secrètes du monde, l'État du Delaware aux États-Unis [http://www.monsanto.com/ ourcommitments/Pages/certificate-of-incorporation.aspx]. Plus de 80% de la production agricole domestique du Malawi est assurée par des petits paysans – lesquels représentent un marché que Monsanto n'a pas encore pu exploiter. En 2005, Monsanto a fait don de 700 tonnes métriques de maïs hybride à travers un réseau d'organisations non gouvernementales (ONG). En tant que telle, l'aide est un instrument crucial de cette stratégie – laquelle est à la base du Lugan-Casey Global Food Security Act de 2009 soutenu par le Comité des relations étrangères du Sénat américain – et plus précisément le transfert de technologie via le soutien au développement agricole par le biais d'agences d'aide restructurées appliquant un www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
programme de long terme [http://allafrica.com/stories/201006101099.html]. Selon le Sénateur Lugan, la sécurité nationale des États-Unis dépend pour partie de la sécurité alimentaire de pays comme le Soudan ou l'Irak – lesquels sont aussi d'importants marchés encore inexploités. Pour soutenir ce projet de loi devant le Comité des relations étrangères du Sénat américain, une véritable armée de personnalités politiques était venue selon AGRA Watch, parmi lesquelles Bill Clinton, l'un de plus grands promoteurs d'OGM de Washington, et Bill Gates. Lugan indiqua à cette occasion être « enthousiasmé par la vision [de la Fondation Bill et Melinda Gates] ». [http://allafrica.com/stories/201006101099.html] Les « généreux investissements » notés par Lugan et méticuleusement documentés par AGRA Watch vont loin. La Fondation Gates, par exemple, a alloué plusieurs millions à une organisation qui compte Monsanto parmi ses principaux fondateurs : le Donald Danforth Plant Science Center. Il a été révélé que la Fondation Gates détenait 500 000 actions de Monsanto, mais ce conflit d'intérêt ne représente que la pointe de l'iceberg [http://allafrica.com/stories/201009131422.html]. Au Kenya, 70% des subventions allouées par la Fondation Gates via l'AGRA – gérée jusqu'en 2006 en partenariat avec la Fondation Rockefeller, considérée comme l'image de marque philanthropique de la Fondation qui en est le financeur principal – étaient directement liées à Monsanto [http://allafrica.com/stories/201009131422.html]. Parmi les autres exemples de leurs relations étroites évoquées par AGRA Watch, le pantouflage. Ainsi le Dr Rob Horch, « anciennement vice-président des partenariats de développement international à Monsanto, et actuellement directeur de programmes principal du Gates Agricultural Development Program ». [http://allafrica.com/stories/ 201009131422.html] Au cours de ses 25 ans de carrière à Monsanto, Horch fit partie de l'équipe scientifique qui inventa le RoundUp, l'herbicide à plusieurs milliards de dollars de la compagnie, attaché à toutes ses semences propriétaires. Le genre de philanthropie pratiqué par la Fondation Gates – susciter des opportunités de pénétration de nouveaux marchés en développement pour les entreprises – n'a rien de nouveau. En 2007, le Los Angeles Times décrivait comment les « investissements ni vus ni connus » de la Fondation (qui pèsent actuellement 33 milliards de dollars US) allaient pour « au moins 41% à des entreprises allant à l'encontre des objectifs charitables de la fondation et 201009131422.html] Diverses compagnies et fondations se lancent sur ce créneau, à travers des initiatives comme le « maïs efficient en eau pour l'Afrique » (Water Efficient Maize for Africa ou WEMA) de l'African Agricultural Technology Foundation, financée par les entreprises. Les acteurs impliqués vont de Warren Buffet et Jeffrey Sachs à la FAO, au Programme alimentaire mondial et au gouvernement américain, par l'intermédiaire de la Millenium Challenge Corporation. « La Fondation Rockefeller est un organe philanthropique impliqué dans l'AGRA. Les autres parties prenantes sont des firmes agrochimiques internationales comme Yara et Monsanto, des compagnies locales de semences et d'engrais, ainsi que des banques comme la Standard Bank et l'Equity Bank (Kenya). », explique Maina. « L'importation illégale de plus de 280 000 tonnes de maïs génétiquement modifié au Kenya alors même que les conditions légales ne le permettaient pas démontre un effort délibéré de contamination des variétés locales. », ajoute-t-elle. Le maïs OGM était fourni par l'Afrique du Sud, tête de pont des firmes agrochimiques comme Monsanto. En 2009, lorsque le maïs génétiquement modifié refusa de pousser pour des centaines de paysans, avec un taux d'échec des cultures de près de 80% chez certains cultivateurs (Africa Centre Biosafety), Monsanto refusa de rembourser les paysans qui avaient reçu leurs semences libres de droits [http://allafrica.com/stories/201009131422.html]. Il existe pourtant un grand nombre de solutions socialement et écologiquement durables, centrées sur les citoyens. Une telle solution, mise en avant par Greenpeace (2010) est la variété de maïs conventionnelle ZM521 : « Les scientifiques du CIMMYT [Centre international d'amélioration du maïs et du blé] se sont basés sur des milliers de variétés locales de maïs contenues dans des banques de semences, lesquelles ont été constituées au www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
cours de décennies d'échanges libres de semences de terroir tout autour de la planète (Charles, 2001). A travers plusieurs cycles de croisement et de sélection, ces scientifiques ont mis au jour les traits génétiques auparavant ignorés qui permettent au maïs de résister à la sécheresse. ZM521 est une variété de maïs qui non seulement manifeste une remarquable vigueur lorsqu'elle est affectée par le manque d'eau, mais dont le rendement est aussi de 30 à 50% supérieur à celui des variétés traditionnelles dans des conditions de sécheresse. » [http://www.biosafety-info.net/file_dir/18493216064c58e899420b6.pdf] « Un autre avantage pour les pauvres du ZM521 est que c'est une variété à pollinisation ouverte. Au contraire des variétés hybrides ou génétiquement modifiées de maïs, les semences des variétés à pollinisation ouverte peuvent être sauvegardées et plantées l'année suivante. Cela représente un avantage pour les petits paysans qui sont souvent confrontés à des contraintes monétaires lorsqu'ils doivent acheter des semences. Les semences de ZM521 sont disponibles gratuitement pour les distributeurs de semences tout autour du monde, et dans plusieurs pays africains, dont l'Afrique du Sud et le Zimbabwe, le ZM521 commence à être cultivé dans les parcelles des paysans. » L'innocuité des cultures génétiquement modifiées est souvent mise en doute par les scientifiques qui ne sont pas rémunérés par les entreprises. Ainsi que l'a révélé le magazine Scientific American, « les scientifiques doivent demander la permission des entreprises avant de publier des recherches indépendantes sur les cultures génétiquement modifiées. Il est impossible de vérifier si la performance de ces cultures correspond effectivement à celle qui est affichée par ces compagnies. Celles-ci se sont en effet dotées d'un droit de veto sur les chercheurs indépendants. » [http://foodfreedom.wordpress.com/2009/07/31/do-seed-companies-control-gm-crop-research] Ces mesures sont prises dans le but de protéger le mythe à la base de tous les autres, celui selon lequel les aliments hybrides ou génétiquement modifiés sont aussi sûrs que les aliments naturels. Il n'y a évidemment aucune régulation ni aucune recherche pour s'assurer qu'il en va effectivement ainsi – si ce n'est l'autorégulation. À quoi bon alors des solutions telles que les semences propriétaires, les produits phytosanitaires destructeurs ou les projets d'irrigation intensifs et les méga-barrages comme celui de Gibe III, déjà reconnu comme une source de bouleversement majeur pour le lac Turkana dans le Nord du Kenya, affectant les conditions de vie de 500 000 personnes [http://www.theecologist.org/News/news_round_up/448793/no_stopping_controversial_dam_in_ethiopia.html] ? Même si le Kenya reçoit depuis longtemps du maïs génétiquement modifié, selon une source, « des essais sous serre sont déjà en cours à l'Université Kenyatta de Nairobi, et ils sont presque prêts » pour des essais en champ. « L'objectif est le profit, et toujours plus de profit. », résume Maina. • Khadija Sharife est journaliste et chercheuse au Centre for Civil Society (CCS) [http://ccs.ukzn.ac.za] en Afrique du Sud, et contributrice au Tax Justice Network [http://www.taxjustice.net/cms/front_content.php?idcatart=2]. • Traduction : Olivier Petitjean. www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Lectures supplémentaires sur les agrocarburants, les droits sur la terre et l'accaparement des terres http://pambazuka.org/en/category/features/67520 Liens sur les agrocarburants et les droits sur la terre en Afrique et l'accaparement global de terres Liens sur les agrocarburants et les droits sur la terre en Afrique et l'accaparement global
de terres

Would Cecil Rhodes have signed a Code of Conduct? Reflections on global land grabbing and land rights in Africa, past and present [Cecil Rhodes aurait-il signé un code de conduite ? Réflexions sur l'accaparement global des terres et les droits sur la terre en Afrique, au passé et au présent] Source : Robin Palmer (Mokoro) Résumé : Cet article traite des accaparements de terres au Zimbabwe et au Mozambique au début de la période coloniale, de l'accaparement de terres contemporain, des agrocarburants, et des questions d'investissement. Date : Septembre 2010 (African Studies Association of the UK biennial conference, Oxford) Télécharger le document (PDF 333KB) : http://bit.ly/cFEBgG • An annotated guide to the bibliographies on biofuels, land rights in Africa and global land grabbing [Guide annoté aux bibliographies sur les agrocarburants, les droits sur la terre en Afrique et l'accaparement global des terres] Source : Robin Palmer (Mokoro) Résumé : Une guide annoté des deux bibliographies ci-dessous, qui reprend les extraits fondamentaux des rapports, coupures de presse, articles de revues et livres sur les agrocarburants, ainsi que des extraits TV, vidéo et radio. Ces derniers sont inclus car ils peuvent être révélateurs des attitudes de ceux qui sont engagés dans le phénomène des accaparement de terres. Date : Septembre 2010 Télécharger le document (PDF 403KB) : http://bit.ly/bYauKt • Select bibliography of reports on biofuels, land rights in Africa & global land grabbing [Bibliographie sélective de rapports sur les agrocarburants, les droits sur la terre en Afrique et l'accaparement global des terres] Source : Robin Palmer (Mokoro) Résumé : Une nouvelle bibliographie sélective actualisée de rapports sur les agrocarburants, les droits sur la terre en Afrique et l'accaparement global des terres. Plus de 70 organisations y sont citées, notamment la FAO, Grain, Sci-Dev Net, Pambazuka News, IIED, et OHCHR. Date : Septembre 2010 Télécharger le document (PDF 479KB) : http://bit.ly/aaEDd7 www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Select bibliography of press cuttings on biofuels, land rights in Africa & global land grabbing [Bibliographie sélective d'extraits de presse sur les agrocarburants, les droits sur la terre en Afrique et l'accaparement global des terres] Source : Robin Palmer (Mokoro) Résumé : Une nouvelle bibliographie sélective actualisée d'extraits de presse sur les agrocarburants, les droits sur la terre en Afrique et l'accaparement global des terres. Organisée géographiquement, avec les sections suivantes : global, Afrique en général (33 pays et régions d'Afrique), Moyen Orient, Asie, Amérique latine. Date : Septembre 2010 Télécharger le document (PDF 976KB) : http://bit.ly/cKnsmM Documents recommandés de l'ETC Group
• Who Will Feed Us? Questions for the Food and Climate Crises [Qui va nous nourrir ? Questions sur les crises alimentaire et climatique]. http://www.etcgroup.org/en/node/4921 • Who Owns Nature? [À qui appartient la nature ?] http://www.etcgroup.org/en/node/707 • Retooling the Planet: Climate Chaos in a Geoengineering Age [Réoutiller la planète ? Chaos climatique à l'époque de la géoingénierie]. http://www.etcgroup.org/en/node/4966 • Report Prepared for the South Centre - The Potential Impacts of Nano-Scale Technologies on Commodity Markets: The Implications for Commodity Dependent Developing Countries [Les impacts potentiels des technologie à l'échelle nano sur les marchés des matières premières. Implications pour les pays en développement dépendant des revenus des matières premières]. http://www.etcgroup.org/en/node/45 L'ETC Group a récemment rendu publics trois rapports majeurs sur la bio-économie, la
nano-géopolitique et la géoingénierie :

• The New Biomassters - Synthetic Biology and the Next Assault on Biodiversity and Livelihoods [Les nouveaux maîtres de la biomasse. Biologie synthétique et l'assaut en preparation • Geopiracy: The Case Against Geoengineering [Géopiraterie. Plaidoyer contre la • Gene Giants Stockpile Patents on "Climate-Ready" Crops in Bid to Become Biomassters [Les géants du gène empilent les brevets sur les cultures "adaptées au climat" en vue de s'assurer la position de maîtres de la biomasse]. http://www.etcgroup.org/en/node/5220 Hands Off Mother Earth: Support the international campaign http://pambazuka.org/en/category/features/67573 Support the international movement opposed to geoengineering. The Hands Off Mother Earth, http://www.handsoffmotherearth.org/photos campaign is a part of the climate justice movement, fighting quick techno-fixes that put more money and power in the hands of the business interests and the politicians who caused the climate crisis in the first place. If you oppose using the seas, skies and soils of our home planet as a laboratory for unjust and risky technology, add your picture to our photo petition. Take a photo of your hand and help us say ‘Stop geoengineering! Hands off Mother Earth!' www.pambazuka.org Nouvelles technologies en Afrique : une menace pour la souveraineté
Note sur l'ETC Group http://pambazuka.org/en/category/features/67526 Il y a vingt-cinq ans, l'idée de ce qui allait devenir la Rural Advancement Foundation International (RAFI, Fondation internationale pour le progrès rural), puis l'ETC Group en 2001, prit naissance au cours d'une conversation sur les semences. Un quart de siècle plus tard, l'ETC Group parle toujours de semences, mais le monde est devenu plus complexe : de nouvelles technologies ont fait leur apparition ; les économies se sont globalisées ; les entreprises multinationales ont étendu leur emprise ; la richesse et le capital sont concentrés entre les mains d'un nombre de plus en plus restreint de compagnies géantes. La vie elle-même est manipulée, décomposée et ré-assemblée – puis brevetée. L'ETC Group est une organisation de la société civile internationale. Nous travaillons sur les enjeux socio-économiques et écologiques globaux liés aux nouvelles technologies, avec un accent particulier sur leur impact sur les peuples indigènes, les communautés rurales et la biodiversité. Nos recherches portent sur l'érosion écologique (y compris l'érosion des cultures et des droits humains) ; le développement des nouvelles technologies (notamment agricoles, mais aussi celles qui portent sur la génomique et la matière) ; et nous menons une activité de veille sur les enjeux de gouvernance mondiale, dont la concentration des entreprises et le commerce des technologies. Nous opérons à un niveau politique mondial. Nous travaillons en lien étroit avec d'autres organisations de la société civile et des mouvements sociaux, particulièrement en Afrique, en Asie et en Amérique latine. L'effectif de notre équipe est de dix personnes, auxquelles s'ajoutent neuf membres du Conseil, éparpillés sur les cinq continents. Nous avons des bureaux à Ottawa et Montréal, Canada ; Durham, États-Unis ; Mexico, Mexique ; Davao, Philippines. L'ETC Group est doté d'un statut consultatif auprès du Conseil économique et social (ECOSOC) des Nations unies, de l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO), de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (UNCTAD) et de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB). Il a aussi une relation de longue date avec le Groupe consultatif de recherche agricole internationale (CGIAR). www.pambazuka.org

Source: http://www.etcgroup.org/sites/www.etcgroup.org/files/publication/pdf_file/Nouvelles%20technologies%20en%20Afrique%20-%20une%20menace%20pour%20la%20souverainete.pdf

cats.rwth-aachen.de

Annals of Biomedical Engineering (! 2010)DOI: 10.1007/s10439-010-0228-7 Hypothermic Machine Perfusion of Kidney Grafts: Which Pressure is Preferred? B. M. DOORSCHODT,1 M. C. J. M. SCHREINEMACHERS,2 M. BEHBAHANI,3 S. FLORQUIN,2 J. WEIS,4 M. STAAT,5 1Institute for Laboratory Animal Science and Experimental Surgery, RWTH-Aachen University, Pauwelsstr. 30, 52074 Aachen, Germany; 2Department of Pathology, Academic Medical Center, University of Amsterdam, Meibergdreef 9, 1105 AZ

umwelt.steiermark.at

zum Thema Lysimeterstudie- Verhalten von Antibiotikawirkstoffen im Sickerwasser und Boden Fachabteilung 17 C AMT DER STEIERMÄRKISCHEN LANDESREGIERUNG Verhalten von Antibiotikawirkstoffen im Sickerwasser und Boden Amt der Steiermärkischen Landesregierung Fachabteilung 17C A-8010 Graz, Landhausgasse 7, Tel. Nr. +43/(0)316/877-2955